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Le pouvoir qui arrête le pouvoir

Vendredi 19 Août 2016

Le pouvoir qui arrête le pouvoir
L’inspectrice générale d’Etat n’est plus à l’Ofnac, limogée pour avoir commencé à agir contre des corrompus en villégiature au sommet de l’Etat. Mais son passage à la tête de l’institution aura montré qu’une ère de gouvernance sobre et vertueuse dans notre pays passera irrémédiablement par un affrontement entre des chevaliers blancs et les forces d’un système arc-bouté sur des privilèges indus.
 
Salutaire ! Tel a été le comportement de Nafi Ngom face à l’aveuglement de plus en plus flagrant et dangereux du président de la république en rapport avec les exigences républicaines qui s’imposent à la gouvernance de notre pays. Ils ont été nombreux, les partisans du chef de l’Etat, à coordonner leurs sorties médiatiques pour répliquer au séisme politique et judiciaire provoqué par le limogeage brutal (et sans surprise) de la présidente de l’Ofnac. Des accusations grotesques de trafic d’influence, de népotisme, de conflit d’intérêt, toutes non documentées, à la hussarde, ont accompagné la logorrhée vindicative articulée contre une inspectrice générale d’Etat un peu trop fouineuse.
 
Dans une République où l’affaissement des contre-pouvoirs tend à devenir une institution en soi, où le discret «talibé» d’hier a vu des ailes lui pousser sur les côtés jusqu’à le rendre incontrôlable, qu’y a-t-il de plus salutaire – dans un contexte d’éparpillement des forces politiques, syndicales et sociales - que les résistances individuelles installées dans le pouvoir et soutenues par l’opinion publique ? La ci-devant présidente de l’Ofnac n’est pas exempte de reproches – elle a son tempérament et ses méthodes de travail. Mais «le» problème dans le conflit qui l’oppose à Macky Sall, ce n’est pas elle, loin de là. Au contraire, elle commençait à être plutôt une esquisse de solution aux graves dérives que seules les gens honnêtes ont perçues et notées dans la gouvernance en cours.
 
En lieu et place du ponce-pilatisme mortifère auquel sont habitués les politiciens placés à la tête des structures publiques, elle a fait le choix honorable d’assumer les responsabilités que la loi lui conférait à travers l’Ofnac. Dans aucun pays du monde, le respect et les égards naturellement dus au Président de la république ne peuvent servir de prétexte ou de cache-sexe pour passer par pertes et profits les dysfonctionnements qui aspirent nos pauvres petites ressources.
 
Macky Sall est «le» problème numéro 1 du Sénégal parce qu’il n’est pas arrivé, en 52 mois de présidence, à donner aux Sénégalais une perspective rassurante sur sa volonté de lutter efficacement et sérieusement contre la corruption. L’histoire a d’ores et déjà retenu qu’il est le premier chef d’Etat sénégalais à offrir un maroquin de PCA d’une entreprise publique à un individu inculpé pour corruption passive. Sous cet angle au moins, sa relation conflictuelle avec Nafi Ngom ne peut être réduite à une affaire crypto-personnelle. Ce n’est pas possible entre deux personnalités dont l’une est le Premier magistrat de la République, élu au suffrage universel direct et dépositaire de la légalité ou, plus pompeusement, détenteur exclusif du «monopole de la violence légitime.»
 
Fondamentalement, c’est à ce niveau qu’il faut saluer la volonté de Nafi Ngom d’en découdre avec le chef de l’Etat non sur ses prérogatives «sacrées» mais en rapport avec sa volonté évidente de tuer la lutte contre la fraude et la corruption au Sénégal grâce à la complicité d’hommes de mains prêts à tout pour consolider leurs privilèges. Lorsque le président de la république, garant essentiel de l’application des lois, demande à l’ex-président de l’Ofnac de «laisser tranquille» le magistrat en charge de la plus haute juridiction du pays «coupable» de n’avoir pas procédé à la déclaration de son patrimoine, que faut-il en tirer comme conséquence ?
 
C’est dans cette même volonté de faire faire des pas à la démocratie sénégalaise qu’il faut situer son dessein annoncé de saisir la Cour suprême à propos de la légalité ou non de son limogeage. Au regard de ce qui s’est passé entre elle et le chef de l’Etat, Nafi Ngom n’envisage pas de revenir à l’Ofnac, tout le monde le savait même avant la passation de service avec son successeur, Seynabou Ndiaye Diakhaté. On peut donc considérer sa démarche – si elle va jusqu’au bout – comme un acte politique de résistance sur deux fronts : l’excès de pouvoir, d’une part, et la tolérance contre la mal gouvernance, par ailleurs. Quand un pouvoir entreprend de saper les fondements qui donnent sens à la volonté populaire de préserver les intérêts supérieurs de la collectivité, il n’y a qu’un autre pouvoir qui soit en mesure de l’arrêter. C’est toute la pertinence de la rupture entre Macky Sall et Nafi Ngom. Le reste relève sûrement de la politique politicienne.
 
En attendant, l’Ofnac, devenu un champ de mines, a été fracassé pour sauver ce qui peut encore l’être. Il ne se relèvera pas de ce coup de poignard, en tout pas sous la régence de Macky Sall. Sa nouvelle présidente sait parfaitement ce qui est attendu d’elle. 

 
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