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MARCHÉS, INVESTISSEURS, SÉCURITÉ... - Une France déprimée cherche salut en Afrique

Lundi 19 Décembre 2016

Entre les États-Unis, l'Europe, l'Inde, la Chine, la Russie, la Turquie, la Corée, le Japon, le Brésil, etc., quelle puissance économique mondiale, classique ou émergente, ne s'intéresse pas à l'Afrique d'aujourd'hui ? Cet intérêt stratégique pour l'Afrique, accentué autant par l'hyper-dynamisme chinois que par une économie en difficulté prolongée, le Sénat de la République française en parle à travers un document de 500 pages dénommé «Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées». Des enquêtes et analyses qui diagnostiquent les risques de déclassement qui menacent la France et suggèrent un redéploiement global de l'influence française sur un continent en plein essor «dans une Afrique convoitée». Un slogan orne l'entête du document : «L'Afrique est notre avenir.»
 Par Momar DIENG (article paru en juin 2014 dans ENQUETE)
 
Mutation démographique
Une «Afrique en mutation» constitue «un enjeu majeur pour la France et l'Europe» car il s'agit d'anticiper sur des phénomènes fondateurs de ruptures inéluctables et irréversibles. Comme la démographie d'un continent qui va sur ses deux milliards d'habitants massés aux portes de l'Europe. L'état actuel des migrations en Méditerranée, avec la recrudescence des assauts maritimes et terrestres en direction du vieux continent est un signe annonciateur de tentatives encore plus dramatiques dans un proche avenir.
 
«L'Afrique d'hier, le continent vide, cette Afrique-là est en train de disparaître. En 2050, la population africaine sera, d'après les prévisions, supérieure à celle de la Chine ou de l'Inde, trois fois supérieure à celle de l'Europe...», avertit l'étude du Sénat français rendu public en fin 2013.
 
Cette explosion démographique, qui libère un «exode rural en marche», classifie les villes africaines entre «locomotives du développement» et «chaudron urbain», impose des «politiques d'avenir» écartelées entre «urbanisme» et «aménagement du territoire», et enserre «entre espoir et révoltes» une population dont «50% ont moins de 25 ans», est vue à la fois comme «une opportunité», «un défi redoutable», «une course contre la montre».
 
En exhibant des expériences aussi diverses et contradictoires que celles des «Jeunes patriotes» (Côte d'Ivoire), de «Y en a marre» (Sénégal) ou des «Jeunes lions» (Afrique du Sud), le Sénat français met en garde contre «une jeunesse en colère» capable de répondre aux sirènes des extrémismes ambiants pour échapper aux humiliations quotidiennes nées de l'absence de perspectives durables pour elle. A l'appui, une étude de la Banque mondiale selon laquelle «une cause majeure du ralliement des jeunes à un mouvement rebelle ou un gang urbain (…) est le chômage».
 
«Défis redoutables»
 
A ces «sociétés sous tension», soupçonnées d'être au bord de ruptures lourdes de conséquences pour elles-mêmes et pour les autres, il faille s'intéresser de manière prioritaire et urgente pour relever les défis qui s'imposent, suggèrent les «notables» du Palais du Luxembourg. Ce sont les défis de la «pauvreté» pour réduire les aventures criminelles, de «l'industrialisation», «indispensable» au décollage économique, de la sécurité alimentaire «à l'épreuve de l'accaparement des terres», de la démocratisation des «industries extractives» contre le syndrome de «la malédiction des ressources naturelles», des «infrastructures», pour des économies structurées et structurantes.
 
Au regard de tous ces phénomènes, l'Afrique est devenue «une nouvelle frontière» écartelée entre «risque et opportunités», un continent tributaire d'un «modèle de développement inclusif et durable», détenteur de potentialités naturelles immenses combinées à une «croissance irrésistible» presque à nulle autre pareille dans le monde. C’est au regard de tous ces éléments, en plus de considérations géopolitiques pertinentes, qu’il faut appréhender l’intérêt grandissant dont est l’objet cet espace de 30,5 millions de km2, «au cœur d’une redistribution des cartes entre anciennes puissances coloniales et nouvelles puissances émergentes», souligne le rapport du Sénat de France. 
 
«La présence française en recul»
 
Question de survie, la France n’a donc pas le choix car «l’Afrique est (son) avenir». Le diagnostic est implacable, résumé en deux phrases. «On a trop longtemps regardé l’Afrique comme un sujet avant tout politique. (Or), le décollage du continent nous impose de regarder les pays africains autrement en mettant la priorité sur la dimension économique.»
 
C’est donc sans complexe ni état d’âme que le Sénat de la République française propose des recommandations aux autorités, entreprises et investisseurs français visant à mieux connecter l’économie hexagonale à toutes les niches de croissance qu’il est possible de trouver en Afrique. Ceci, afin de corriger les méfaits d’une «présence française en recul dans un continent en essor» et dont les maux actuels sont souvent «originés» à la période coloniale même «s’il est vrai que plus de 80% de (sa) population, voire plus, n’ont pas connu le système colonial».
 
«10 priorités et 70 mesures» pour encercler le continent
 
A la lumière de l’énorme bévue sarkozyste de Dakar en 2007, «tenir un autre discours sur l’Afrique» à travers une «mise en valeur» des «mutations économiques en cours» et une «narration» «plus juste des liens unissant la France à des pays africains qui ne sont pas seulement partie prenante de notre histoire, mais aussi des éléments clés de notre avenir».
 
«Améliorer le pilotage de la politique africaine et la cohérence des actions menées sur le terrain.» Ce rôle pourrait être alors dévolu à «un ministère de la Coopération internationale et du développement de plein exercice rassemblant les services concernés» des Affaires étrangères et des Finances. La transformation du dispositif diplomatique en pôles régionaux correspondant à des «stratégies-régions» est envisageable à partir d’une «mutualisation» de ressources «avec certains partenaires européens afin de constituer des ambassades communes».
 
Conquête de marchés par le bas de la Pyramide
 
«Renforcer nos liens économiques avec l’Afrique qui décolle» en structurant «une démarche internationale par géographies et par secteurs qui correspondent aux besoins des marchés africains», en renforçant «nos moyens de soutien aux entreprises dans les pays les plus dynamiques» comme Afrique du Sud, Nigeria, Côte d’Ivoire, Kenya, Ethiopie, Ghana, Botswana, Tanzanie, Mozambique.
 
A ce niveau, une mesure phare est suggérée : «favoriser des stratégies de conquête des marchés africains par le bas de la Pyramide», c’est-à-dire en adaptant les offres de produits et services des entreprises françaises aux pouvoirs d’achat des populations africaines. Une méthode déjà mise en œuvre par les Chinois.
 
«Contribuer à la stabilité et la sécurité du continent». Ce qui passe par un double encerclement de l’Afrique. D’abord par le «maintien (de) huit points d’appui militaire : Abidjan, Dakar, (le triangle Mali, Niger, Burkina Faso), Libreville, Ndjamena, Bangui, Djibouti et l’île de la Réunion. Ensuite, en dédiant «quatre points d’appui militaire à la coopération avec les quatre organisations régionales» : les brigades de la CEEAC (centre), de la Cedeao (ouest), de la Sadc (sud) et de l’Igad (Djibouti).
 
Ringard, le discours de la Baule ?
 
«Promouvoir le pluralisme politique» en favorisant le développement de pôles «contre-pouvoirs» comme les médias, les parlements, les organisations non gouvernementales (Ong). En cela, c’est le discours mitterrandien de la Baule qu’il convient de «renouveler» en grignotant, par exemple, sur  «la procédure formelle d’élections» à laquelle les chefs d’Etat africain étaient tenus de se soumettre. 
 
Si la Francophonie reste un outil culturel essentiel à renforcer, il urge aussi de «rétablir une cohérence entre notre politique d’influence et notre politique migratoire», indique le Rapport. En effet, un certain populisme, de gauche et surtout de droite, «a détourné de la France non seulement des étudiants, mais également des artistes et des hommes d’affaires» désormais plus attirés par l’ouverture d’esprit des Anglo-saxons dont les Etats-Unis et la Grande Bretagne.
 
Pour corriger le tir, le Sénat «propose d’assouplir le code de l’entrée et du séjour des étrangers de façon à instaurer des visas pluriannuels calqués sur la durée des études, à permettre l’exercice d’une première expérience professionnelle pour les étrangers juste diplômés d’un établissement d’enseignement supérieur français, et enfin, d’accorder un visa illimité aux étudiants ayant obtenu un doctorat en France».
 
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