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Pétro-gaz: L’Afrique coincée entre les mauvais contrats et la dilapidation des ressources

Samedi 10 Juin 2017

Arriver à ce que les pays africain producteurs de gaz et de pétrole tirent réellement profit de ces hydrocarbures en évitant au maximum la dilapidation des ressources par le biais de la corruption et grâce à un cercle vertueux de gestion. C’est l’un des buts du colloque tenu récemment à Dakar et visant à produire une réflexion prospective autour des enjeux d’un secteur complexe.


Pr Ismaila Madior Fall, président du comité national Itie
Pr Ismaila Madior Fall, président du comité national Itie
La capitale sénégalaise a été, pendant 48 heures, un lieu de rendez-vous pour des experts pétroliers du monde entier. L’objet de la rencontre était d’échanger sur les enjeux de l’exploitation pétrolière et gazière en Afrique, comme l’a indiqué le Pr Ismaïla Madior Fall, ministre conseiller juridique du Président sénégalais.
 
«Le but de ce colloque est de faire le point sur l’état des connaissances afin de produire une réflexion prospective profitables aux nouveaux pays producteurs en général et au Sénégal en particulier, à partir des enseignements tirés de l’exploitation de gaz et de pétrole en Afrique», a expliqué celui qui est également président du Comité national de l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie).
 
En dépit de l’intérêt manifesté pour le pétrole et le gaz africains du fait de leur qualité, les réalités en vigueur dans le secteur soulèvent plusieurs interrogations. «Outre la complexité des montages financiers se rapportant à l’industrie des hydrocarbures, de nombreuses voix s’élèvent pour contester le déséquilibre sur les contrats pétroliers et gaziers. L’ingénierie contractuelle relative aux hydrocarbures reste peu maitrisée», s’alarme le Pr Fall. Mais selon lui, l’afro-optimisme est en train de triompher sur l’afro-pessimisme.
 
L’Afrique ne détient que 4% du marché mondial (Francis Perrin)
Des tables-rondes autour de problématiques différentes ont eu lieu entre experts, décideurs, et membres de partis politiques et de la société civile. Evoquant les hydrocarbures et les relations internationales en Afrique, M. Francis Perrin, président de «Stratégies et politiques énergétiques», a déploré la faiblesse actuelle du marché africain qui ne représente que 4% du marché pétrolier et gazier mondial.
 
«Il n’est pas surprenant que la production de pétrole en Afrique soit exportée et non consommée. L’Afrique est directement reliée aux marchés mondiaux et non pas à elle-même en matière d’exportation du pétrole et du gaz», a souligné Perrin. C’est pourquoi un marché de gaz et de pétrole spécifiquement africain n’existe pas, selon lui. C’est le «marché mondial» qui est une réalité. «Le marché pétrolier est un marché où toutes les productions alimentent tous les continents.»
 
Néanmoins, une certaine croissance a été enclenchée. «Sur la période 2005-2015, la consommation pétrolière de l’Afrique a augmenté d’un tiers, environs 33%, et le gaz de 60%. Des attentes importantes de consommations sont prévues à l’avenir», a signalé l’expert français.

Même s’il a pronostiqué la mise en place à terme d’un marché africain des hydrocarbures, Francis Perrin n’a pas manqué d’avertir les dirigeants africains. «Si les gouvernants ne règlent le problème de la dilapidation de nos ressources, c’est la rue qui le fera.»
 
Exposant sur la coordination des politiques pétrolières et gazières en Afrique, le secrétaire exécutif de l’organisation des producteurs de pétrole africains (Appo), Mahaman Laouan Gaya, a enfilé le boubou d’africaniste pour faire sa plaidoirie. «Le continent est constitué à plus de 95% de bassins sédimentaires, c’est-à-dire ceux susceptibles d’abriter des hydrocarbures. Mais, contrairement au continent américain ou au Moyen-Orient, il est sous exploré alors que ses réserves pétrolières sont estimées à 13% du total mondial.»
 
Arnaques au pompage, dilapidation, transparence
«Avec l’unité (des Etats), nous pouvons devenir le premier ou le deuxième plus grand producteur de gaz et de pétrole au monde. Cela veut dire que l’Afrique peut marquer de son empreinte la géopolitique internationale. Notre organisation Appo compte 18 pays membres alors que notre continent compte 54 pays dont les 52 sont dans une phase d’exploration. Dans les années à venir, l’Afrique aura son mot à dire sur l’échiquier pétrolier mondial», a souligné Mahaman Laouan Gaya.
 
Mais pour y arriver, il a invité les gouvernants à plus de rigueur dans la gestion et les transactions avec les compagnies, brandissant au passage le risque que les peuples soient tentés de reprendre en main la gestion des ressources. Notamment en mettant un terme aux «arnaques» dont pâtissent les pays africains producteurs à travers le transport des hydrocarbures.
 
«Ce sont les occidentaux qui détiennent la technologie. Lorsqu’ils doivent contrôler à partir de chez eux le débit de pétrole qui passe par des pipelines, ils installent des compteurs locaux qui peuvent marquer 1 million de barils alors qu’ils sont en train de pomper 2 millions de barils.»
 
Eric Lancelot, de la Banque Mondiale, a rassuré les panélistes par rapport à l’intérêt que l’institution de Bretton Woods porte aux initiatives de transparence dans la gestion du secteur pétrolier. «Le rapport de l’Itie a permis de constater l’engagement du Sénégal par rapport à la transparence», a-t-il indiqué.
 
Non sans souligner que la transparence dans la gestion du secteur passe de manière inéluctable par la mise en place de réformes dont certaines sont déjà entamées. C’est pourquoi il a promis que la Banque mondiale, «partenaire engagé aux côtés des gouvernements, veillera à ce que les découvertes d’hydrocarbures à partir de 2014 soient exploitées de manières optimales.»
 
Pour sa part, le premier ministre sénégalais, qui a ouvert le colloque, s’est voulu optimiste, du moins pour son pays. «Le Sénégal est en phase de devenir un pays pétrolier et gazier. Cela permettra l’accélération de l’émergence. Les ressources découvertes induisent des mutations profondes dans la gestion du pays. C’est pour cela que des innovations sont en train d’être menées sur le code pétrolier», a rappelé Mouhamed Boun Abdallah Dionne.
 
«Notre pays est membre du groupe restreint des pays qui publient toutes les conventions, tous les accords et tous les contrats signés dans le secteur,» a-t-il ajouté. (Cheikh Anta Seck)
 
 
 
 
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