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Pierre Buyoya (représentant de l’Union africaine pour le Sahel): «Une bonne gestion des ressources naturelles africaines requiert de bons leaders.»

Dimanche 14 Mai 2017

Pierre Buyoya (représentant de l’Union africaine pour le Sahel): «Une bonne gestion des ressources naturelles africaines requiert de bons leaders.»
Interview réalisée à Bahir Dar (Ethiopie) par : Dominique Mobioh Ezoua (Fraternité Matin, Côte d’Ivoire) & Momar Dieng (Nouvel Hebdo, Sénégal)
 
Monsieur le Président, à l’issue des débats sur la gestion des ressources naturelles au bord du lac Tana, quelles sont vos conclusions : source de troubles ou facteur de paix ?
Je pense que les choses ne sont pas aussi simples que cela. Certes on a constaté que si l’Afrique regorge de ressources naturelles, elle reste cependant un continent pauvre, et de plusieurs manières. Notamment avec ces populations jeunes qui risquent leur vie pour aller se chercher un autre destin sous d’autres cieux…
 
Vous parlez du phénomène des migrants ?
Oui. Mais aussi et surtout, il y a le niveau de pauvreté existant dans plusieurs pays africains. Le premier constat que nous avons donc fait est que jusqu’à présent, nous ne sommes pas parvenus, pour l’essentiel, à tirer profit des ressources naturelles que nous avons. Pour plusieurs raisons. Il y a les raisons liées à notre histoire. Pendant longtemps, ces ressources ont été exploitées par d’autres ; et quand les Africains y ont eu pleinement accès, eux-mêmes ne les ont pas bien gérées. De fait, nous avons beaucoup insisté sur l’effet de la gouvernance et du leadership pour voir de quelles manières les ressources naturelles peuvent bénéficier concrètement aux Africains.
 
Il y a aussi les conflits que ces richesses génèrent…
Effectivement, on a constaté que l’exploitation de ces ressources est source de conflits car l’exploitation et la gestion des revenus générés le sont d’une manière inégale, inégalitaire et anarchique. Des acteurs extérieurs viennent exploiter ces ressources, bien souvent avec la complicité des Africains et de leurs leaders. C’est la raison pour laquelle on a beaucoup insisté sur la question du leadership et d’une bonne gouvernance. Notamment sur le fait que si la gestion de l’Etat par ces leaders ne change pas, on n’ira pas loin. Car on s’est demandé : l’éléphant dans le magasin de porcelaines, c’est qui ? C’est malheureusement l’Etat-nation. Les autres leaders de la société que sont la société civile, les syndicats, les activistes divers, doivent aussi jouer leur rôle pour obtenir plus de transparence dans la gestion de nos ressources naturelles. C’est cette transparence qui apportera la confiance entre l’Etat et les populations. 
 
Vous avez déclaré au cours de ce forum  qu’il faut une bonne gouvernance et un bon leadership. Mais l’Afrique en a-t-elle les moyens et ressources ? Quelle stratégie mettre en place pour y arriver ?
C’est une bonne question. Et peut-être que Tana 2017 n’y a pas répondu. Mais au moins tout le monde s’est accordé pour dire que la bonne gestion de nos ressources naturelles passe par la garantie d’avoir de bons leaders qui se préoccupent des intérêts de la nation, qui gèrent les ressources naturelles et leurs revenus pour le bien des collectivités. Il faut définitivement éviter désormais les situations où les leaders en question gèrent ces ressources pour s’enrichir. Alors, quelle stratégie pour arriver à cela ? La réponse à la question n’est guère évidente. Dans un pays, il y a ceux qui sont au pouvoir, les gestionnaires de l’Etat, qui traitent et signent les contrats pour le pétrole, le minerai… Mais ces gestionnaires ne représentent pas tout le pays. Il faut impliquer un maximum de personnes. Notamment la société civile, les syndicats, les medias, les partis politiques, tous soucieux de l’intérêt de la nation.
 
Mais qui va mettre cette stratégie en place?
Un leadership va tenir à l’œil les gens qui gouvernent. En obligeant ces derniers à rendre compte de ce qu’ils font. Pour plus de responsabilité et de transparence d’une part. Et pour moins d’opérations mafieuses d’autre part.
 
Avez-vous un exemple du système que vous décrivez qui fonctionne déjà dans un des pays africains ?
J’ai un exemple dans mon pays, le Burundi. Un jeune homme de la société civile au Burundi, a créé une association, OLUCOME (Observatoire de lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques), pour lutter contre la corruption, thème dont on a beaucoup parlé au cours du forum. Cette organisation a fait des recherches discrètes sur les contrats passés dans certains domaines, et cela a abouti à la révélation, dans les journaux notamment, de nombreuses malversations suivies de nombreux scandales. Si au Burundi, nous avions quatre à cinq organisations de ce genre, on ferait de sacrés bonds en avant dans la lutte contre la corruption. Mais cela passe par l’engagement des uns et des autres, comme celui de ce Burundais. Je pense qu’une vraie responsabilisation des Africains aboutira à une meilleure gestion de nos ressources naturelles.
 
Vous avez déclaré au cours d’un panel du forum que dans les années 1990, on a présenté la démocratie comme «le grand soir» pour les pays africains. Mais que cela n’a pas marché. Puis on est passé au développement, et cela n’a pas marché non plus.
Oui en effet, j’en ai été témoin parce que j’étais sur la scène politique durant toute cette période. On nous a dit que la source des conflits en Afrique, c’était le manque de démocratie ! Et donc, il y a eu le sommet de la Baule. On a donc démocratisé. Pour autant, combien de conflits sont nés de cette démocratisation ? De nombreux conflits. Aujourd’hui, on nous dit : « la clé, c’est le développement ». Soit.  Je dis que même avec cela, on n’éliminera pas complètement les conflits. Car le développement apporte aussi des conflits puisqu’il pose les problèmes de l’inégalité, de la répartition des dividendes, de ceux qui se sentent laissés pour compte. A mon avis, ce qu’il faut en réalité, c’est une stratégie globale pour le développement. C’est possible puisqu’il y a certains pays qui l’ont réussie. D’autres pays également veulent réussir. Pour cela, Il faut donc travailler sur le terrain de la bonne gouvernance et d’un bon leadership.
 
Serait-il souhaitable pour le continent de trouver un juste milieu entre démocratie et autoritarisme ?
J’aime à dire que l’Afrique est un continent vaste et divers. Les 54 pays africains ne se présentent pas tous de la même façon. Le système éthiopien ne peut pas forcément être copié ailleurs. Chaque pays doit développer un système qui tienne compte de son histoire, de sa culture, etc. La démocratie est une option pour laquelle on ne retournera pas en arrière. Mais il s’agit de quelle démocratie ? Il faut une démocratie inclusive, adaptable à chaque pays africain, selon ses réalités. La démocratie exclusive, de type occidental notamment, ne marche pas toujours.
 
Est-ce que le Rwanda est un bon exemple en la matière ?
Le Rwanda est le Rwanda. Il a son histoire. Ce pays a connu des hauts et des bas. Et si on essaie de juger le système politique au Rwanda sans en connaître son histoire, on risque de se tromper. Si, d’autre part, on pense que parce que le Rwanda réussit dans tel et tel domaine, qu’on peut le transposer ailleurs tel quel, on risque également de se tromper. Donc, il y a des choses positives dans ce pays qu’on peut prendre, en les adaptant dans une réalité.
 
Au niveau de la situation au Sahel, peut-on dire que le Mali se retrouve dans une impasse ?
Je n’aime pas parler d’impasse parce que cela signifierait qu’il n’y a pas la moindre solution. Le Mali a encore des difficultés et cela est dû au fait que malgré les accords de paix signés à Alger, la situation ne s’améliore pas. Cela est imputable également au fait que le terrorisme se déplace du nord au centre aujourd’hui. Les autorités maliennes, au niveau central comme local, doivent faire face. Il n’y a pas d’autre choix car il est inenvisageable de laisser le Mali aux mains des terroristes.
 
Et le risque de partition du pays ?
La partition du pays n’est pas possible. Elle n’est pas viable. Rappelez-vous, certains l’ont déjà tentée. Les autres communautés internationales doivent s’impliquer. Le terrorisme est une menace collective.
 
L’Union Africaine est-elle consciente des conséquences de ses décisions à propos de situations qui se présentent sur le continent, en Libye ou au Mali, par exemple ?
Pour ce qui concerne la Libye, c’est l’ONU qui a décidé le nofly zone ainsi que l’attaque qui a suivi. Notamment l’Europe, et singulièrement le Président de la République française de l’époque, Nicolas Sarkozy et l’ancien Premier ministre britannique, James Cameron. C’est à eux de porter toutes les responsabilités par rapport à ce qui arrive en Libye aujourd’hui. Il faut blâmer les représentants des pays africains qui étaient présents au Conseil de Sécurité de l’ONU et qui auraient pu mettre leur veto et non les responsables de l’Union Africaine. L’Union Africaine et les Africains, nous sommes tous des victimes.
 
 
 
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