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Chronique sociale du lundi: Yité yéne sénégalais yi moy : tekki rék (la préoccupation centrale de certains de sénégalais : la réussite à tout prix !)

Lundi 9 Avril 2018

Chronique sociale du lundi: Yité yéne sénégalais yi moy : tekki rék (la préoccupation centrale de certains de sénégalais : la réussite à tout prix !)
Par Madi Waké TOURE (ENTSS, Dakar)
 
Nos populations, confrontées à des situations inédites avec la modification radicale des idées et des mœurs, à quoi s’ajoute l’incertitude des conditions d’existence, et aux insuffisances d’un encadrement parfois défaillant, baignent en majorité dans des situations d’extrême fragilité psychologique. Beaucoup ne savent plus à quel saint se vouer surtout que la représentation mentale la plus prégnante aujourd’hui, dans certains milieux, est celle-ci: « ku téki wul bokulo » (Qui n’a pas réussi matériellement est « exclu » des affaires de la cité). Conséquemment, chacun veut réussir à tout prix pour se faire une place au soleil.
 
Ceci dit, il ne serait pas inutile de jeter un faisceau de lumière sur le sens que recouvre le mot réussite. Pour le Docteur ès sciences de l’Education Pape Baïdaly Sow (PBS): « le sens premier de ce vocable- Tekki- renvoie au statut social de l'individu dont on dit qu'il "a réussi". Il jouit  de capacités matérielles à subvenir à ses besoins propres et éventuellement, à ceux des autres (parents notamment) ». Cette aisance matérielle synonyme d'autonomie et de prédispositions à assister ceux qui sont dans le besoin (parents notamment), confère une respectabilité sociale enviable.
 
Dans ses connotations premières, "Tekki" suppose que l'acquisition des biens et du prestige social dont on se prévaut s'est opérée selon un code d'honneur excluant toute conduite inconsidérée, ne tolérant ni fraude, ni malversation...
 
Mais de nos jours, ''Tekki'' tend à devenir un slogan qui renvoie à un enjeu  majeur que l'on convoite "au péril de sa vie". Jouir d'une visibilité socialement positive, par son AVOIR, ses biens matériels, est devenu une telle obsession que certains n'excluent aucun moyen pour y parvenir. Ce qui compte, c'est ce que tu AS, peu importe "ce que tu ES", "ce que tu FAIS". C’est cela la vérité Professeur, mais faut-il s’en arrêter là: est-ce qu’il n’y a pas lieu de convoquer des témoignages pour mieux camper la réalité du phénomène? C’est important !
 
Appelons le premier nommé Moussa Bandiaga (MB) par souci d’anonymat. Il habite un village sénégalais réputé pour la qualité de ses marabouts. A la veille de son départ pour la France, il  nous tenait ce discours, mon frère et moi: « Je vais comme ça en France pour monnayer mes talents de marabout. Je ne lésinerai sur aucun moyen pour réussir. ». Au bout de quelques mois, MB envoie une somme faramineuse à son père pour lui permettre d’effectuer le voyage à la Mecque. Au village, on ne parlait que de lui. Mais à la grande surprise des villageois, MB sera rapatrié quelques années après dans des conditions pénibles ! Il avait perdu la raison et les spéculations les unes plus ahurissantes que les autres de circuler sur l’origine de sa maladie. Dieu merci, il a fini par retrouver la santé.
 
Autre lieu, autre histoire : celle-ci concerne un ami qui travaille dans une institution de la place. Il sortait avec une  belle nymphe et projetait de l’épouser. Mais coup de tonnerre dans le ciel de leur relation quand la fille vint un jour lui dire: « Je  dois rompre avec toi. Un homme plein aux as est prêt à m’entretenir pourvu que je lui sois « fidèle »… ». L’ami en question, interloqué, est resté bouche-bée. Quelques semaines après cet épisode douloureux, il rencontra la fille dans la circulation avec une belle 4X4 et celle-ci lui fit signe de s’arrêter. Je garais  ma voiture, me dit-il, et elle vint à ma rencontre toute souriante: « Je t’aimais… mais tu n’aurais pas été capable de me payer une voiture d’un tel standing  ». Mon ami en bon gentleman sourit et félicita la fille.
 
 «Je  dois rompre avec toi. Un homme plein aux as
est prêt à m’entretenir pourvu que
je lui sois « fidèle.» (une fille à son fiancé)
 
Des histoires du genre dans ce Sénégal là, on peut en trouver à la pelle. Et cette quête effrénée de biens matériels n’est pas sans conséquence. Des études sérieuses montrent que ceux qui se soucient davantage d’autrui que de l’argent sont beaucoup plus heureux. Suivons à ce sujet, les explications du Dr Roger Henderson, spécialiste de la santé mentale au Royaume-Uni, qui parle de syndrome de la « maladie de l’argent ». Selon lui, certains symptômes physiques et psychologiques que connaissent certaines personnes seraient liés à ce qu’il appelle  « la maladie de l’argent ». Il ajoute que  les soucis d’argent sont une cause majeure de stress.
 
Nonobstant toutes ces considérations, je dois préciser que je n’ai jamais dit que la recherche d’un certain confort matériel soit mauvaise. Au contraire! Je cherche seulement à attirer l’attention sur la nécessité d’avoir une vision équilibrée de l’argent d’autant qu’un désir sain et légitime peut être constructif. C’est cela aussi la position de l’universitaire PBS : « La question est: comment convertir cette détermination à réussir coûte que coût en une force capable de réveiller toutes les virtualités qui révèlent la grandeur de l’homme ? ». Tout cela est possible à la condition de questionner et de méditer ces mots signés de l’écrivain, Julien Green : « Rien ne ressemble plus à des vies ratées que certaines réussites. »
 
 
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