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Autorisation des OGM au Sénégal : menace sur l’agriculture ouest-africaine

Mardi 18 Octobre 2022

A travers les textes (positions/actes politiques), le Sénégal est cité en exemple pour son engagement dans la transition agroécologique. Mais depuis le vote de la loi N°2022-20 du 14 juin 2022autorisant les organismes génétiquement modifiés (OGM) par son assemblée nationale, sa démarche parait très ambivalente aux yeux de la société civile ouest africaine qui promeut l’agroécologie. Certains experts en environnement pensent même que « c’est un danger réel pour l’agriculture en Afrique de l’Ouest ».


 
L’Etat Sénégalais s’est inscrit dans le cercle restreint de pays africains autorisant les OGM. Mais arrivera-t-il à faire appliquer cette nouvelle loi abrogeant celle n°2009-27 du 8 juillet 2009 sur la biosécurité? Le décret d’application est dans le circuit d’élaboration mais la polémique enfle depuis l’annonce de cette nouvelle loi votée en procédure d’urgence le 14 juin 2022.
 
Hors du pays, le sujet s’invite dans les débats lors de rencontres préparatoires de la COP 27. Ce fut le cas à la conférence de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA en anglais) entre le 19 et le 21 septembre 2022 à Addis Abéba, en Ethiopie. 
 
Mariama Sonko, présidente du mouvement africain Nous sommes la solution (NSS) qui promeut l’agroécologie, trouve la loi impertinente par rapport à la souveraineté et à la valeur des semences. « Les semences ne sont pas uniquement pour la nourriture. Elles comportent des caractéristiques qui les mettent en lien avec nos cultures et l’environnement. Leur choix doit être en adéquation avec les réponses aux changements climatiques », plaide-t-elle.
 
La rencontre organisée par l’AFSA a réuni des organisations paysannes, des producteurs de denrées alimentaires, des consommateurs, d’officiels d’organisations régionales et de négociateurs africains à la COP issus de plus de 30 pays africains. Une feuille de route de l’Afrique pour l’adaptation et l’atténuation à travers l’agroécologie a été élaborée à l’issue des débats.

L’argumentaire des petits producteurs agricoles africains à défendre lors de la COP27 de novembre 2022 en Egypte se résume en trois points. Premièrement, la COP 27 doit placer l'agroécologie au centre de l'adaptation de l'Afrique au climat, pour booster la résilience des petits agriculteurs, pêcheurs, éleveurs, communautés autochtones et des systèmes alimentaires. Deuxièmement, « engagez de manière significative les petits exploitants agricoles et les communautés autochtones, y compris les femmes et les jeunes, dans les négociations de la COP27 (…) et rejeter les fausses solutions qui menacent les terres, les semences et les races animales et accroissent la dépendance aux multinationales de l’agrochimie ».  Enfin, l’AFSA réclame l’orientation du financement climat vers l’agroécologie parce qu’il est temps  « d’augmenter de manière appropriée et délibérée le financement des paysans, pêcheurs, éleveurs et des communautés autochtones afin de mettre en place des systèmes alimentaires durables».
 
L’adoption des OGM par le Sénégal semble prendre le contrepied de cette vision continentale de l’AFSA. Malgré les voix des militants de l’agroécologie qui la dénoncent, d’autres voix plus audibles, pour le moment, soutiennent l’introduction des OGM.

Sur son site, l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal (ANSTS) met en exergue une communication de sa séance académique solennelle 2017 (9 décembre 2017) intitulée « Les organismes génétiquement modifiés (OGM) : état des lieux, enjeux et perspectives au Sénégal ». L’article admet que les« risques (des OGM) sur la biodiversité agricole et sur l’environnement pourraient être très importants ».Toutefois, pour l’ANSTS, l’application de ces technologies « offre des solutions pour accroitre les rendements, lutter contre les conditions environnementales défavorables telles que la sécheresse, la salinité ou le stress biotique dû aux maladies qui impactent négativement les rendements de nombreuses cultures ».
 
A la Direction de la protection des végétaux du Sénégal (DVP), le Directeur, Dr Saliou Ngom pense qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de cette loi. « Avant tout, c’est une loi qui protège car elle parle de biosécurité » argumente Dr Ngom, par ailleurs correspondant national de la Cedeao pour le programme pour la transition agroécologique en Afrique de l’Ouest.
 
Selon Dr Ngom « le plus important est comment la loi va être appliquée ». De ce point de vue, il assure : « cette loi encadre l’utilisation et la commercialisation des OGM à tel point qu’on pense que ce texte est contre l’adoption même des OGM. »  Tout comme le préconisait l’ANSTS selon qui,  « l’introduction et la dissémination des OGM au Sénégal nécessitent la mise en œuvre de véritables stratégies pour minimiser ces impacts négatifs éventuels ». 
 
Menace pour toute l’Afrique  de l’Ouest
 
Malgré les assurances du gouvernement et les instituts de recherche qui la défendent, la nouvelle loi sur la biosécurité reste perçue comme une menace pour la biodiversité par certains experts environnementaux en Afrique de l’ouest.
 
« Cette loi sénégalaise est une réelle menace pour les dynamiques  en agroécologie. Elle ne met pas seulement le Sénégal en danger mais toute la sous-région pratiquement », s’inquiété Mamadou Goïta, directeur exécutif de l’Institut de recherche et promotion des alternatives en développement en Afrique  (IRPAD) basé à Bamako au Mali.

 Selon ce membre du Panel international des experts sur les systèmes alimentaires IPES-FOOD, une fois que la loi est appliquée, « les produits OGM vont circuler à travers les frontières et les fleuves que le Sénégal partage avec ses pays voisins. Le risque de contamination des ressources génétiques au Mali, en Guinée et ailleurs est réel ».  
 
L’attitude du Sénégal surprend, dans la mesure où « l’engagement et les dynamiques agroécologiques au Sénégal inspirent les autres pays de la sous-région ouest-africaine », confie Omer Richard Agoligan, membre du Comité ouest africain des semences paysannes (Coasp). Ce responsable de l’organisation des ruraux pour une agriculture durable (ORAD) au Bénin s’inquiète que d’autres pays comme le Bénin ne suivent le Sénégal dans son orientation vers les OGM.

Peter Gubbles, lui, est convaincu que « le Sénégal fait fausse route ».  « On ne peut pas promouvoir deux pistes de solutions différentes et contradictoires », estime le directeur de recherche-action et de plaidoyer de Groundswell international installé présentement au Ghana.

Selon  M. Gubbles,  l’argument selon lequel il faut aller vers une souveraineté alimentaire pour nourrir les populations en adoptant les OGM ne tient pas.  « Les pays comme le Sénégal mettent beaucoup trop d’effort dans la culture de produits agricoles dédiés à l’exportation comme l’arachide », déplore l’environnementaliste et pratiquant de l’agroécologie.

Le directeur de l’IRPAD à Bamako qualifie même de « très pernicieuse » la nouvelle loi sénégalaise. « Tout le monde sait déjà le risque avéré des OGM de la première génération comme le maïs transgénique interdit dans certains pays en occident. Pour ce qui concerne la deuxième génération des OGM, on ne connait pas encore suffisamment sa dangerosité pour la biodiversité et la santé humaine »,  alerte Dr Goïta. 
 
Une démarche incohérente
 
Ces dernières années, la notion de transition agroécologique a été très présente dans les discours du chef de l’Etat sénégalais et dans les documents de politiques de développement. Amadou Kanouté, directeur de l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (CICODEV), indique que l’agroécologie est reconnue comme le quatrième pilier du Programme Sénégal émergent vert (PSE vert).
 
Dans le nouvel attelage du gouvernement mis en place le 18 septembre 2022, deux ministères portent dans leur dénomination des libellés qui sont sous-tendus par l’agro-écologie. Dr Goïta du Mali trouve cela incohérent avec le vote de la loi autorisant les OGM. « Comment peut-on créer un ministère de l’agriculture et de la souveraine alimentaire ainsi qu’un ministère de l’environnement de la transition écologique et promouvoir en même temps les OGM », s’interroge Mamadou Goïta ?
 
L’orientation du Sénégal sur la transition agroécologique devenait très mitigée depuis 2020. Au mois d’avril de la même année, dans un document intitulé « Contribution aux politiques nationales pour une transition agroécologique au Sénégal », la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal (DyTAES) alertait sur l’existence de « risque imminent d’introduction d’organismes génétiquement modifiés (OGM)» dans le pays.

Deux ans après, l’assemblée nationale prit de court les opposants aux OGM. Et la loi tombe presque au même moment que le programme de transition agroécologique développé en 2022 par la Cedeao, pour lequel le Sénégal s’est engagé à mettre en œuvre.
 
« Les gouvernements et Etats ne sont pas très versés dans la dynamique  agroécologie. Mais tous les pays de la Cedeao ont signé ce programme » a déclaré Kingsley Kwasi,  expert en environnement et correspondant national de la Cedeao pour ledit programme au Ghana.

Selon l’expert qui intervenait à la rencontre de l’AFSA à Addis Abéba, techniquement, le programme devrait être mis en œuvre dans les programmes nationaux de chaque pays avec un volet axé sur la formation et un autre sur le  transfert des technologies sur l’agroécologie.
 
Autre « incohérence » de la position du Sénégal décriée par MM. Goïta, Gubbles et Agoligan est la dichotomie entre son rôle au sein de deux dynamiques sous régionales dont il est signataire et cette loi. Il s’agit de l’Alliance pour l’agroécologie en Afrique de l’Ouest (3AO) dont la Cedeao est membre. « L’une des structures les plus actives de ce réseau est au Sénégal et c’est à elle que la Cedeao a demandé de développer une stratégie régionale de l’agroécologie », ajoute  M. Goïta. 

Le Sénégal est aussi membre signataire de la Coalition pour l’agroécologie créée à l’issue du sommet mondial sur les systèmes alimentaires de septembre 2021. L’un des objectifs de cette coalition est de contrer les dynamiques des scientifiques qui utilisent la biotechnologie pour  prendre en otage les systèmes alimentaires mondiaux.

Pour Dr Goïta, l’argument selon lequel l’adoption des OGM va permettre de booster la recherche est un leurre.
« Le patrimoine génétique sénégalais et de l’Afrique de l’Ouest est suffisamment fourni. Il faut juste orienter la recherche vers les techniques d’amélioration des semences paysannes, de la fertilité des sols, de conservation des eaux, sur comment mettre en œuvre des technologies propres pour produire sain », conseille le directeur de l’IRPAD Mali. Il en est de même pour l’organisation des marchés des produits agricoles pour qu’ils ne sortent pas des territoires.

 Le combat de la société civile engagée dans la promotion de l’agroécologie s’annonce plus que jamais dur. Il lui faut plus de moyens pour freiner le vent d’adoption ou de levée d’interdiction des OGM.  Après le Sénégal,  le 3 octobre 2022 le Kenya aussi a levé l’interdiction de 2012 sur les OGM. Il précise même l’autorisation de la plantation de maïs OGM en plein champ. Tout cela montre qu’il faut encore plus de stratégies pour consolider et renforcer les dynamiques de transition agroécologique en cours.
 Faydy Dramé

 
 
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