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Pourquoi l’Assemblée nationale n’utilise-t-elle pas la procédure consultative de la Cour suprême sur les propositions de loi ? (Par Mamadou Abdoulaye SOW, Inspecteur principal du Trésor à la retraite)

Lundi 28 Juillet 2025

Mamadou Abdoulaye Sow
Mamadou Abdoulaye Sow

Le processus législatif, pilier fondamental de l’État de droit, repose autant sur la légitimité démocratique que sur la qualité juridique des textes adoptés. En ce sens, la Constitution et les lois organiques prévoient différents mécanismes d’accompagnement et de contrôle en amont. L’un de ces mécanismes, souvent méconnu ou négligé, réside dans la possibilité pour l’Assemblée nationale de solliciter l’avis consultatif de la Cour suprême sur les propositions de loi. Cette faculté, consacrée par la loi organique sur la Cour suprême n° 2017-09 du 17 janvier 2017, modifiée par la loi organique n° 2022-16 du 23 mai 2022, demeure pourtant sous-utilisée (1). Pourquoi l’Assemblée nationale ne recourt-elle pas à cette expertise juridique ? Cette question appelle une analyse du cadre juridique existant, de son utilité potentielle, ainsi que des raisons de son désintérêt apparent.

 

Une base juridique claire mais peu mise en œuvre

 

Selon l’article 80 de la Constitution, le pouvoir d’initiative législative appartient au Président de la République, au Premier ministre et aux députés. L’Assemblée nationale détient, quant à elle, le pouvoir exclusif de voter les projets et propositions de loi.

 

Conscient des limites parfois observées dans la préparation technique des textes, le législateur a, dès 1992, élargi le rôle de la Cour suprême en lui confiant une mission consultative à l’égard du pouvoir législatif. Ainsi, le dernier alinéa de l’article 18 de l’actuelle loi organique du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême permet au Président de l’Assemblée nationale de saisir la Cour suprême, après examen par la commission compétente, pour avis sur une proposition de loi. La Cour suprême, réunie en Assemblée générale consultative, peut alors se prononcer sur la légalité des dispositions proposées et, le cas échéant, sur la pertinence des moyens juridiques utilisés pour atteindre les objectifs visés.

 

Il s’agit bien d’un avis consultatif non contraignant, qui ne porte pas sur les choix politiques du législateur, mais qui vise à sécuriser juridiquement l’élaboration des normes.

 

Une procédure consultative largement ignorée

 

Malgré son utilité potentielle, ce mécanisme reste peu, voire pas utilisé. Aucun exemple marquant de saisine de la Cour suprême par l’Assemblée nationale n’est documenté, ce qui interroge sur la volonté réelle du législateur d’exploiter les ressources à sa disposition.

 

Un cas révélateur est celui de la proposition de loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Ce texte aurait pourtant mérité une relecture juridique par la Cour suprême avant son adoption, ne serait-ce que pour s’assurer de sa pleine conformité aux exigences constitutionnelles. Son examen préalable aurait pu prévenir d’éventuelles contestations futures et renforcer sa solidité normative.

 

Une opportunité à institutionnaliser

 

Face à cette situation, il conviendrait d’encourager l’Assemblée nationale à institutionnaliser le recours à la Cour suprême, notamment pour les propositions de loi à forte portée juridique ou constitutionnelle. Le Président de l’Assemblée pourrait ainsi, de manière discrétionnaire mais raisonnée, sélectionner les textes nécessitant une expertise approfondie.

 

À cet égard, l’exemple de l’article 39 de la Constitution française pourrait inspirer une réforme. Une disposition à intégrer dans le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale pourrait être ainsi formulée « Dans les conditions prévues par la loi, le Président de l’Assemblée nationale peut soumettre, pour avis, à la Cour suprême, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par un député, sauf si ce dernier s’y oppose » (2)

 

Le dernier membre de phrase permettrait de garantir un équilibre entre le respect de la volonté de l’auteur de la proposition et le souci de sécurité juridique. Toutefois, comme le souligne la juriste Séverine Leroyer, confier un tel pouvoir au Président de l’Assemblée, généralement issu de la majorité, n’est pas neutre : il pourrait, même involontairement, faire l’objet de soupçons de partialité de la part de l’opposition 

 

Conclusion

 

En somme, la possibilité offerte à l’Assemblée nationale de consulter la Cour suprême sur les propositions de loi constitue un levier important pour renforcer la qualité de la législation. Pourtant, cette procédure reste largement inexploitée. Il est urgent de mieux intégrer ce mécanisme dans la pratique parlementaire, voire de l’encadrer davantage à travers une réforme du Règlement intérieur. À l’heure où les exigences de sécurité juridique et de contrôle de constitutionnalité se renforcent, un tel dispositif contribuerait à une production législative plus rigoureuse, respectueuse de l’État de droit.
 

1)  Cette possibilité était prévue par le dernier alinéa de l’article 3 de la loi organique n° 92-24 du 30 mai 1992 sur le Conseil d’Etat puis par l’article 29 de la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008.portant création de la Cour suprême.

(2) Une résolution pourrait ensuite être prise pour préciser les modalités d’application de cette nouvelle disposition, notamment en ce qui concerne l’autorité de l’avis de la Cour à l’égard de l’auteur de la proposition de loi et de la commission parlementaire concernée.


SOURCE : MA REVUE DE PRESSE
 

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1.Posté par Me François JURAIN le 29/07/2025 11:24
Cette solution devrait être adoptée par toutes les assemblées nationales, en raison de l'époque dans laquelle nous vivons.

Autrefois, c'est-à-dire il n'y a pas si longtemps, ne se présentaient à la députation que des personnes qui avaient un certain bagage intellectuel, une expérience de la vie active assez prononcée, une expérience de la chose politique extrêmement poussée. N'était pas député qui voulait, mais qui en était digne et surtout, capable, de par son intellect et son parcours professionnel, de remplir sa mission, car c'est une mission, de représenter la nation ou pour le moins, une frange de la nation. Aujourd'hui, de par les avantages pécuniaires que procure la fonction, c'est devenu une opportunité de carrière, et on peut très bien être élu député sans être intelligent ou instruit. C'est ainsi que, par exemple, dans l'assemblée nationale française, vous trouvez, parmi les rangs de la France Insoumise, une femme de ménage, en la personne de Madame KEBE, qui est certainement une personne fort sympathique, certainement performante dans son métier, que je respecte profondément, mais un peu juste pour décider d'une loi qui va s'imposer à une nation entière. Donc, pour éviter des "anomalie" ou des lois inappropriées, il serait bon de faire "corriger sa copie" en amont, par un organisme tel que la Cour suprême ou le Conseil Constitutionnel, d'une manière officieuse. Cela éviterait à certains députés de se ridiculiser (je ferme les yeux pour ne viser personne) et redorerait le blason de cette noble institution qu'est l'assemblée nationale, qui en a grand besoin par les temps qui courent.

Le droit est une science, et ne le comprend pas, ne le décortique pas, et ne le fait pas appliquer qui veut. C'est un métier, qui nécessite de longues années d'études, complétées par de longues années d'expérience. Le droit, les lois ne se concoctent pas sur les réseaux sociaux, ou dans la rue, mais entre spécialistes dans une bibliothèque bien fournie, et ce qui en ressort ne peut être que le fruit de longues discussions, entre professionnels aguerris. Cela parait évident, mais il est bon de le rappeler surtout à ceux qui s'improvisent médecins, avocats, juges, dans l'époque que je qualifierai de "perturbante autant que perturbée", que l'on nous impose actuellement. Donc, gardons nous des sachant qui ont toutes les qualités requises pour briller devant un parterre d’imbéciles patentés, pour leur préférer -et de loin- des spécialistes reconnus et qui n'ont pour briller, que leur savoir, leur science et leur réflexions: ils sont moins glamour, mais autrement plus efficaces et indispensables.

N’ayez pas honte, Messieurs les députés, de faire corriger votre copie par plus professionnels que vous: vous n'en sortirez que grandis!
Me François JURAIN

2.Posté par Momar DIENG le 29/07/2025 12:05
Bonjour Maître Jurain,
Merci encore pour la qualité de vos posts ainsi que pour votre assiduité sur le site impact.sn

Concernant vos propos ci-dessus, vous voulez sans doute parler de Rachel KÉKÉ (et non de Madame KEBE). Je dois vous signaler qu'elle a été député sous l'ancienne législature française sous étiquette de La France Insoumise (LFI), mais elle n'a pas été réélue lors des législatives organisées en après la chute du gouvernement BARNIER 9motion de censure).

Sur un autre plan, se baser sur le parcours non académique de Rachel KÉKÉ pour dire ou suggérer qu'elle ne devait pas se retrouver à l'assemblée nationale me parait assez léger comme argument. Une AN se fait - à mon avis - avec toutes sortes de profils et de compétences dans l'objectif de produire des lois qui défendent les citoyens dans leur diversité. Rachel KÉKÉ (que je ne connais pas personnellement) a ete une militante dure et cohérente dans la lutte contre les abus qui frappaient beaucoup de femmes comme elles travaillant dans l'hôtellerie. Son leadership a été reconnu et célébré par tous.toutes ses camarades... Qui ont pensé qu'elle méritait de poursuivre son combat au siège de la représentation nationale française. On appelle cela de la légitimité !
Cordialement !

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