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A la recherche du Mahomet de l’histoire : observations sur les réponses de la professeure Jacqueline Chabbi (par imam Ahmad Kanté, partie 1/3)

Mardi 1 Juin 2021

Jacqueline Chabbi est agrégée d’arabe, professeure émérite des universités, spécialiste des origines de l’islam. Elle est en particulier l’auteure de : Le Seigneur des tribus. L’islam de Mahomet (rééd. CNRS Editions, 2013), Les Trois piliers de l’islam. Lecture anthropologique du Coran (Seuil, 2016), On a perdu Adam. La création dans le Coran(Seuil, 2019).
 
Le magazine « Le monde des religions » a fait paraitre un entretien réalisé par Virginie Larousse, le dimanche 7 juin 2020[[1]]url:#_ftn1 , avec Jacqueline Chabbi, agrégée d’arabe, professeure émérite des universités, spécialiste des origines de l’islam. Dans les lignes qui suivent, nous avons jugé nécessaire d’émettre des observations brèves certes mais qui remettent en cause des réponses subversives et erronées, à notre avis, que la professeure Jacqueline Chabbi donne à certaines questions. A cette fin, nous reproduisons in extenso, les questions posées par la journaliste et les réponses apportées par la professeure. Puis, nous mentionnons nos observations qui sont autant de réfutations sur ce qui nous semble poser problème dans les réponses de la professeure Chabbi.

 
Question : Quels sont les éléments de la biographie de Mahomet que nous connaissons avec certitude ?
 
Réponse
Il faut ramener Mahomet à son statut d’homme de tribu. On sait qu’il est mecquois puisqu’il faisait partie de la tribu des Qoraychites qui résidait dans la ville. La Mecque était de longue date un site sacralisé du fait qu’on y avait trouvé un point d’eau qui ne tarissait pas. Un culte saisonnier faisait circuit – comme aujourd’hui – autour des pierres sacrées (les bétyles) portées par les murs de la Kaaba. Abraham, que le Coran institue comme fondateur de la Kaaba (2, 127), en marge du conflit avec les juifs médinois, n’y est évidemment pour rien. Au sein de sa tribu, Mahomet souffrait d’un double handicap : orphelin de père, ce qui était très gênant dans ce type de société, il est épousé(et non l’inverse !) par Khadija, une femme deux fois veuve et de vingt ans son aînée. De plus, bien qu’il ait eu des fils avec cette épouse, tous meurent en bas âge. Or, ne pas avoir de descendants masculins, en Arabie, était perçu comme une véritable tare. Cela explique l’insulte lancée contre lui à La Mecque quand il est traité de « châtré » (Coran108, 3). Par conséquent, son statut n’a rien à voir avec ce que décrit l’histoire sacrée, qui le présente comme un homme respecté de tous. Dans sa tribu, la parole de Mahomet n’est écoutée par personne, pas même par ses oncles. Il finit par être banni de son clan et doit quitter la ville.
 
OBSERVATION
 
La professeure nous dit que «La Mecque était de longue date un site sacralisé du fait qu’on y avait trouvé un point d’eau qui ne tarissait pas» ! On peut remarquer une affirmation arbitraire qui consiste à lier la sacralisation de la Mecque à un point d’eau et vise en filigrane, à écarter tout lien avec l’édification de la Kaaba par Abraham et Ismaël (paix sur eux), (Coran, 2 : 127) La professeure choisit de faire croire que c’est le point d’eau qui ne tarissait pas, sans en dire plus de ce miracle, et des pierres portées (bétyles) par la Kaaba qui constituent le fondement du pèlerinage antique accompli dans cette localité. D’où on déduit que le Hajj résulte d’une islamisation du culte de ces bétyles ! Cela fait trop court et obscur car il en faudrait plus pour nous expliquer par exemple le lien entre ces bétyles et la Kaaba. Laquelle a précédé l’autre ou sont-elles contemporaines ? Que fait la Kaaba dans cette localité et pourquoi les bétyles sont-elles portées par ses murs, etc. ? Il n’est pas facile d’évincer la Kaaba comme édifice cultuel fondé par Abraham avec l’aide de son fils Ismaël (paix sur eux).
 
La professeure poursuit : « Abraham, que le Coran institue comme fondateur de la Kaaba (2, 127), en marge du conflit avec les juifs médinois, n’y est évidemment pour rien. » ! Où sont les évidences qui rendraient si « évidente » cette assertion selon laquelle Abraham (paix sur lui) n’est pour rien dans la fondation de la Kaaba ? Pourquoi vouloir écarter d’un revers de main ce que le Coran dit sur le rôle qu’Abraham (et son fils Ismaël - paix sur eux) a eu dans l’édification de la Kaaba de façon aussi lapidaire et sans le moindre début de démonstration ? En quoi l’existence d’un culte saisonnier autour de la Kaaba est-elle incompatible avec l’énoncé coranique selon lequel Abraham a été le fondateur ou le refondateur de la Kaaba, si on tient compte de la thèse selon laquelle cet édifice cultuel a été fondé depuis Adam (paix sur lui). Où sont les évidences, les preuves de la fausseté de ce que dit le Coran à ce sujet ? Ou faudrait-il se limiter à un argument d’autorité « C’est la professeure Jacqueline Chabbi qui l’a dit ! » ? De plus, il faut noter que le Hajj n’est pas du tout un culte saisonnier car son temps légal d’accomplissement peut advenir à n’importe quelle saison si l’on sait que le calendrier musulman repose sur le cycle lunaire ! Selon la littérature musulmane, ce point d’eau qui ne tarit pas est le résultat du miracle que Dieu a accompli pour soulager Agar et son nourrisson Ismaël (paix sur eux) en proie à la soif après qu’Abraham les a laissés dans ce lieu désertique (Coran, 14 : 35-37. C’est alors que des membres d’une tribu arabe Banù Jurhùm arrive sur les lieux et finit par y résider vu les avantages que ce point d’eau « ZamZam » présentait dans ce milieu désertique. C’est ainsi qu’Ismaël (paix sur lui) va naturellement parler la langue arabe de cette tribu. C’est ainsi qu’il est considéré comme étant l’ancêtre des arabes de la tribu des Quraychites à laquelle appartient Muhammad (saws). Abraham (paix sur lui) reviendra à cet endroit plus tard y édifier ou refonder la Kaaba après que Dieu lui a indiqué l’endroit exact où il devait le faire. (Coran, 22 : 26).
 
Ensuite Dieu ordonne à Abraham de faire l’appel au Hajj pour toute l’humanité après lui avoir indiqué le rituel à faire en rapport avec la Kaaba et le trajet qu’avait emprunté Agar à la recherche d’eau. On voit bien que l’idée implicite de la professeure Chabbi est de faire croire que c’est pour donner une place de choix à la figure d’Abraham (paix sur lui) que les juifs de Médine présentaient comme leur patriarche dans la foi et l’Alliance avec le Dieu unique, que le Coran aurait fait de lu ile fondateur de la Kaaba. Présentée comme une hypothèse, cette idée ne poserait pas de problème car ce serait à la recherche de la confirmer ou non. Par contre, affirmer qu’Abraham « n’y est évidemment pour rien » sans rien démontrer relève d’une démarche qui n’a rien de scientifique. Donc, il faudra expliquer la pertinence de cette « astuce » par laquelle le Coran chercherait à faire le lien entre la Kaaba et Abraham étant donné que l’autre partie prenante du conflit n’en a cure ! Et d’ailleurs, c’est l’occasion de le dire ici, on ne peut pas, comme le fait la professeure Chabbi, prendre le Coran pour preuve dans certains cas et dans d’autres pas !
 
Ces propos de la professeure Chabbi sont étonnants : « Dans sa tribu, la parole de Mahomet n’est écoutée par personne, pas même par ses oncles. Il finit par être banni de son clan et doit quitter la ville. » ! En effet, à suivre la professeure Chabbi, aucun des premiers musulmans, qu’il faut compter parmi ceux qui ont écouté le prophète (saws), n’était issu de la tribu de ce dernier ? De plus, si personne n’écoute Mahomet, pourquoi le pousser à quitter la ville ? A noter aussi que la professeure Chabbi ne nous dit pas quelles sont les étapes clés de l’exil de Mahomet, ce que nous allons faire à sa place : au tout début, il y a eu adhésion à son message de Mecquois, hommes et femmes, puis, un boycott socioéconomique de presque trois ans est intervenu contre les premiers musulmans (pour quelqu’un qui n’est écouté par personne !), après, il y a un premier départ de quelques musulmans vers l’Abyssinie où ils sont protégés par le Négus chrétien. A deux reprises, le prophète (saws) accepte le serment d’allégeance de Médinois et Médinoises venus faire le pèlerinage à la Mecque. Il enjoint les Mecquois musulmans de quitter la Mecque pour Yathrib (ancien nom de Médine) chacun selon ses moyens. Puis, il va accomplir ce que l’histoire a retenu sous le nom d’Hégire (hijrah) en compagnie d’Abu Bakr, fidèle d’entre les fidèles compagnons. Bien des gens l’ont écouté avant l’Hégire ! Il faut aussi noter que dans la sourate « quraich », le Coran dit aux membres de cette tribu d’adorer le seigneur de cette maison « rabbahâzalbayt », ce qui veut dire que l’invitation au Tawhid est déjà présente dans la révélation reçue par le prophète Muhammad (saws) à la Mecque. Cela infirme ce que la professeure Jacqueline Chabbi dit quand elle veut nous fait croire que c’est tardivement que le prophète Muhammad (saws) va adopter le thème du Dieu unique inspiré en cela par la Bible. « Il est épousé (et non l’inverse !) par Khadija, une femme deux fois veuve et de vingt ans son aînée ». Que vient insinuer encore la professeure avec ce genre d’affirmation ? Les sources connues nous disent effectivement que c’est Khadija qui a manifesté le désir de se marier avec Muhammad (saws), mais s’arrêter à cette étape de l’histoire pose problème. En effet, il faut noter que c’est après avoir entendu que cet homme était réputé digne de confiance « al amin » que Khadija l’a engagé comme employé.
 
Puis, de plus en plus convaincue des sublimes vertus que lui racontaient les gens de son entourage sur Muhammad (saws), elle finit par envisager de se marier avec lui. Dans les sources musulmanes, il est bien dit que Muhammad (saws) est resté réticent un bon moment avant d’accepter le mariage. Si ce procédé était rare à l’époque, il faudrait plutôt le mettre sur le compte de la noblesse de caractère de Muhammad (saws). En effet, selon les moeurs de la tribu des Quraychites, et pas seulement chez eux, voir une dame d’un statut social distingué et riche se marier avec un homme qui n’en avait pas autant ou plus relevait de l’exception et non de la règle sociale. Donc, ce mariage était le signe de l’exemplarité exceptionnelle de Muhammad (saws) aux yeux de Khadija, une femme respectée qui n’avait aucune raison de se marier avec un homme que la professeure Chabbi nous présente comme suit « (…) son statut n’a rien à voir avec ce que décrit l’histoire sacrée, qui le présente comme un homme respecté de tous » ! La professeur Chabbi de rajouter : « De plus, bien qu’il ait eu des fils avec cette épouse, tous meurent en bas âge. Or, ne pas avoir de descendants masculins, en Arabie  était perçu comme une véritable tare. Cela explique l’insulte lancée contre lui à La Mecque quand il est traité de « châtré » (Coran 108, 3). Par conséquent, son statut n’a rien à voir avec ce que décrit l’histoire sacrée, qui le présente comme un homme respecté de tous. Dans sa tribu, la parole de Mahomet n’est écoutée par personne, pas même par ses oncles. Il finit par être banni de son clan et doit quitter la ville. »
 
OBSERVATION
 
Dans les sources écrites, Muhammad est surnommé « al amin » (le digne de confiance), son mariage avec Khadija dans les circonstances susmentionnées et d’autres considérations indiquent bien qu’il était respecté dans sa tribu. La professeure part des faits comme la mort à bas âge de ses garçons et de ce que les Mecquois hostiles au message de Muhammad (saws) en ont fait en vue de discréditer sa personne pour nous sortir un « Par conséquent… ». Il est clair que le but des Mecquois en cause était de s’attaquer de façon malveillante à la personne du prophète aux fins de pouvoir remettre en cause le message coranique dont il était le dépositaire. Une façon d’insinuer qu’un vrai prophète ne devait pas avoir cette « tare » de ne pas avoir d’enfants mâles ! D’abord, pour elle, seuls les récits dont elle ne cite pas les sources et qui confortent ses préjugés sont crédibles, tout le reste relève de l’histoire sacrée qui falsifie la « vraie » biographie de Muhammad ! Par argument d’autorité, c’est sa version jamais étayée par un début de démonstration ou de preuve qui est la bonne ! Comment une scientifique peut-elle dire en toute rigueur qu’un individu n’est pas respecté de tous tout simplement parce qu’il est insulté par des gens qui lui sont hostiles ? Et l’adage qui dit que « nul n’est prophète chez lui » ? Si on applique la conclusion qu’elle tire de ce qui précède à d’autres prophètes (Paix sur eux) de la Bible, aucun de ces derniers n’était alors respecté de tous : ils ont été traités et accusés de tout ce qui pouvait participer à leur diabolisation, frappés, bannis, certains tués ! A quelles sources, notre professeure a-t-elle puisé cette assertion étrange : « Dans sa tribu, la parole de Mahomet n’est écoutée par personne, pas même par ses oncles ! » Que dire des premiers qui acceptent son message ? Même peu nombreux, ils sont quand même de sa tribu ! Que ses oncles ne l’écoutent pas ne remet pas forcément en cause sa sincérité et la vérité de son message.
 
A la question « Quel est le sens de son prêche ? », la professeure donne une réponse étrange : « Ce que Mahomet demande initialement à sa tribu, c’est plus de solidarité. Contrairement à une idée reçue, les Mecquois n’étaient pas de grands caravaniers. Mais ils semblent avoir réussi à mettre sur pied, à la fin du VIe siècle, un modeste trafic de deux voyages, l’un d’hiver vers la frontière du Yémen et l’autre de printemps qui aurait longé la côte de la mer Rouge en direction du nord (Coran 106, 2). Certains clans se seraient alors enrichis, mais auraient refusé de se montrer solidaires avec ceux restés sur place, pour s’occuper notamment du culte de la Kaaba. L’inspiration première de Mahomet consiste à « avertir » la tribu que si elle persiste dans cette conduite inique, elle va en subir les conséquences. Un homme de tribu devait en effet avertir les siens de tout danger qui les menacerait. »
 
OBSERVATION
 
Sur la base du conditionnel, la professeure Chabbi va nous expliquer ce qui motive « l’inspiration première de Mahomet ». Selon elle, certains clans se seraient enrichis. A cette assertion au conditionnel, on peut associer les questions suivantes : lesquels ? Et comment cela s’est-il manifesté à l’époque ? On comprend bien que pour la professeure, Mahomet n’est pas un prophète, c’est un imposteur qui aurait profité d’une fracture clanique pour dérouler son agenda. Mais, se posent alors entre autres questions, celle de savoir pourquoi, brusquement, Muhammad (saws) tire inspiration de ce supposé manque de solidarité entre les clans de la tribu des Quraychites pour se déclarer prophète car c’est de cela qu’il s’agit ? Combien d’individus ont combattu des injustices sociales sans pour autant se prévaloir du statut de prophète ? Il serait donc intéressant que la professeure nous explique en quoi Muhammad (saws) a trouvé nécessaire de le faire. Mais, déjà qu’elle parle au conditionnel… En outre, les sources de l’histoire dite sacrée indiquent clairement que les premiers versets révélés à Mahomet ne laissent en rien apparaitre des questions de justice clanique (Coran, 96 : 1 - 5). De plus, les premières paroles que Muhammad (saws) prononce quand il reçoit les premières révélations se rapportent à l’Unicité de Dieu « Laa ilaha illallah » (il n’y a de dieu que Dieu) et les premières obligations qui lui sont adressées sont relatives à la prière nocturne. (Coran, 73 :1-6).
 
Que la professeure nous donne des sources qui indiquent que Muhammad (saws) qui se dit prophète insiste particulièrement sur les injustices claniques au sein de sa tribu lors de son « inspiration première». (A suivre)
Fait à Dakar, le 07/05/2021
Imam Ahmad Kanté
 
[[1]]url:#_ftnref1 https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2020/06/07/a-la-recherche-du-mahomet-de-l-histoire_6042044_6038514.html#:~:text=Les%20sources%20concernant%20Mahomet%20ont,du%20proph%C3%A8te%20de%20l'islam.&text=Le%20point%20avec%20Jacqueline%20Chabbi%2C%20sp%C3%A9cialiste%20de%20l'islam%20classique
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