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Dr. Thierno Thioune, Maître de Conférences Titulaire à l’Ucad : «Nous assistons à une explosion injustifiée de la dette.»

Samedi 10 Novembre 2018

Maître de Conférences titulaire à l’Université Cheikh Anta Diop où il dirige le Centre de recherche et de formation pour le développement économique et social (Crefdes) le Dr Thierno Thioune met en garde contre l’accumulation structurelle des déficits budgétaires. Déplorant une explosion injustifiée de la dette ces dernières années, il estime que « les vrais défis se trouvent dans la maîtrise des problèmes de solvabilité et de planification des politiques publiques pour faire face aux engagements financiers d’une part, et d’autre part honorer la facture sociale induite des négociations collectives avec les partenaires sociaux sans compromettre l’équilibre corporatif ».


Dr. Thierno Thioune, Maître de Conférences Titulaire à l’Ucad : «Nous assistons à une explosion injustifiée de la dette.»
Niveau de la dette
 
« En un temps record, le Sénégal a contracté des emprunts importants auprès des institutions de Bretton Woods qui, elles-mêmes grandes contributrices de la dette du pays, sonnent aujourd’hui l’alarme en alertant sur un déficit de l’ordre de 115 milliards de francs Cfa imputable à une baisse des recettes de l’État. Le financement de ce déficit budgétaire, qui est une situation dans laquelle les recettes du budget de l’État sont inférieures aux dépenses, fait augmenter la dette qui constitue l’ensemble des emprunts effectués dont l’encaisse résulte de l’accumulation de ces déficits. Il est alors évident que la succession des déficits favorise l’apparition de nouveaux déficits.
 
Ainsi, en se gonflant, la dette provoque un effet boule de neige. En témoigne le record absolu  fait par le Sénégal récemment qui voit sa dette dépasser les 6 000 milliards de francs Cfa. Et pourtant, le Sénégal a bénéficié dans un passé récent des annulations des initiatives Ppte (Pays pauvres très endettés) et d’allègement de la dette.  La position qui consiste à vouloir résumer cette baisse des recettes par la hausse des prix mondiaux du pétrole, couplée au maintien de la stabilité des prix de l’énergie au niveau intérieur peut paraitre fataliste si l’on sait que cette situation demeurera et contribuera à peser sur les dépenses de l’État compte tenu de la vulnérabilité et de la dépendance de notre économie.
 
Alors que les vrais défis se trouvent dans la maitrise des problèmes de solvabilité et de planification des politiques publiques pour faire face aux dettes échues ou aux engagements financiers d’une part, et d’autre part honorer la facture sociale induite des négociations collectives avec les partenaires sociaux sans compromettre l’équilibre corporatif ».
 
Accumulation des déficits
 
« L’Etat sénégalais a besoin de liquidités pour les opérations courantes et, notamment, pour payer la portion à court terme de sa dette dans un contexte où : les signes de tension sont visibles notamment le premier indicateur qui est le niveau d’endettement avec une hausse du service de la dette de 240% en 5 ans et absorbant près de 40% des recettes. Au même moment la dette est à plus de 85% de nos capacités d’endettement (60%). Il y a une contrainte majeure d’augmenter la pression fiscale déjà élevée du pays proche des critères de compétitivité de l’Uemoa qui sont fixés à 18%. Et il y a une absence de ressenti des retombées de la croissance avec un taux chanté à 7,2%. Quoi qu’il en soit, même si le rythme d’endettement rapide du Sénégal pourrait se justifier, ce qui ne laisse personne indifférent c’est un service de la dette du Sénégal qui a grimpé entre 2014 et 2017.
 
Cette célérité constatée, alors, nous amène à la nécessité de repenser un modèle d’endettement plus soutenable, plus juste et plus viable.  Cette vélocité de la croissance de la dette m’inquiète et ce n’est que la conséquence «des dettes chères» que le Sénégal a contractées ces dernières années à des taux de 8,75% sur 10 ans et de 6,25% sur 16 ans. Ne cherchons pas à dégonfler la bulle mais plutôt à corriger en surveillant  ce service de la dette. En restant sur cette dynamique, la dette publique ne serait pas une bonne chose. Elle coûterait cher, son service continuerait d’absorber une part plus importante des recettes de l'État, et donc pèserait sur les choix du gouvernement et s'imposerait aux générations futures. 
 
Toutefois, la dette n'est pas non plus l'horreur absolue. Elle est justifiée si elle finance des dépenses productives. Mais le drame du Sénégal est que la dette a explosé ces dernières années sans aucune justification. Le budget est en déficit depuis et se creuse dans le déficit. Si les réussites à investir une enveloppe de 6460 milliards reçus des bailleurs avec près de 1800 milliards dans les infrastructures et services de transport contre 969 milliards dans l’énergie, 839 milliards dans l’agriculture peuvent êtres nombreuses, les critiques adressées au pays s’accentuent à mesure que la pression sur les finances publique augmente ».
 
Risque de banqueroute
 
« Il est bon de rappeler et pour finir aux autorités en charge de l’économie et de la finance qu’il est peu probable qu’un gouvernement voit son ratio d’endettement fortement augmenter lorsqu’il augmente ses dépenses pour affronter une récession, et ce même si sa dette publique est initialement élevée. Le Sénégal arrivera-t-il à résoudre la difficile équation entre relance budgétaire et soutenabilité de la dette ?
 
Il est temps de comprendre et de faire comprendre qu’il y a un temps pour la rigueur, et un temps pour utiliser les marges de manœuvre. La rigueur budgétaire s'impose dans les bonnes années et notre problème d'aujourd'hui trouve son origine dans le fait que le temporaire a la mauvaise habitude de devenir permanent. C'est vrai, depuis très longtemps, tous les déficits sont présentés comme temporaires, mais ils perdurent et la dette ne cesse de grossir.
 
Si nous la laissons filer une fois de plus, nous continuons dans la voie détestable dans laquelle nous nous fourvoyons depuis trop longtemps. Si on y prend pas garde avec l’accumulation des déficits,  il faudra redouter une crise de la dette au Sénégal qui le qualifierait d’office au programme de politique d’ajustement qu’il a connu jadis dans les années 80 ou le placerait dans une perspective d’une politique d’austérité et craindre ainsi le syndrome grec ». (propos recueillis par Mohamed NDJIM)
 
 
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