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Politique par le haut et politique par le bas : Y en a marre dans la démocratie et non Y en a marre de la démocratie !

Mercredi 10 Mai 2017

Par Maurice Soudieck DIONE
Docteur en Science politique,
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis  

Le paradigme du politique par le bas est né au début des années 1980 dans un contexte africain de généralisation des régimes autoritaires de parti unique, où l’État contrôle le sens et l’existence des idéologies et étouffe les libertés démocratiques, en tant que missionnaire exalté et zélé du progrès économique et de l’édification de la nation, finalités du reste théoriquement poursuivies et pas toujours réalisées ; instruments en définitive de légitimation de l’arbitraire et des abus, des tâtonnements et errements de toutes sortes.
 
Dans ces conditions, comment pouvait-on appréhender les objets canoniques du jeu politique, de la politique par le haut donc : soumission de l’État au droit, élections, partis politiques, pluralisme médiatique, espace public, politiques publiques, mobilisations collectives, etc., dès lors que les droits et libertés étaient niés et violés ?
 
Une communauté de chercheurs africanistes inspirés des travaux de Michel Foucault, Michel de Certeau et Antonio Gramsci théorisent le politique par le bas en s’intéressant aux arts de faire des dominés, à leurs capacités d’invention, d’innovation et de corrosion de la domination, car là où il y a pouvoir il y a résistance. En d’autres termes, ils étudient les stratégies déployées à travers des Objets politiques non identifiés (Denis-Constant Martin) ou des Modes populaires d’action politique (Jean-François Bayart), constitués par la danse, la musique, la contrebande, la dérision, l’escapisme, etc., pour tirer des dividendes de l’espace hégémonique, en trompant la vigilance du pouvoir pour ne pas attirer les foudres de la répression.
 
Mais les comportements en question étaient fort équivoques, et ne renvoyaient guère à des actions politiques, clairement définies et effectivement tendues vers la mutation démocratique des sociétés africaines.
 
Le retournement des équilibres géopolitiques et géostratégiques né de l’effondrement du communisme, les révoltes face à la crise multiforme de l’État postcolonial, aux plans politique, économique et social notamment, et les pressions des puissances occidentales tutélaires, convergent vers les processus de transition démocratique en Afrique subsaharienne. Torpillés dans la plupart des cas par les pouvoirs en place, ils aboutissent à des restaurations autoritaires qui sont allées de pair avec l’effectivité de certains droits et libertés ; d’où l’amorce d’une certaine conciliation et réconciliation, entre politique par le haut et politique par le bas.
  
Dans sa trajectoire singulière de démocratisation, on assiste au Sénégal à l’entrée en scène des rappeurs à partir des années 1990, qui dénoncent par la force des mots entre autres maux la corruption, la pauvreté, le chômage massif et endémique, la crise du système éducatif et sanitaire ; ils ont joué une partition notable dans la Révolution pacifique de 2000.
 
Cet élan des jeunes artistes engagés se raffermit avec les frustrations et déceptions produites par le régime dit de l’alternance, ils franchissent le Rubicon à travers les mobilisations du Mouvement du 23 juin (2011) pour le retrait du projet de loi scélérate visant à élire en même temps le Président et son Vice-président avec seulement 25 % des voix ! Et ensuite contre la candidature à un troisième mandat du Président Wade en 2012 : Abdoulaye, faux pas forcé (faut pas forcer), prévient le groupe Kër gi, partie intégrante et prenante de Y en a amarre.
 
Ce mouvement citoyen a participé à cette dynamique de connexion entre la politique par le haut, celle qui concerne les normes et institutions de la République, dominée par les élites, et la politique par le bas, comme expression légitime des aspirations et préoccupations populaires, de plus en plus insuffisamment prises en charge.
 
La marche organisée avec succès le 7 avril dernier par Y en a marre, avec la participation de l’opposition, doit être analysée comme un signal fort pour les tenants du pouvoir, car à chaque fois qu’une telle conjonction de forces politiques et sociales se réalise, c’est que des fondamentaux ne sont pas respectés dans le fonctionnement de la démocratie sénégalaise. Plutôt que de persévérer diaboliquement dans l’erreur de la violence verbale, des intimidations et de la répression, qui semblent nourrir une vision politique funeste : Y en a marre de la démocratie, il sied de faire preuve de lucidité et de discernement, car nul ne peut empêcher les Sénégalais d’extérioriser leur mécontentement, dans le cadre de l’État de droit.
 
Y en a marre dans la démocratie renforce les institutions et la crédibilité du pouvoir en rappelant qu’il doit toujours être arrimé aux besoins du peuple et préserver les principes et valeurs démocratiques comme bases essentielles d’organisation et de canalisation de la compétition politique, de manière à centrer et concentrer celle-ci autour de l’essentiel : la résolution des questions cruciales de développement !
 
 
 
 
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