La cantatrice sénégalaise Khar Mbaye Madiaga, décédée ce samedi à Rufisque (ouest), sa ville natale, à l’âge de 87 ans, restera un monument de la survivance de valeurs et traditions de l’identité sénégalaise. Comme cette Maison des arts et de la culture de Rufisque qui porte son nom.
Khar Mbaye Madiaga, qui sera inhumée à 17heures, à Rufisque, a été un trésor vivant de la culture, pour avoir apporté sa pierre à l’édification de la culture populaire sénégalaise.
C’est pourquoi, plus qu’une pierre, elle a mérité cette Maison des arts et de la culture de Rufisque, inaugurée le 18 juin dernier, qui porte son nom. Une reconnaissance de la nation, et surtout de la ville dont elle est originaire.
Fatou Khar Mbaye, à l’état civil, qui a vu le jour le 4 février 1938, a été une figure de référence. La célèbre cantatrice demeure ‘’une identité authentique’’, avait dit d’elle l’historien et universitaire à la retraite, Mbaye Thiam, à l’occasion de l’hommage qui lui a été rendu le 18 juin dernier par le maire de Rufisque Oumar Cissé.
Elle se veut, avant tout, l’incarnation de l’idéal sénégalais de la beauté et du charme, avec sa noirceur d’ébène, chantée par l’ancien président Léopold Senghor dans son célèbre poème ‘’Femme noire’’. C’est un message, un livre qui parle à l’image de ses chansons qui galvanisent tout un peuple. Son port vestimentaire, caractéristique des traditions sénégalaises, son tatouage, ‘’renvoient à toutes les valeurs de beauté physique de la Sénégalaise qui doivent être enseignées et mises en avant dans ce pays’’, ajoutait Mbaye Thiam.
Auteure du « Kaaro Yalla », l’hymne envoûtant pour les Lions et les lutteurs
Khar Mbaye se démarque aussi par son répertoire discographique incluant des morceaux à la fois pédagogiques, spirituels et historiques, avait renchéri l’historien Mamadou Diouf, enseignant à l’Université Colombia, aux Etats-Unis, lors de l’hommage rendu à l’artiste.
La diva s’est d’abord fait la main dans les cérémonies familiales et animations dans les quartiers comme les séances de lutte traditionnelle, les séances de jeu du faux lion ou “simb”, “mbapate” et “lamb”, avant de se révéler, très jeune, aux côtés du promoteur de spectacle Badou Sow Ardo. Son aura a continué d’augmenter avec l’aide de d’Alassane Ndiaye ”Allou”, considéré comme le ‘’père du reportage sportif’’ en Afrique.
Sous l’aile de Babacar Mbaye ‘’Kaba’’, figure emblématique du folklore sénégalais des années 1950, elle commence à se produire dans les combats de lutte organisés dans sa ville natale, qui comptait à cette époque pas moins de cinq arènes. De cette époque date son titre ‘’Kaaro Yalla’’, hymne à la bravoure devenu un des classiques de l’animation des arènes sénégalaises.
Cette chanson ‘’Karooo Karo Yalla, nélene Karo karooo Yalla’’ a fouilleté l’orgueil des lutteurs dont certaines paroles comme ‘’bayileen sen yaaba ji te laale, laaley baaxu goor’’ (dépasser vos balancements des bras et faites un combat d’homme) ou encore ‘’li ngay def, bu doon lambi jigéen sax jeex na’’ (si c’était un combat de femmes, on n’en parlerait plus) sonnent comme une critique les incitant à se donner à fond.
Ce titre galvanisera aussi la génération 2002 pour la participation historique du Sénégal à la Coupe du monde de football.
Il serait toutefois rédhibitoire de se limiter à présenter la célèbre cantatrice, figure éminente de la culture lébou, comme une chanteuse des arènes, comme en attestent quelques-uns de ses titres les plus légendaires. Il y a, dans ce lot, ‘’Ayay Bimbam’’ par exemple, une chanson d’amour pleine de conseils dédiée à la jeune mariée, mais aussi ”Khaléyi”, titre dans lequel la cantatrice se préoccupe du sort des jeunes souvent laissés à eux-mêmes. Khar Mbaye y donne à travers des illustrations, la situation de l’enfance.
Si l’œuvre musicale de Khar Mbaye, considérée comme la meilleure de sa génération, est intemporelle comme l’on dirait de celle des ténors de la musique sénégalaise, c’est parce que ces chansons traditionnelles comme modernes ont une profondeur de sens qui éveille les consciences.
Une “fidèle en relation”
Au-delà de cette dimension pédagogique de ses titres, comme l’historique ‘’Mbayo Mbaye’’ et ‘’Bidemtiwo’’ dédiée à Serigne Babacar Sy, le khalife de Tivaouane, une communauté musulmane dont elle se réclame, est aussi révélateur d’une époque.
‘’+Bidemtiwo+ est une chanson historique qui raconte comment le projet tidiane de Maodo Malick s’est développé, quels sont les Mouhadams et où est-ce que ces Mouhadams ont été placés et pourquoi ces lieux’’, analyse Professeur Mamadou Diouf. Ce qui l’atteste, selon le professeur Mbaye Thiam est sa relation de “fidélité” à ses convictions les plus profondes à la “khadra” de Tivaouane et à Serigne Babacar Sy. Son chapelet à la main droite est le signe distinctif de sa personnalité.
Khar Mbaye Madiaga est aussi reconnue pour sa fidélité à sa ville dont elle est le symbole. Car son engagement local se mesure par son accompagnement à des figures politiques emblématiques de Rufisque, à l’image de Alioune Badara Mbengue puis Me Mbaye Jacques Diop.
Sorano, un passage déterminant
Son admission, en 1964, au sein de l’Ensemble lyrique du Théâtre national du Sénégal, devenu l’Ensemble lyrique de la Compagnie du théâtre national Daniel Sorano, a aussi joué un rôle déterminant dans son parcours.
A Sorano, Khar Mbaye Madiaga a retrouvé une génération de virtuoses de la musique traditionnelle, tels que Amadou Ndiaye Samb, Samba Diabaré Samb, Ablaye Nar Samb, Sombel Faye et d’autres encore.
La diva a eu l’opportunité de s’ouvrir davantage et de s’aguerrir au contact d’autres artistes avec lesquels il a participé au premier Festival mondial des arts nègres en 1966, sans compter les multiples voyages avec les présidents Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, jusqu’à sa mémorable prestation au siège de l’UNESCO, à Paris, devant le président Abdoulaye Wade, au milieu des années 2000. C’est dire combien la trajectoire de cette légende a épousé les contours l’évolution politique et artistique du Sénégal. [APS]







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