Le 10 octobre 2025, l’agence Moody’s Investor Services a abaissé la note souveraine du Sénégal de B3 à Caa1, tout en maintenant une perspective stable. Une décision que le ministère des Finances et du Budget a immédiatement qualifiée de spéculative, subjective et biaisée, soulignant son décalage avec la réalité économique du pays. Mais au-delà du désaccord technique, cette dégradation s’inscrit dans une stratégie plus vaste : celle d’un durcissement systémique de la politique financière internationale envers le Sénégal, encouragé, sinon orchestré, par le Fonds monétaire international (FMI).
Cette offensive, amorcée depuis l’affaire dite de la “dette cachée” révélée sous la présidence de Macky Sall, ne cesse d’illustrer les rapports de force asymétriques entre les institutions de Bretton Woods et les États africains aspirant à une souveraineté économique réelle. Le FMI, s’érigeant en gardien autoproclamé de l’orthodoxie budgétaire, semble désormais utiliser les agences de notation comme relais de pression, sanctionnant toute politique nationale qui s’écarte du dogme libéral qu’il promeut.
L’abaissement de la note du Sénégal survient dans un contexte où les fondamentaux macroéconomiques demeurent solides. La croissance, attendue autour de 7,8 % du PIB en 2025, reste parmi les plus élevées d’Afrique. Les réformes structurelles engagées à travers le Plan de redressement économique et social (PRES), les efforts d’assainissement budgétaire et la mobilisation réussie de financements diversifiés sur les marchés régionaux et internationaux témoignent d’une trajectoire soutenable et cohérente.
Pourtant, Moody’s choisit d’ignorer ces données tangibles, préférant s’appuyer sur des hypothèses “spéculatives” liées à la stabilité politique et aux capacités de remboursement à long terme. En agissant ainsi, l’agence ne fait pas qu’évaluer : elle oriente le risque selon une lecture idéologique. Car derrière la façade technique, la notation souveraine devient un instrument de discipline économique, un moyen de rappeler les États récalcitrants à “l’ordre monétaire mondial” imposé depuis Washington.
Le FMI, juge et partie
Cette dégradation ne saurait être lue isolément. Elle s’inscrit dans une campagne de discrédit menée depuis plusieurs mois par le FMI, irrité par la volonté du Sénégal de diversifier ses partenaires financiers et de limiter sa dépendance aux institutions multilatérales. Depuis la révélation de la dette cachée, le FMI n’a cessé d’adopter une posture punitive, ralentissant les décaissements, complexifiant les négociations, et alimentant un climat de suspicion.
L’histoire, pourtant, enseigne que cette méfiance n’est pas nouvelle. En 2009, le président Abdoulaye Wade, dans un geste symbolique et controversé, avait remis une valise de 100 millions de francs CFA à Alex Segura, représentant du FMI à Dakar, alors sur le départ. Ce “cadeau”, présenté comme un acte diplomatique, traduisait en réalité le poids du FMI sur les politiques nationales et la tension permanente entre souveraineté budgétaire et obédience institutionnelle.
Une institution à la crédibilité érodée
Les récentes controverses autour du FMI illustrent à quel point l’institution peine à maintenir une image d’intégrité. En 2021, un rapport interne de la Banque mondiale a accusé Kristalina Georgieva, alors directrice générale du FMI, d’avoir manipulé le classement Doing Business pour favoriser la Chine. En 2022, un prêt au Mozambique a ravivé le souvenir du scandale de la dette cachée de 2016, où des milliards de dollars avaient été octroyés à des entreprises publiques dans une opacité totale.
Ces scandales successifs ont mis en lumière les dérives internes d’un système multilatéral dont la vocation affichée — la stabilité financière mondiale — masque de plus en plus mal la dimension politique et néocoloniale. Les conditions imposées aux pays en développement — réductions de dépenses publiques, privatisations forcées, austérité budgétaire — s’avèrent souvent destructrices pour les tissus sociaux et productifs locaux.
En réaffirmant sa détermination à poursuivre des politiques économiques rigoureuses et transparentes, le Sénégal oppose à la défiance extérieure une stratégie fondée sur la crédibilité interne. Le ministère des Finances met en avant la discipline de consolidation fiscale, la maîtrise de la dette, et la mobilisation de financements diversifiés, autant d’éléments qui plaident pour la soutenabilité du modèle sénégalais.
Les autorités entendent poursuivre les réformes structurelles, notamment la mise en œuvre du nouveau Code des investissements, la modernisation du secteur énergétique et l’amélioration du climat des affaires. Ces mesures visent à renforcer la résilience économique nationale, à réduire la vulnérabilité externe et à préserver les marges de manœuvre budgétaires face à des institutions dont les critères évoluent au gré des conjonctures politiques internationales.
Vers un nouvel ordre financier africain ?
La crise de confiance entre le Sénégal et le FMI illustre un malaise plus profond : celui de la domination cognitive exercée par les grandes institutions financières internationales sur les économies africaines. L’Afrique, longtemps considérée comme un “terrain d’ajustement”, cherche aujourd’hui à redéfinir les règles du jeu. Les alliances émergentes avec les BRICS, la diversification des partenariats vers l’Asie, le Golfe et le Maghreb, ou encore les projets d’intégration monétaire régionale, traduisent une volonté claire : sortir de la dépendance vis-à-vis du dollar et du diktat des agences de notation occidentales.
L’heure n’est plus à la soumission aux modèles imposés, mais à la construction d’un écosystème financier africain souverain, capable d’évaluer ses propres risques, de définir ses priorités et de financer son développement selon ses propres critères.
En choisissant de dégrader le Sénégal, Moody’s et, par extension, le FMI, dévoilent malgré eux les limites d’un système qui refuse de reconnaître l’émergence d’alternatives crédibles au modèle néolibéral. Cette décision, loin de fragiliser Dakar, renforce paradoxalement la légitimité d’un discours de souveraineté économique africaine, fondé sur la transparence, la diversification et la responsabilité nationale.
Le Sénégal n’est pas isolé. Du Ghana à la Zambie, du Kenya à l’Éthiopie, les États africains réévaluent leur rapport à la dette et aux institutions financières internationales. En réagissant avec fermeté et lucidité, Dakar s’inscrit dans ce mouvement de reconquête du pouvoir économique, longtemps confisqué par les “experts” de Washington.
La bataille pour la souveraineté financière est désormais engagée — et elle ne se gagnera ni sur les marchés, ni dans les bureaux feutrés du FMI, mais dans la capacité des nations africaines à affirmer, chiffres à l’appui, qu’elles peuvent croître, se financer et prospérer autrement.
Mouhamet Ndiongue







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