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La malédiction des ressources

Mardi 16 Mai 2017

C’est toujours le pouvoir politique et ses animateurs qui finissent par payer l’ardoise sociale de la mal-gouvernance des ressources nationale et le coût du malaise de la souveraineté économique tronquée


La malédiction des ressources
Par Mamadou Sy Albert
 
La démission du Ministre de l’Énergie n’aurait probablement pas suscité des interrogations sérieuses, si elle relevait exclusivement du domaine des convenances personnelles ou de divergences d’orientations économiques et politiques entre le démissionnaire et le Président de la République, d’une part , entre le partant et  le chef du gouvernement et la majorité politique, d’autre part.
 
Le contexte dans lequel le Sénégal et l’entreprise française « Total » ont signé deux accords de coopération dans la recherche du pétrole et du gaz aggrave la suspicion légitime au sujet d’inavouables calculs économiques, financiers et politiques.
 
De nombreux observateurs du retour considérable des groupes français et celui des multinationales occidentales se posent ainsi des questions importantes  autour d’un malaise grandissant au sujet de la gouvernance des ressources naturelles du Sénégal, du pétrole et du gaz en particulier.
 
Les malédictions se succèdent. Depuis l’avènement de la seconde alternance, l’État du Sénégal est confronté à un véritable dilemme politique. Le Président de la République, Macky Sall avait placé sa gouvernance économique  sous le signe de la gouvernance vertueuse et de la transparence.
 
A l’épreuve de l’exercice du pouvoir, la démission du Ministre en charge du pétrole et du gaz pendant que les pouvoirs publics négocient avec le patron de la multinationale française constitue un indice réel d’une mauvaise gouvernance. Dans un pays organisé, le chef de l’État et son gouvernement auraient au moins décalé la signature face à l’avis du Ministre et  son équipe à propos de la passation d’un marché public.
 
C’est une pratique républicaine acceptable qui voudrait que la puissance publique ne soit en aucune façon sous  la pression de l’évènement, des intérêts contradictoires et des passions. La puissance publique doit incarner la sérénité et la solennité de ses actes et de ses engagements singulièrement dans les contextes des affaires où l’erreur d’appréciation et de jugement se paie cash.
 
Le Sénégal n’a pas affiché l’image d’un pays souverain, maître de sa conduite dans une affaire si complexe car touchant à un secteur stratégique de l’économie mondiale. Le malaise est perceptible à travers la démission du Ministre et la signature à pas de charge de deux contrats engageant des intérêts financiers énormes.
 
C’est le Premier Ministre en personne qui prend en charge le processus de finalisation alors qu’un autre Ministère aurait pu achever le processus des négociations dans la continuité régalienne de l’État. La Présidence de la République et la Primature ne s’en porteraient que mieux. L’image diplomatique du Sénégal aurait été également sauve.
 
Quand l’entreprise française réussit à faire signer l’État du Sénégal en « mouillant » le maillot de son Président, celui de son Premier Ministre et des franges importantes de l’équipe gouvernante, elle réussit certainement à mettre à nu toute la procédure de passation de ce  marché réduite au final à l’avis du chef de l’Etat.
 
Il semble établi que la faiblesse majeure des États africains réside en matière de négociations des affaires dans le fait que les multinationales occidentales négocient au sommet sur la tête des autorités ministérielles et des experts nationaux rangés à des moins que rien techniques. Le Sénégal ne semble pas faire une exception à cette règle d’or du capital international faisant fi des avis de l’expertise nationale et des intérêts du pays. « Total » est loin d’être l’incarnation exclusive de cette gouvernance du sommet.
 
Les rivales de l’entreprise française ont procédé presque de la même manière. Les groupes privés internationaux qui ont mené la recherche et ceux qui ont en charge entre autres, l’exploitation du pétrole et du gaz du Sénégal, ont utilisé leurs carnets d’adresse, leurs ressources humaines et financières et bien évidemment, leur capacité d’influence sur la décision politique.
 
Le secteur minier est quasi soumis à ce jeu des influences entre des groupes privés rivaux utilisant chacun ses partenaires locaux, ses alliés et ses complices politiques et ses relais tapis au cœur de l’État. Pendant ce temps, les populations vivant dans ces zones « sous protectorat »  étrangers croupissent dans la misère sociale.
 
Le malaise provoqué par cette manière cavalière d’accéder à la recherche des ressources énergétiques et des énergies renouvelables, leur exploitation et les conditions de gouvernance des ressources publiques, replacent le Sénégal dans le cycle classique des malédictions structurelles, de la corruption, du bradage des ressources publiques et de la mal gouvernance. Ce cycle et ses affaires politiques et financières ont sécrété par le passé, la révolte sociale contre la première alternance politique.
 
Jamais les Sénégalais n’ont autant dénoncé la gouvernance libérale entre 2000 et 2012 en matière de gestion des ressources publiques nationales et locales. La suite de ce malaise national est connue. Les électeurs ont sanctionné les libéraux et la majorité politique aveuglée par des contrats faramineux estimés à des milliards de francs Cfa à l’époque. Certains se sont enrichis. D’autres ont payé cher politiquement.
 
La seconde alternance est avertie par l’histoire économique récente. Les sociétés multinationales n’ont point d’amis. Elles gèrent leurs intérêts et la sécurisation de leurs investissements. C’est toujours le pouvoir politique et ses animateurs qui finissent par payer l’ardoise sociale de la mal-gouvernance des ressources nationale et le coût du malaise de la souveraineté économique tronquée. Elle est sciemment entretenue par des intérêts internationaux.
 
 
 
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