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Crise du Coronavirus : Le réveil pour bâtir un autre modèle économique au Sénégal (Mbaye Sylla Khouma, Consultant International Sénior & Cheikhou Oumar Sy, Président de l'OSIDEA)

Mercredi 21 Décembre 2022

Avec le prétexte du carnage des Fonds Covis-19 révélé par le Rapport de la Cour des comptes du Sénégal, nous republions cette excellente contribution de Mbaye Sylla Khouma et Cheikh Oumar Sy parue en mars 2020. Une réflexion sur ce qui pouvait être tiré en termes d'opportunités pour notre pays d'une épreuve sanitaire exceptionnelle. Mais il semble que ce soit le revers de la médaille qui ait été plutôt promue.


 
Depuis fin Janvier 2020, ce que le monde prenait pour une épidémie de grippe chinoise s’est traduite par une pandémie mondiale. Ses effets sanitaires sont désastreux avec plus de 400 000 malades et près de 3000 décès dans le monde. Des familles entières sont plongées dans le désarroi et la vulnérabilité du système sanitaire de nombreux pays dits « développés » (Etats-Unis, France, Italie, Espagne, Iran etc.) nous apparait de manière crue.
 
La première mesure prise par beaucoup d’Etats a été le repli sur soi, en fermant frontières aériennes, et terrestres avec, en prime, des mesures de quasi confinement interne pour bloquer et casser la chaine de transmission du virus.
 
Cette situation a immédiatement produit comme effet, un plongeon de l’activité économique mondiale qui était, avant la pandémie, assez chahutée du fait de la guerre commerciale entre les Etats Unis et la Chine. Cette dernière, principale usine du monde avec 30% des exportations du globe en produits finis, s’est immédiatement mise en arrêt de production entrainant le reste des pays dans un quasi arrêt de la production industrielle.
 
Un pays comme le Sénégal a dès lors été frappé de plein fouet au portefeuille. Ses objectifs de développement économique pour 2020 sont totalement remis en cause dans le court terme, tout comme les objectifs du PSE dans le moyen terme. La raison est simple à comprendre. Notre pays souffre de plusieurs maux structurels amplifiés par la pandémie qui a mis à nu la dangerosité de notre modèle économique très dépendant de facteurs externes et sa faible capacité à juguler les chocs exogènes :
 
1. Une alimentation essentiellement dépendante des importations avec près de 700 milliards CFA dépensés annuellement pour acheter les produits de grande consommation : riz, produits laitiers, maïs, blé, fruits et légumes, conserves, etc.
 
2. Des envois de nos ressortissants dans la Diaspora de près de 1200 milliards CFA, plus importants que la valeur ajoutée du secteur primaire et contribuent grandement au renforcement de notre balance des paiements ;
 
3. Un secteur privé a majorité informelle dont les importations et les droits de porte qui vont avec, constituent une grosse part de nos ressources fiscales ;
 
4. Une faiblesse de la production interne avec des PME-PMI dont les matières premières dépendent, en majorité, de l’extérieur
 
Conscients de l’impact négatif des effets de la pandémie sur l’économie nationale et particulièrement sur la croissance de notre PIB allié à l’arrêt total de plusieurs branches d’activités comme le tourisme et le transport aérien, nous avions appelé le Gouvernement à réagir par des mesures énergiques pour venir au secours de notre économie et du secteur privé national.
 
Cette réponse est arrivée d’abord de la bouche du ministre en charge de l’Economie, du Plan et de la Coopération et ensuite par la voix la plus autorisée du pays à savoir celle du Chef de l’Etat, le Président Macky Sall.
 
Elle a été forte, ambitieuse, généreuse et porteuse d’espoir pour des lendemains de Coronavirus qui mettront le Sénégal sur une autre rampe de lancement.
 
1. 1000 milliards FCFA pour renflouer le secteur privé, lui permettre de supporter le choc et le préparer à passer à la vitesse supérieure dès que les conditions de la reprise seront réunies;
 
2. 200 milliards FCFA de remises de dettes fiscales au 31 Décembre 2019 ;
 
3. 50 milliards FCFA pour acheter des vivres pour le monde rural où beaucoup de familles dépendent totalement des envois de la population émigrée ;
 
4. 64 milliards FCFA destinés à la riposte sanitaire.
 
Nous ne pouvons que saluer et féliciter le Chef de l’Etat pour ces mesures fortes que nous attendions mais qui, avouons-le, nous surprennent agréablement par leur puissance.
 
Après avoir donné les grandes lignes de l’utilisation prévue des enveloppes financières et des remises fiscales, place aux différents ministères pour l’opérationnalisation effective et efficiente des mesures du Président de la République.
 
Nous pensons que ces grandes décisions sont une occasion pour créer les conditions de bâtir une économie moins dépendante de l’étranger et capable d’absorber des chocs exogènes sans réelle menace sur notre existence en tant que nation indépendante.
 
Il y a lieu de s’accorder d’emblée sur 3 considérations qui nous semblent essentielles :
 
1. LES MESURES QUI SONT PRISES NE CONCERNENT QUE LES ENTREPRISES ET OPERATEURS ECONOMIQUES EN ACTIVITES ET DONT LES AFFAIRES ONT ETE DIRECTEMENT IMPACTEES PAR LA PANDEMIE. UN ACCENT PARTICULIER DEVRA ETRE RESERVE AUX TPE/PME/PMI.
 
a. Ne sont pas concernées des activités tombées en faillite ou mal gérées et dont la situation n’a rien à voir avec le Coronavirus
 
b. Doivent aussi être isolées de nouvelles créations suite aux annonces du Chef de l’Etat à l’endroit du Secteur privé
 
2. LA TRANPARENCE TOTALE DANS L’ELIGILIBITE DES ACTEURS ET L’OCTROI DES AVANTAGES ET AIDES ANNONCES PAR LES AURORITES. 3. LES DECISIONS EN FAVEUR DU SECTEUR PRIVE SONT DES STIMULUS VISANT A CREER UN TISSU ECONOMIQUE CREATEUR D’EMPLOIS ET PARTICIPANT A LA POLITIQUE DE PROMOTION DES EXPORTS ET/OU D’AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE OU ENERGETIQUE
 
a. Un comité de gestion paritaire Etat-Secteur Privé devra identifier les secteurs économiques à booster et les cahiers de charge contenant les contrats de performance
 
b. L’affectation des ressources aux opérateurs privés devra aussi faire l’objet d’un double contrôle par le comité paritaire assisté par un cabinet des cabinets d’expertise pour le suivi-évaluation des engagements pris.
 
L’annonce du Chef de l’Etat n’a pas été très explicite entre une Politique de l’Offre ou de la Demande, à part les 69 milliards d’achats de denrées de premières nécessité pour les ménages les plus touchées (c’est vrai qu’il sera difficile d’arbitrer, le virus ayant fait montre d’un esprit démocratique sans faille. Toutes les couches sociales ayant été servies).
 
Nous pensons, compte tenu de la structure de notre économie nationale et la domination du secteur informel sur le formel, qu’il faudra certainement jouer sur les 2 tableaux. Les équipes du ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération affineront le mix pour l’identification des besoins et l’allocation des ressources d’appoint
 
AU NIVEAU DE L’OFFRE
 
1. Enclencher dès maintenant un virage très fort vers une politique de substitution des importations dans TOUS les produits. Pour cela, il est important que le secteur informel, principal importateur et distributeur des biens de consommation dont le marché et les canaux de commercialisation sont bien installés, fasse preuve de leadership et de sortie de la zone de confort d’import-export.
 
Une partie de l’enveloppe des 1000 milliards FCFA pourrait permettre de créer un fonds d’investissement pour la substitution des importations et de lever de l’argent sur le marché international pour renforcer les agropoles, les zones industrielles et les zones économiques spéciales privées.
 
Envisager un transfert des DAC au secteur privé (PPP) avec, à la clé, un cahier des charges pour créer des emplois durables, arrêter certaines importations et booster la production locale pour assurer au minimum 50% de notre autosuffisance avec pour objectif de renforcer l’exportation.
 
2. Suspendre tous les loyers de crédit bancaire et faire glisser les échéances pour toutes les entreprises déclarées.
 
3. Allongement des lignes de crédit de découvert des entreprises surtout dans le domaine des BTP, Tourisme et Agriculture.
 
4. Suppléer les PME/PMI dans le paiement des salaires pour les 3 mois de durée du couvre-feu, par une allocation de 50% du dernier salaire de chaque employé.
 
5. Mettre en suspens tous arriérés de loyers des PME/PMI et allouer des montants forfaitaires pour les loyers couvrant la période de 3 mois de l’Etat d’urgence.
 
6. Reporter les échéances fiscales.
 
7. S’assurer que l’annulation des dettes fiscales ne sera pas un moyen pour les entreprises de s’enrichir mais de répondre aux besoins de l’Etat en matière de création d’emplois et de gains de productivité par le biais de l’investissement.
 
8. Assouplir le carcan des politiques prudentielles de la BCEAO, trop contraignantes et qui empêchent les banques commerciales de pouvoir bien accompagner les entreprises.
 
9. Doter la BNDE d’un fonds de 300 milliards pour l’Agro-industrie, l’Elevage, l’industrialisation, l’artisanat et certaines PME-PMI, et bâtir un nouveau dispositif d’appui au secteur privé plus cohérent intégrant, le FONSIS, la DER, ADPME et d’autres structures.
 
10. Doter l’ITA d’un comité stratégique et d’une ligne de financement au niveau de la BNDE et du Crédit Agricole pour un programme d’innovation, de valorisation et de passage à l’échelle agro-industrielle.
 
11. Payer une importante partie de la dette intérieure. Au besoin aller au-delà des 1000 milliards et permettre aux entreprises de consolider les emplois, de ne pas licencier et les aider à reconstituer leur trésorerie.
 
12. Envisager d’accélérer la construction d’une turbine à gaz à SaintLouis avec BP afin de réduire le coût de l’électricité (Gaz to Power) et développer une stratégie industrielle d’ici 2025.
 
AU NIVEAU DE LA DEMANDE
 
1. Donner la priorité des achats de denrées destinées aux ménages impactés à la production locale de riz, d’huile, de tomates, etc.
 
2. En relation avec les collectivités territoriales, suppléer les ménages par le paiement des bimestres à venir d’Eau, de téléphone et d’Electricité (montant avancé de 106 milliards à confirmer avec le Ministère du Budget).
 
3. En relation avec les Consulats à l’étranger et à travers les Sociétés de Transfert d’argent allouer un montant forfaitaire aux familles au Sénégal des émigrés frappés de chômage.
 
4. Assouplir les conditions d’accès au crédit bancaire pour les salariés du Public comme du Privé, avec une forte injection de liquidités par la BCEAO qui devra en même temps baisser les taux d’intérêt afin de diminuer le coût de la monnaie.
 
5. Reporter et faire glisser de 6 mois les échéances de prêts bancaires aux particuliers.
 
6. Envisager une baisse des prix de carburant à la pompe si la chute du prix du baril devait durer à cause du ralentissement de la production en Chine et de la guerre des prix entre la Russie et l’OPEP emmenée par l’Arabie Saoudite.
 
7. Envisager un grand programme de pavage des rues sablonneuses de la banlieue, pourvoyeur d’emplois massifs car à haute intensité de main d’œuvre.
 
8. Réviser les curricula scolaires afin d’orienter une bonne partie des bacheliers vers la formation professionnelle.
 
9. Booster l’autonomisation des femmes à travers des micro-projets structurés et accompagnés par la DER, le Crédit Agricole et la BIMAO.
 
AU NIVEAU DE L’ETAT
 
1. Renforcer les plateaux techniques des principales structures hospitalières en revoyant à la hausse le budget du Ministère de la Santé.
 
2. A défaut de demander l’annulation pure et simple de la dette auprès des bailleurs internationaux, exiger un moratoire et un rééchelonnement de la dette commerciale.
 
3. Poursuivre et accentuer la réduction du Train de Vie de l’administration publique.
 
4. Revisiter les programmes d’investissements et reporter à 2021 ou 2022 certains projets d’infrastructures.
 
5. Lancer un mouvement diplomatique au niveau régional pour demander une annulation d’une partie ou totalité de la dette concessionnelle.
 
6. Repousser d’une année les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) de 2022 et les organiser en 2023 pour ne pas être forclos par les délais d’organisation.
 
AU NIVEAU SOCIETAL
 
La transformation de notre modèle économique ne sera réussie que si nous arrêtons d’importer ce que nous mangeons. Cette crise de la Covid-19 a encore une fois mis en exergue l’impérieuse nécessité de sécuriser notre souveraineté alimentaire. Pour paraphraser un célèbre homme politique, « il n’y a pire folie que de confier son alimentation, sa santé et sa sécurité à l’étranger ».
 
Nos nutritionnistes et chercheurs en industries alimentaires devront réfléchir à mieux valoriser nos céréales et légumineuses locales pour que les Sénégalais se mettent à consommer ce qui est produit dans nos écosystèmes.
Des journées de l’art culinaire sénégalais dotées d’un Prix du Chef de l’Etat feront découvrir la large palette de plats locaux à base de mil, fonio, mais, haricots, …
 
Ce virage au niveau de notre comportement alimentaire aurait un double avantage économique et nutritionnel, en ce sens que les produits agricoles locaux se substitueraient aux importations donnant plus de revenus à nos paysans et pasteurs. Nous profiterions aussi des immenses richesses nutritives de nos mets.
 
La nouvelle campagne « CONSOMMER LOCAL » serait une approche méthodique conduite par les professionnels de la nutrition et de la communication, avec le parrainage d’un leadership fort au niveau politique et social. Il s’agira de rendre les Sénégalais fiers de consommer leurs propres produits.
Dakar, mars 2020
 
Mbaye Sylla Khouma
Consultant International Sénior Promotion du Secteur Privé & Partenariat Public-Privé
 
Cheikhou Oumar Sy
Président de l’Observatoire de Suivi des Indicateurs de Développement Economique en Afrique (OSIDEA) – Ancien Parlementaire
 
 
 
 
 
 

 
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