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MANIPULATIONS POLITICIENNES ET PERPETUATION REPUBLICAINE : Le Haut conseil des collectivités territoriales en question(s)

Mercredi 23 Novembre 2016

MANIPULATIONS POLITICIENNES ET PERPETUATION REPUBLICAINE : Le Haut conseil des collectivités territoriales en question(s)
Par Maurice Soudieck DIONE (*)
 
L’activité frénétique de production institutionnelle en Afrique en général et au Sénégal en particulier obéit souvent au paradigme de l’importation mimétique de technologies occidentales sophistiquées de gouvernement, décalées et déphasées par rapport aux réalités du moment historique et du terrain sociologique, longtemps décriée en raison d’une extraversion radicale du sens, de la portée et de l’utilité des institutions réceptionnées.
 
Mais voilà qu’en dehors de toute pression, pulsion ou volition d’homochromie et d’homotypie normatives européo-centrées, la création institutionnelle est soupçonnée de s’autonomiser des intérêts et besoins réels du peuple, pour épouser des desiderata politiciens de redéploiement d’une générosité clientéliste politiquement intéressée, via l’institution d’un Haut conseil des collectivités territoriales, en perspective d’un second (ou deuxième ?) mandat du Président Sall.
 
Aux termes de l’article 5 de la loi organique 2016-24 du 14 juillet 2016 relative au HCCT, son Président n’a pas un mandat de 5 ans, il est nommé et révoqué par décret : une manière de tenir Ousmane Tanor Dieng, qui dans son discours d’intronisation affirme : « (…) chers collègues, c’est surtout dans notre capacité à nous hisser à la hauteur des exigences de notre mission que nous pourrons convaincre de l’utilité du Haut conseil des collectivités territoriales (…) » ! Or, chercher à convaincre de l’utilité d’une institution créée, n’est-ce pas déjà reconnaître qu’elle ne l’est point, ou n’est pas considérée comme tel ?
 
Les tentatives de légitimation du HCCT relèvent de stratégies d’externalisation endogène et exogène des coûts de son instauration. D’abord proposée par le Président Sall dans le cadre de l’Union africaine, cette accréditation continentale révèle une volonté de combler par anticipation un manque de légitimité et de crédibilité de l’institution, pour qu’elle ne soit pas perçue comme un retour du Sénat qu’il a lui-même supprimé en 2012. En plus, une chambre des collectivités locales dans un contenant et contenu à préciser était proposée par les Assises abusivement qualifiées de nationales, car elles étaient des Assises de l’opposition d’alors, drapée derrière la société civile ; opposition qui avait commis l’erreur monumentale de boycotter les élections législatives de 2007, et donc de s’exclure elle-même des espaces institutionnels de visibilité politique.
 
Les institutions créées sans une large concertation, dans le dessein unique et inique de conservation du pouvoir personnel, ne durent que le temps où leurs auteurs restent en place, à l’exemple des Sénats institués par Abdou Diouf (1999-2001) et Abdoulaye Wade (2007-2012), dont la quasi-totalité des sièges revenaient à leurs partis respectifs, avec la prérogative exorbitante de nommer 12 sénateurs sur 60 pour Abdou Diouf ; 65 sénateurs sur 100 pour Abdoulaye Wade ! Une aberration juridique et démocratique en violation flagrante du principe de séparation des pouvoirs, car le Sénat participe à l’exercice du pouvoir législatif.
 
Dans son HCCT au budget estimé à 6,5 milliards de francs, le Président Sall nomme 70 des 150 conseillers, dont les compétences se limitent à émettre des avis et vœux sur la politique de décentralisation, l’aménagement et le développement du territoire (article 1 et 2 de la loi organique relative au HCCT) ! Alors même qu’il existe un ministère de la Gouvernance locale, du développement et de l’aménagement du territoire, une Agence nationale de l’aménagement du territoire, une Agence de développement municipal, une Agence de développement local, et une Commission nationale du dialogue des territoires présidée par Djibo Leyti Kâ !
 
Si on veut véritablement pérenniser des institutions républicaines, fiables et viables, solides et utiles, il faut une forte adhésion populaire et de tous les acteurs intéressés, par l’établissement de vrais dialogue et débat nationaux sur la question, pour qu’on n’ait pas toujours à revenir sur les mêmes choses. Le référendum du 20 mars 2016 a été en ce sens une occasion ratée !  
 
En vérité, il y a un défaut ou un déficit de volonté politique réelle quant à la décentralisation, outrancièrement politisée au Sénégal, qui empêche une effective capitalisation normative et cognitive, institutionnelle et expérientielle. L’hyper-présidentialisation du système politique est un frein majeur à l’émergence de pouvoirs locaux, politiquement et économiquement forts, car susceptibles de gêner la position et les ambitions de pouvoir du Prince, qui dès lors crée et instrumentalise les institutions, entre autres celles de la décentralisation pour raffermir son trône.

Machiavel dans son ouvrage, Le Prince, bréviaire des politiciens, préconise deux armes redoutables de gestion et conservation du pouvoir : la ruse et la force ; toutes deux, ont ceci de commun qu’elles tuent l’intelligence, donc la sophocratie, non pas platonique mais platonicienne, comme règne politique de la sagesse et règne de la sagesse politique !
(*) Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
 
 
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