La Chine a ajouté ce mois-ci un élément clé à ses capacités navales dans le Pacifique, une région que les États-Unis considèrent depuis longtemps comme leur domaine, en lançant son troisième porte-avions, le Fujian, de loin le plus avancé.
Ce super porte-avions de 80 000 tonnes peut transporter quelque 60 aéronefs. Avec son escorte d’au moins 10 navires, il réduira considérablement l’écart entre les capacités navales des États-Unis et de la Chine. Il permettra aussi à Pékin d’intimider davantage ses rivaux en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan.
« Nous entrons vraiment dans une nouvelle ère », affirme Lyle Goldstein, professeur associé au Naval War College.
La Chine était déjà un adversaire de taille, avec le plus grand nombre de navires de guerre, le plus grand arsenal de missiles de croisière et de missiles balistiques lancés du sol, et le plus grand nombre de militaires, soit 2 millions.
Mais en matière de technologie des porte-avions, la Chine accusait du retard face aux États-Unis. Aujourd’hui, le Fujian rapproche Pékin de son objectif d’éroder la suprématie maritime américaine dans son arrière-cour.
Ce navire utilise des catapultes électromagnétiques pour lancer ses avions, faisant de la Chine le seul pays, après les États-Unis, à disposer de cette technologie.
« Cela double ou triple, voire quadruple, sa létalité au combat », affirme M. Goldstein à propos des catapultes du Fujian.
Ce super porte-avions revêt une importance cruciale pour Xi Jinping, qui veut que les forces armées chinoises puissent rivaliser avec celles des États-Unis d’ici 2049.
Puissance régionale
Le navire répond à plusieurs objectifs de la stratégie militaire chinoise : son groupe d’attaque, composé d’avions de chasse, d’avions furtifs, d’avions de surveillance et de croiseurs équipés de missiles antinavires, intimidera ses voisins contestant les prétentions de la Chine sur la mer de Chine méridionale.
Le Fujian s’ajoute aussi aux capacités de la Chine d’imposer un blocus à Taïwan, l’île autonome que Pékin considère comme faisant partie de la Chine. Il étendra aussi la portée de la marine chinoise, loin dans le Pacifique.
Les États-Unis conservent encore l’avantage militaire, avec 11 porte-avions, tous à propulsion nucléaire et plus grands que ceux de la Chine. Le Fujian, à propulsion conventionnelle, carbure au mazout.
Mais les États-Unis sont présents partout au monde ; Pékin peut se concentrer sur l’Asie, ce qui rend l’équilibre militaire dans la région beaucoup plus précaire, observe Toshi Yoshihara, du Center for Strategic and Budgetary Assessments, groupe de réflexion de Washington.
Le premier porte-avions chinois, le Liaoning, lancé en 2012, était de construction soviétique et obsolète. Le suivant, le Shandong, en 2019, a été construit en Chine, mais basé sur le Liaoning.
À présent, Pékin dispose d’un super porte-avions de conception proprement chinoise équipé de catapultes électromagnétiques, capable de lancer plus rapidement des avions plus lourds.
Un seul porte-avions américain, le USS Gerald R. Ford, mis en service en 2017, utilise cette technologie. Mais la fiabilité discutable de ses systèmes a incité Donald Trump à suggérer que les futurs porte-avions devraient revenir aux catapultes à vapeur.
La Chine prétend toutefois maîtriser la technologie de la catapulte électromagnétique. Les experts militaires chinois affirment que les trois catapultes du Fujian peuvent lancer jusqu’à 300 aéronefs par jour, soit autant que le porte-avions américain le plus avancé (ce en quoi ils exagèrent peut-être).
Quoi qu’il en soit, son taux de lancement sera bien supérieur à celui des deux anciens porte-avions chinois.
« C’est comme le programme Apollo »
Le programme chinois de porte-avions vise à maîtriser des technologies révolutionnaires capables de moderniser l’ensemble de la marine du pays, affirme Tian Shichen, capitaine à la retraite de la marine de l’Armée populaire de libération (APL).
« C’est comme le programme Apollo », dit M. Tian, qui est aujourd’hui président de l’Initiative de gouvernance mondiale (connu sous le signe anglais GGI), groupe de réflexion établi à Pékin. « Sa valeur ne tenait pas à l’empreinte laissée sur la Lune, mais au bond technologique global nécessaire qui l’a rendu possible. »
Le Fujian dispose d’une capacité considérablement améliorée pour détecter les cibles ennemies et servir de centre de commandement flottant et de base aérienne. Il pourrait interdire aux pays rivaux l’accès à la mer de Chine méridionale ou au-dessus de Taïwan en cas de conflit.
Les catapultes du porte-avions en font le seul navire de la marine chinoise capable de lancer l’avion d’alerte précoce KJ-600, surnommé « le cerveau dans le ciel » de la marine chinoise par les médias locaux.
Cet avion est une réponse chinoise à l’E-2 hawkeye américain. Sa portée radar étendue, au moins deux fois supérieure à celle des hélicoptères utilisés sur les anciens porte-avions chinois, permet au KJ-600 de voir au-delà de l’horizon, de recueillir des informations en temps réel et de relayer des ordres, renforçant ainsi la capacité du porte-avions à mener des opérations défensives complexes et des frappes offensives loin en mer.
« Ils ont comblé leur retard par rapport aux États-Unis, du moins en théorie », croit Collin Koh, expert en matière militaire chinoise à la S. Rajaratnam School of International Studies de Singapour. « Cela augmente clairement la capacité de combat en haute mer de la marine chinoise. »
Son groupe d’attaque devrait comprendre des croiseurs lance-missiles furtifs de type 055, armés d’une série de missiles balistiques conçus pour neutraliser les défenses aériennes des navires de guerre américains. Surnommé « le tueur de porte-avions » dans les médias d’État chinois, il serait équipé des derniers missiles antinavires hypersoniques YJ-21.
Un seul porte-avions ne peut pas bouleverser l’équilibre sécuritaire régional, affirme Li Da-jung, expert de l’armée chinoise à l’Université Tamkang de Taïwan, mais le Fujian marque une étape importante qui ne peut être ignorée. « Si j’étais les États-Unis, je prendrais cela très au sérieux. » [Washington Post]







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