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Glencore, un système de corruption à ciel ouvert impuni en Afrique : Nigeria, Cameroun, Côte d’Ivoire et Guinée Equatoriale (Partie 1)

Samedi 5 Août 2023

Dans six pays africains (Nigeria, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée Equatoriale, RD Congo et Soudan du Sud), Glencore, négociant multinational suisse, s’est livré à des pratiques de corruption qui ont fait perdre des milliards de FCFA aux finances publiques de ces Etats. Les documents du Département américain de la justice (DoJ) révèlent les procèdes criminels mis en œuvre auprès de fonctionnaires publics corrompus. Jugée et condamnée à Londres ainsi qu’aux Etats-Unis, Glencore reste impunie en Afrique…



Aux alentours du 25 septembre 2014, un fonctionnaire de la Nigeria Intermediary Company agissant sous le pseudonyme de ‘’Employé NIC1’’ transmet un mail à ‘’Stimler’’, un agent de liaison dévoué de Glencore. Dans le message, ‘’X’’, fonctionnaire haut placé dans le gouvernement nigérian, exige que les « clients » de la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation) s’acquittent d’une « avance » de 300 000 dollars (près de 175 millions de francs CFA) pour financer la campagne d’un politicien haut fonctionnaire en quête de réélection. En contrepartie, Glencore, client de longue date de la compagnie nationale, recevrait des cargaisons de pétrole brut.
 
Nigeria Intermediary Company, entité créée à Chypre, travaille en société-écran pour le compte des filiales de Glencore UK : elle leur revend les cargaisons de pétrole brut qu’elle achète auprès de la NNPC.
 
Au Nigeria, les activités de corruption développées par Glencore durant plusieurs années ont permis au géant suisse de réaliser des bénéfices évalués à 124 millions$ (environ 72,5 milliards FCFA). Plusieurs dizaines d’opérations effectuées sous le sceau de la corruption ont mis en scène des cadres intermédiaires et responsables de haut niveau de la multinationale suisse, des fonctionnaires corrompus travaillant dans des organismes publics, des sociétés croupions jouant les relais entre ces deux parties…
 
Dans un autre courriel en date du 17 novembre 2008 dont l’authenticité a été confirmée par la justice américaine, un négociant de Glencore identifié sous le pseudonyme de ‘’Y’’ demande aux filiales britanniques de la multinationale suisse le versement de 90 000 dollars (environ 52 millions de francs CFA) réclamés par des fonctionnaires de la PPMC, une filiale nigériane de la NNPC. Ces pots-de-vin visent à « sous-évaluer faussement une cargaison de mazout au profit de Glencore », renseignent des documents judiciaires obtenus par IMPACT.SN.
 
Traînée en justice à Londres, Glencore est condamnée en novembre 2022 à une amende de 280 millions £ (près de 211 milliards de francs CFA) pour ses pratiques corruptrices en Afrique. Auparavant, en mars 2022, c’est la justice américaine qui lui infligeait des pénalités d’un montant de 1,1 milliard de dollars pour « corruption et manipulation de marchés », en particulier sur le territoire américain et en Amérique du Sud. La sanction aurait été plus lourde si elle n’avait pas plaidé coupable.
 
Glencore International A.G (‘’Glencore’’) est un mastodonte mondial du commerce de matières premières, de l’exploitation minière, de l’énergie, etc. grâce à un maquis de filiales imbriquées les unes aux autres dont Glencore UK Ltd, Glencore Energy UK Ltd, basées en Grande Bretagne, mais aussi aux Etats-Unis, en Afrique, en Amérique du Sud…
 
SOURICIERE AU NIGERIA 
 
Si Glencore a été condamnée à Londres pour ses pratiques de corruption en Afrique ainsi qu’à New York, elle reste impunie en Afrique. C’est la raison pour laquelle des organisations et mouvements panafricanistes indignés par cette impunité entendent obtenir des poursuites judiciaires afin que les Etats africains victimes de ses agissements soient désintéressés à hauteur des préjudices subis.
 
Au Nigeria, plus grand producteur de pétrole d’Afrique, le système de corruption mis en place par Glencore, ses filiales et ses intermédiaires s’est révélé une véritable souricière dans laquelle des fonctionnaires véreux placés à un très haut niveau de responsabilités ont aidé à amplifier la casse. Ici, l’objectif principal du négociant suisse est de siphonner - à moindres frais – le pétrole brut nigérian et ses dérivés raffinés avec la complicité d’agents influents de la compagnie publique.
 
En intelligence avec ses filiales anglaises dont Glencore UK, Glencore a versé 52 millions$ (plus de 30 milliards FCFA) à deux entremetteurs, West Africa Intermediary Company et Nigerian Intermediary Company, de « 2007 à 2014 inclus », « sachant que l’argent serait utilisé, au moins en partie, pour payer des pots-de-vin à des fonctionnaires nigérians. »
 
Le but est de capter des opportunités commerciales et des avantages indus dans la nébuleuse des hydrocarbures du Nigéria. A cette fin, Glencore a conclu de nombreux contrats d’achat de pétrole avec la NNPC entre 2007 et 2014, contrats suivis et exécutés par Glencore UK Ltd.
 
Au moins deux cadres supérieurs, non formellement identifiés dans les documents juridiques du Département américain de la Justice (DoJ) mais agissant sous les pseudonymes ‘’Executive1’’ et ‘’Executive2’’, ont supervisé et validé ces paiements de pots-de-vin. (voir encadré sur les pseudonymes)
 
West Africa Intermediary Company est le « prestataire » favori de Glencore pour ses activités criminelles dans les pays africains. Sa « mission » ne consiste pas seulement à ouvrir des opportunités pour son commanditaire, elle l’aide aussi à les consolider face aux concurrences diverses. A cette fin, Glencore ne lésine pas sur les moyens.
 
« SYSTEME CRIMINEL STUPEFIANT »
 
En février 2012, un homme de main dénommé ‘’West Africa Agent’’ obtient une approbation de paiement d’une somme de 1.050.981 $ dont une partie est destinée à motiver financièrement un groupe de fonctionnaires nigérians. Ces derniers devaient faciliter l’obtention pour Glencore d’un nouveau contrat de pétrole brut. C’est la filiale Glencore Energy UK Limited qui a effectué le paiement à West Africa Intermediary Company qui est la propriété de…’’West Africa Agent’’ vers le 13 février 2012, selon nos documents. L’homme de main avait envoyé le courriel à trois correspondants : ‘’Stimler’’, ‘’Trader Z’’ et une autre personne non identifiée, en mentionnant en objet « très, très grande urgence ». C’est ‘’Trader Z’’ qui a convaincu ‘’Executive2’’ de passer à l’action, c’est-à-dire au décaissement de l’argent.
 
La machine à corrompre de Glencore, apparemment très huilée avec des officines du gouvernement nigérian, semblait irréversiblement intenable. ‘’Executive1’’ et ‘’Executive2 », sur demande de ‘’Trader Y’’, approuvent en mars 2014 un paiement de 500 000 dollars (environ 250 millions FCFA à l’époque) de Glencore Energy UK Ltd au profit de West Africa Intermediary Company. Sur cette somme, ‘’West Africa Agent’’ a prélevé une partie qu’il a transférée à ‘’Nigeria Official Y’’ comme « pot-de-vin pour appuyer ses démarches » auprès d’autres fonctionnaires nigérians.
 
https://www.impact.sn/Systeme-Glencore-en-Afrique-La-dissimulation-des-corrompus-derriere-des-pseudonymes-Partie-2_a39481.html

Aux Etats-Unis, Damian Williams, procureur de l’Etat de New York, décrit ainsi les agissements de Glencore.
 
« L’ampleur de ce système de corruption criminelle est stupéfiante. Glencore a versé des pots-de-vin pour obtenir des contrats pétroliers. Glencore a aussi versé des pots-de-vin pour éviter les audits gouvernementaux. Glencore a soudoyé des juges pour faire disparaître des procédures judiciaires. En fait, Glencore a versé des pots-de-vin pour gagner de l’argent – des centaines de millions de dollars. Et il l’a fait avec l’approbation et même l’encouragement de la direction. »
 
Il est vrai que, contrairement aux six pays africains, le parquet du procureur de New York a bénéficié des révélations capitales – sous forme d’aveux – du principal responsable des activités pétrolières de Glencore en Afrique l’ouest.
 
Au Cameroun, en Côte d’ivoire et en Guinée Equatoriale, Glencore a quasiment reproduit les mêmes schémas d’accès aux opportunités commerciales qu’elle avait identifiées. Son cheval de Troie est resté le même, la West Africa Intermediary Company, société-écran spécialisée dans la corruption de fonctionnaires. Dans ces trois pays, les « investissements » du négociant suisse ont été évalués à 27 millions de dollars (près de 16 milliards FCFA) entre 2006 et 2014. Une bonne partie du montant a servi à payer des pots-de-vin, rapportent les documents du ministère américain de la Justice. Au total, Glencore a ramassé une plus-value supérieure à 92 millions de dollars (54 milliards FCFA) dans ces trois pays en commercialisant des cargaisons de pétrole brut.
 
CAMEROUN
 
La majeure partie de ces « investissements » a été consacrée au Cameroun, soit 21 millions de dollars (12 milliards FCFA environ) « versés sous forme de pots-de-vin à des fonctionnaires camerounais dans le cadre de transaction associées à des entités appartenant à l’Etat ou contrôlées par l’Etat. » Cela a permis à Glencore de réaliser « un bénéfice de plus de 67 millions de dollars » (environ 39 milliards FCFA) au pays de Paul Biya, selon le Département américain de la Justice.
 
Le Dr Akere Muna, membre du Groupe de Haut niveau de l’Union africaine sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique, cite l’agence anti-corruption britannique Serious Fraud Office (SFO) concernant les pratiques de la multinationale suisse :
 
« Des employés de Glencore ont transporté des pots-de-vin en espèces vers l’Afrique à bord de jets privés et ont utilisé des documents ‘’fictifs’’ pour dissimuler les véritables objectifs de l’argent liquide. Dans le cas du Cameroun, Glencore, selon les documents judiciaires, a transporté, par l’intermédiaire de ses agents au Nigeria, de l’argent liquide à bord de jets privés pour corrompre des fonctionnaires des sociétés d’Etat concernées. Des employés de haut rang de Glencore ont approuvé les retraits d’argent liquide utilisés pour les pots-de-vin. »
 
Ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Cameroun et ex vice-président de l’ONG Transparency International (TI), Me Akere Muna a lancé une véritable offensive contre Glencore au Cameroun en saisissant – avec un dossier d’accusation - le procureur de la République près le Tribunal de grande instance du Wouri à Douala. Le but ultime de cette démarche est de pousser la justice camerounaise à ouvrir un dossier judiciaire sur les pratiques corruptives du négociant helvétique, comme y sont parvenues les justices anglaise et américaine.
 
Dans le document de « Dénonciation écrite » adressé le 10 avril 2023 au dit procureur et obtenu par IMPACT.SN, le Dr Akere Muna, désigne deux entités publiques et une compagnie privée comme auteures de « faits constitutifs d’infractions commise entre 2011 et 2018 par des agents et/ou employés » des dites entreprises. Ce sont : la Société nationale de raffineries du Cameroun (SONARA), propriété de l’Etat camerounais à plus de 80% ; la Société nationale des hydrocarbures (SNH) dont l’Etat est actionnaire unique ; et Glencore Exploration Cameroon Limited, une filiale de Glencore Plc basée à Douala. 
 
La dénonciation repose sur quatre infractions présumées : corruption (telle qu’admise par Glencore dans les documents joints) ; blanchiment d’argent (transport de l’argent de la corruption par avions et contrebande sans passer par les institutions financières comme l’exige la loi ; fraude fiscale et fraude douanière (importation frauduleuse de devises et évitement de la déclaration).
 
« D'après les faits admis et les infractions pour lesquelles GLENCORE a plaidé coupable, on ne peut que présumer que GLENCORE et les deux sociétés camerounaises concernées ont certainement été impliquées dans un système de corruption élaboré et ont, ce faisant, commis plusieurs infractions en violation de nos lois et règlements locaux, ainsi que de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) et de la Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, qui ont toutes deux été dûment ratifiées par le Cameroun », écrit l’ancien vice-président de Transparency International.
 
 COTE D’IVOIRE ET GUINEE EQUATORIALE
 
En Côte d’Ivoire, les transactions criminelles ont permis à Glencore de faire un bénéfice de 30 millions de dollars (17,8 milliards FCFA « entre 2007 et 2010 inclus ». En amont, seuls 4 millions de dollars (2,3 milliards FCFA) ont été mis à la disposition de la West Africa Intermediary Company pour être distribués à des fonctionnaires ivoiriens travaillant dans des entreprises contrôlées ou propriété de l’Etat de Côte d’Ivoire.
 
Avec la Guinée Equatoriale, Glencore a effectué une tranche des « paiements corrompus en espèces depuis (ses) bureaux (de) Baar en Suisse, ou depuis les bureaux des filiales de Glencore UK à Londres, au Royaume-Uni. » D’après le DoJ, Glencore a tenu une « ‘’caisse’’ à Londres jusqu’en 2011 ou vers cette date, et une (autre) ‘’caisse’’ à Baar jusqu’en 2016 ou vers cette date. »
 
« Depuis au moins 2007 jusqu’à 2010 inclus, Glencore a versé plus de 1,5 millions de dollars (près de 900 millions FCFA) à la West Africa Intermediary Company » pour corrompre des fonctionnaires équato-guinéens. En retour, elle a fait des bénéfices de 3 millions de dollars environ 2 milliards FCFA).
 
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