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Felwine Sarr à Macky Sall: «Ce mandat de trop qui vous tente»

Mardi 3 Janvier 2023

L'universitaire sénégalais Felwine Sarr
L'universitaire sénégalais Felwine Sarr
Le fait même d’entretenir le clair-obscur est un aveu. La dérive autoritaire commence quand le prince peut faire dire au signe linguistique ce qu’il veut. L’esquif Sénégal ressemble à une barque qui a perdu son cap
 
Le président de la République en décembre 2019, à la question de savoir s’il allait se présenter ou pas pour un troisième mandat avait répondu par un ni oui ni non. Lors de son adresse à la nation du 31 décembre 2022, il n’a pas évoqué la question. Cependant, tous les actes qu’il a posés depuis indiquent qu’il se prépare à y aller (Lu Defu Waxu). Ne lui faisons pas de procès d’intention diront certains, pour l’heure il n’a rien dit de définitif. À une question dont la seule réponse possible est non, puisque la Constitution est claire sur ce point  ; le fait même d’entretenir le clair-obscur est un aveu, au moins d’une tentation ou de l’évaluation des chances de réussite d’une telle entreprise. Par cette seule attitude de maintien du flou sur une question qui engage le destin de la collectivité entière, le contrat avec la nation noué en 2012 lors de sa prestation de serment, et renoué en 2016 à l’issue du referendum sur la Constitution est d’ores et déjà cisaillé.
 
Cette non-réponse a pour effet de prendre le peuple sénégalais en otage et de le maintenir dans l’expectative, pendant que ses partisans occupent l’espace médiatique et comme en 2012, tentent de nous faire comprendre que les mots n’ont plus le sens qui est le leur. La dérive autoritaire commence quand le prince peut faire dire au signe linguistique ce qu’il veut. Quand « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs », ne signifie plus, « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Et c’est à cette opération de brouillage de sens que se livre le camp présidentiel. Car ici peu importe la durée du mandat, c’est la consécution de ces derniers qui est limitée à deux. C’était le sens de notre combat en 2012 contre le troisième mandat de Wade. Établir un rythme d’alternance inscrit dans le marbre de la Constitution qui assure une respiration démocratique, un renouvellement des élites gouvernantes, l’alternance des projets de sociétés et la transmission pacifique du pouvoir.
 
Quel recul, si nous nous retrouvions en 2024 dans la même situation qu’en 2012 ! Tout ceci pour cela ! Le procédé, nous le connaissons hélas, Wade l’avait déjà expérimenté. Nommer des juges acquis à sa cause au Conseil constitutionnel, lâcher ses propagandistes dans les médias et ses juristes qui tentent par une sophistique juridiciste (avec cette idée que le droit constitutionnel est complexe et ésotérique), de rendre acceptable une lecture de l’article 27 de la Constitution qui sémantiquement, éthiquement, politiquement, juridiquement ne l’est pas et fouler ainsi au sol le texte fondamental qui nous lie et qui fixe les règles qui gouvernent notre vivre-ensemble. Un seul individu, fut-il président de la République, ne peut confisquer un pouvoir que le peuple sénégalais lui a confié dans des termes qui étaient ceux d’un refus d’une dévolution monarchique du pouvoir, d’un troisième mandat et d’un désir de justice sociale et de redevabilité.
 
La conséquence ultime d’un tel acte est de désacraliser la Constitution dans l’inconscient collectif. Toute communauté pour faire d’un tas un tout, se fonde sur des règles qu’elle met au-dessus d’elle-même, au-dessus des ambitions partisanes et des intérêts privés afin de garantir la poursuite de l’intérêt général. La Constitution reflète les règles qui fondent notre communauté politique et in fine, le peuple est le suprême constituant. Dire à ce dernier « cher peuple tu n’as pas compris ce que tu veux, nous les maîtres de la science constitutionnelle avons compris mieux que toi que Nul ne peut, ne signifie pas dans ce cas précis, Nul ne peut », en plus de ne pas faire cas de l’intelligence collective des Sénégalais quant au sens de leur histoire politique, relève d’un hold-up de notre volonté collective. Ce que le peuple veut (au moins sur cette question), il l’a exprimé clairement en 2012 dans la rue et dans les urnes.
 
M. le président de la République,
 
L’esquif Sénégal ressemble à une barque qui a perdu son cap et qui erre dans la brume. Un bateau en déréliction voguant dans des eaux troubles et s’apprêtant à affronter des tempêtes à venir. C’est un paquebot qui a perdu de sa superbe, dont le capitaine semble ne plus voir les nuages qui s’amoncellent, habité par le rêve (que légitimement on vous prête) de briguer un troisième mandat et peu importe si cette tentative nous plonge dans l’instabilité. Peu importe les 10 morts que ce combat pour la respiration démocratique et l’alternance au pouvoir nous ont coûté en 2012 ; peu importe si vous avez vous-même répété à plusieurs reprises urbi et orbi, que vous aviez verrouillé la Constitution ; que le mandat que les Sénégalais vous avaient confié en 2019 était votre second et dernier mandat. Peu importe que la région sahélienne soit instable et que l’ilot que le Sénégal constitue ne puisse s’offrir le luxe d’ouvrir la boîte de pandore. Les raisons sont nombreuses pour éviter que ce désir de briguer le mandat de trop, ne nous embarque collectivement dans une aventure des plus hasardeuses.
 
Nous assistons médusés ces derniers temps à un détricotage systématique de nos acquis sociétaux et démocratiques. Des digues qui cèdent les unes après les autres. Une montée inexorable des eaux. François Mancabou mort dans les locaux de la police nationale. Deux gendarmes, le sergent Fulbert Sambou et l’Adjudant-chef Didier Badji qui disparaissent dans des circonstances troubles, dont le premier retrouvé mort, visiblement noyé, et le second dont nous sommes sans nouvelles. Des caricaturistes (Papito Kara) détournant des unes de journaux sur internet, emprisonnés, certains pour avoir liké des post avec des smileys. Pape Alé Niang, un journaliste emprisonné pour avoir effectué son travail (informer) et faisant l’objet d’un acharnement judiciaire. Une grande muette qui ne l’est plus et qui laisse fuiter des dossiers sensibles, afin que nul n’en ignore. Des jeunes que l’on interpelle lors de manifestations et à qui l’on demande leur patronyme ; et quand ceux-ci sont à consonance casamançaise, on les arrête et les embarque dans le panier à salade, direction la garde à vue. Un militant de l’APR qui appelle à défendre le troisième mandat avec des machettes, un député qui promet de marcher sur nos cadavres pour la réélection de son champion en 2024. Des citoyennes et citoyens que l’on intimide pour délit d’opinion et que l’on fait passer par la case prison, à chacun son tour, comme pour un tourne-manège.
 
Après les émeutes de mars 2021, 14 personnes sont mortes, certaines tuées à bout portant (une des scènes a été filmée) ; aucune enquête ouverte, aucun procès, aucune responsabilité située jusqu’à ce jour. Une douleur des familles compensée à coups de liasses de CFA, que celles-ci acceptent faute de mieux en s’en remettant à Dieu et à la fatalité du destin. Une dégradation des mœurs politiques rarement vue dans ce pays. Une Assemblée nationale devenue une foire d’empoigne et une arène de chiffonniersOn s’y insulte copieusement, on y frappe une femme députée et pire certains trouvent le moyen de justifier l’injustifiable, et par ce fait même, l’abject patriarcat qui gangrène notre société. Des députés, à l’exception de quelques-uns, qui ne sont pas à la hauteur de l’exigence du débat républicain qui leur a été confié par un peuple, qui en votant aux dernières élections législatives comme il l’a fait, a souhaité équilibrer la parole et le pouvoir à l’Assemblée nationale et voir ses préoccupations fondamentales sereinement relayées et débattues. Au lieu de cela, nous assistons dans ce lieu et dans l’espace public à une dégradation générale de la parole devenue violente et ordurière.

Nous assistons incrédules à l’érosion de ce qui a fait de notre pays une nation qui a su éviter les conflits ethnico-religieux, les coups d’états militaires, les guerres civiles dans une Afrique postcoloniale aux prises avec des soubresauts multiples. Ce tissu social solide, en dépit de ses vulnérabilités, est le résultat d’une lente construction collective, faite de consensus sociaux, de combats politiques, de luttes citoyennes et syndicales, d’avancées démocratiques conquises de haute lutte, de cohabitation interreligieuse et inter-ethnique préservée par une ingénierie culturelle et sociale, des valeurs partagées ; mais aussi par l’édification lente et patiente d’institutions sociales et politiques jouant leur rôle. C’est de l’une de ces institutions - pierre angulaire, la Constitution, dont vous êtes le gardien et le garant.
 
M. le président de la République,
 
Vos prédécesseurs ont chacun à sa manière, en dépit des limites de leurs mandatures (et du forcing avorté de Wade), contribué à renforcer la démocratie sénégalaise en apportant leur pierre au difficile édifice. La vôtre, á ce moment de notre histoire politique, est de poser un acte qui contribuera à faire de notre nation de manière irréversible une démocratie majeure, qui a définitivement résolu la question de la transmission pacifique du pouvoir, et celle d’une alternance inscrite dans ses textes et surtout dans ses pratiques et ses traditions. Afin qu’enfin les élections deviennent des moments de débat sur le destin de la nation et plus ceux de nuages gros de risques, planant au-dessus de nos têtes.
 
Lorsqu’il y aura des manifestations et des troubles contre un troisième mandat - et il est à prévoir qu’il y en ait si vous vous présentez - car il n’y a aucune raison pour que le peuple sénégalais accepte en 2024 ce qu’il avait refusé en 2012 (souvenez-vous que c’est ce refus du troisième mandat que souhaitait Wade qui vous a porté au pouvoir en 2012) ; et que des vies humaines seront perdues, car vous avez surarmé la police et la gendarmerie. Vous en porterez la responsabilité. Nous attendons de vous que vous annonciez qu’après avoir été élu deux fois à la tête du Sénégal ; que vous ne vous porterez pas candidat une troisième fois à l’élection présidentielle ; et que ce faisant, vous respectiez votre serment, que vous rendiez au Sénégalais.e.s l’honneur qu’ils vous ont fait en vous confiant leur destin durant deux mandats, et que vous consolidiez et préserviez notre démocratie.
Felwine Sarr
(source : Seneplus)
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1.Posté par Me François JURAIN le 03/01/2023 09:25
Je crois qu'il est grand temps de se poser les bonnes questions, pour y apporter les bonnes réponses.
A la question: ira t-il ou n'ira-t-il pas? La réponse est évidemment: OUI. Mais cette question, on aurait pu se la poser dès 2012, et la réponse aurait était la même: OUI. Pourquoi? tout simplement parce que, dès 2012, ce Président avait la ferme intention de ne pas faire un seul mandat, mais QUATRE. Et le problème du troisième mandat n'est qu'une étape, pour aller jusqu'au quatrième, c'est-à-dire jusqu'en 2034. Mais il convient de se poser une question subsidiaire, qui a toute son importance: Peut-il faire autrement, c'est-à-dire, a-t-il le choix? La réponse est NON. Pourquoi? Tout simplement parce que ce régime, depuis 2012, est bâti non pas comme un régime Présidentiel, avec un Président qui indique la politique à mener, et un Premier ministre chargé, avec ses ministres, d'exécuter et "mettre en musique" la partition Présidentielle.

Non. Il est essentiellement bâti POUR ET AUTOUR D’UNE SEULE PERSONNE, dont le maître mot est la corruption à outrance. Alors, en apparence, on peut se féliciter des réalisations effectuées par ce régime: effectivement, il y a des routes, des autoroutes, des aéroports, etc. On ne peut nier ce bond en avant, cette modernisation des infrastructures indispensables au bon développement d'un pays, sauf que tout cela a été accompli parce que cela générait de la corruption, des détournements de fonds, des vols de deniers publics, etc. Le facteur humain a été totalement occulté, le taux de pauvreté est le même, le taux d'illettrisme est le même.

Pas plus tard qu'hier, je suis tombé sur un (excellent) film "COSA NOSTRA", qui relatait la vie d'un clan mafieux italien ou sicilien, aux Etats-Unis, dans les années 50. J'ai été frappé de voir la ressemblance (toutes proportions gardées) avec ce régime: il y a le parrain, qui décide de tout, et se charge d'acquérir les pouvoirs pour garantir l'impunité à ses caporaux qui se chargent de "la sale besogne". Ici, c'est un peu pareil: il y a le parrain, qui confère l'immunité aux caporaux qui volent, détournent, sans être jamais punis. Est-ce le Parrain qui assure la distribution du larcin? Ça, il est encore trop tôt pour le savoir, nous ne pouvons pas le dire, mais patience, si le mensonge prend l'ascenseur, la vérité prend l'escalier, mais au final, tous deux se retrouvent toujours au même étage. Sauf qu'il faudra attendre 2034, c'est encore loin! Quant aux caporaux, ils ont la possibilité de se bâtir des fortunes, sous le contrôle du Parrain, mais une obligation: filer droit, et défendre coute que coute le Parrain, jusqu'à la mort s'il le faut.

Donc, à partir du moment où vous êtes chef de clan, et non pas véritable Président de tout un peuple, vous avez tous les pouvoirs, certes, mais une obligation: celle d'assurer la survie des caporaux, faute de quoi la règle imposée de la "Cosa Nostra" se retournera contre vous, et vous sera appliquée. C'est pourquoi les parrains de ces clans mafieux finissent toujours mal, car ils finissent toujours par commettre un faux-pas. Eh bien, ici, c'est exactement pareil: ce Président à créé une meute de petits caporaux, il leur a assuré la fortune qu'ils n'auraient jamais pu acquérir de par leurs facultés intellectuelles ou leur cursus universitaire (pour la plupart), ils sont certes totalement dépendants de ce Président, comme les caporaux du Parrain, mais en échange, il ne doit pas les lâcher en cours de route. Et les petits caporaux qui bombent le torse en clamant haut et fort: "qu'il le veuille ou non, il sera candidat" ont entièrement raison: IL N'A PAS LE CHOIX, et il sera candidat.

Alors, le déroulement de sa feuille de route, tout le monde la connait et c'est un secret de polichinelle: au mois d'octobre, dernière limite (voir 15 septembre), ce Président annoncera: "oui, j'ai décidé, parce que le peuple me le demande, et parce que je suis indispensable au pays, de terminer l'œuvre accomplie, et en conséquence, je me présente aux élections Présidentielles de 2024". Tollé, manifestations : je vais donc saisir le conseil Constitutionnel. Réponse de cette assemblée de pas-sages: oui, vous pouvez, et les élections se feront avec lui. Où les choses risquent de se compliquer, c'est qu'il y aura, vu le nombre de candidats, pour certains des poids lourds, un deuxième tour qui ne sera pas forcément favorable à ce Président. Mais bon, une petite entourloupe sur le processus électoral (néanmoins de plus en plus difficile à faire passer) et peut être, peut-être un troisième mandat qui ouvrira la porte au quatrième.

Voila comment les choses vont se passer, et voila comment elles se passeront obligatoirement, parce que ce Président s'est mis dans une situation de "Parrain" telle qu'il ne peut plus reculer: son orgueil et son amour immodéré pour l'argent feront le reste.
Alors, le peuple, dans tout ca? Et bien, ceux qui estiment qu'il est indispensable de mourir pour des idées tomberont au champ d'honneur, face à une police et une gendarmerie surarmée, les autres se diront et diront que, de toutes façons, en AFRIQUE, ca ne changera jamais, donc le mieux est encore de rentrer chez soi, et continuer de subir.
Quand au clan mafieux, il aura gagné la guerre, le clan sera préservé, la "cosa nostra" survivra et continuera de s'imposer et faire régner la terreur. Tout est donc bien qui finit mal!
Me François JURAIN



2.Posté par Taf le 04/01/2023 07:22
Et si le talent de l’écrivain c’était de savoir exprimer ce que tout le monde pense , ce qu’il y’a dans les cœurs ? Nos cœurs et nos têtes sont remplis de ce texte mais oui tout le monde n’a pas le talent de l’écrivain pour si bien l’exprimer. Mais qu’on ne s’y trompe nous avons d’autres moyens d’expression et le moment venu nous verrons des yeux hagards et surpris par cette violence jamais égalée que je vois arriver dans ce pays. Qu’on se le dise et qu’il soit clair, nous ne l’accepterons pas et ça ne passera pas. Et si le talent de l’écrivain c’était d’alerter en amont ? Que Macky t’entende Felwine sinon il partira terriblement humilié.

3.Posté par Capo le 04/01/2023 12:07
J'ai vu le film précédent, lundi soir, sur la même chaîne de télé aussi : "Le Clan des Siciliens"... le parrain a fini en prison.

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