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MENDICITE, ETAT ET SOCIETE: Les impasses d’une régulation défaillante

Lundi 11 Juillet 2016

Les écoles coraniques traditionnelles (daara coosan) sont des établissements d’enseignement où des enfants, appelés talibés (apprenants, aspirants) sont initiés à la mémorisation du Coran, à la lecture et à l’écriture, ainsi qu’à l’acquisition des principes fondamentaux de l’éducation religieuse. A côté des études, quelque temps est réservé à la  mendicité, un volet de la formation, afin d’intérioriser les valeurs de solidarité et d’endurance, surtout d’humilité, pour domestiquer l’orgueil, ce péché capital et primordial. Pour polir les aspérités de l’âme et le domicilier dans la station de soumission, celle de zéro, mathématiquement plus proche de l’infini : Dieu, que tout autre nombre fût-il le plus élevé ! 
 
Avec la crise économique, l’institution est dévoyée et instrumentalisée à des fins lucratives, notamment à travers les écoles itinérantes (daara nooran), caractérisées par une extrême mobilité nationale et sous régionale. Les parents confient leurs rejetons aux maîtres coraniques, sans aucune contrepartie financière ou matérielle. Les enfants passent la plupart de leur temps à mendier dans les rues, exposés à toutes sortes de maux : violence, abus sexuels, drogues, maladies, etc. Cette situation qui nuit à leur santé, sécurité et moralité, interpelle au premier chef l’Etat, en tant que garant et protecteur des droits humains.
 
En effet l’article 20 de la Constitution dispose : « La jeunesse est protégée par l’Etat et les collectivités publiques contre l’exploitation, la drogue, les stupéfiants, l’abandon moral et la délinquance ». A quoi s’ajoutent les instruments juridiques internationaux ratifiés par le Sénégal : Convention internationale des  droits de l’enfant des Nations-Unies (1989) ; Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (1990) ; Convention de la Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (1993).
 
Les difficultés de lutter contre la mendicité des enfants tiennent d’abord à l’absence d’un cadre juridique qui régit la création et le fonctionnement des daara, les normes d’équipement et d’encadrement, les programmes d’études, la détermination du niveau des maîtres (diplômes, spécialités…) etc.  Ensuite, les politiques mises en œuvre sont plus réactives que proactives, et donc inconstantes et inefficaces. La volonté politique est vacillante : l’impulsion vient très souvent d’injonctions internationales, de logiques électoralistes ou d’une conjoncture particulière, comme en 2013 lorsque périrent 9 talibés dans un incendie à la Médina. Il y a également une absence de coordination synergique de la multiplicité des projets et des acteurs qui interviennent dans la protection des talibés.
 
L’Etat recule souvent face aux pressions. D’où la nécessité d’adosser ses actions à une  communication judicieuse portée par des marabouts, imams, oulémas et maîtres coraniques. Mais la mendicité est profondément liée aux cultures religieuses du pays, pour la plupart syncrétiques. La mendicité ponctuelle ou habituelle des adultes valides se développe et contribue à tuer la valeur travail, essentielle au progrès économique et social ; elle augmente la pauvreté en diminuant la création de richesses, tout en exaltant l’invocation de forces occultes comme moyens obligés et privilégiés pour obtenir ce que l’on désire ! Or seul le travail paie. Il est impératif d’élaborer des politiques publiques pertinentes de réinsertion sociale par le travail pour toutes ces personnes, qui peuvent être mobilisées dans des projets économiques.
 
Par ailleurs, la viabilité de l’utopie républicaine exige de renforcer le programme des daara modernes, en se fondant sur le bilinguisme minimal (français, arabe), et l’instauration de passerelles avec le système classique vers l’enseignement général ou professionnel, afin de bannir toute rupture d’égalité ou discrimination entre citoyens sénégalais. L’objectif étant, qu’à défaut d’avoir les mêmes cadres de socialisation pour tous, que ceux-ci soient au moins harmonieusement articulés et de nature à consolider et perpétuer le lien sociétal.
 
Maurice Soudieck DIONE
Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis

 
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