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L’esprit détourné de l’inspection d’État

Jeudi 9 Mars 2017

L’inspection des institutions de la République, des organes et des gestionnaires des biens publics est un exercice naturel dans le fonctionnement d’un État central et de ses démembrements nationaux et locaux. Elle ne deviendra point objet ou source de polémique dans la place publique, si on respecte son esprit et sa mission publique fortement plus pédagogique et opérationnelle.
 
Par sa fonction de contrôle, elle devrait le plus naturellement du monde être un complément de l’activité de l’administration étatique et non étatique ; un moment d’évaluation critique des actions mises en œuvre par l’État, ce collectif organisé, structuré suivant des normes non secrètes, puisque déclinées formellement dans tous ses contours administratifs et techniques par des procédures partagées et acceptées par tous les acteurs de sa chaîne.
 
L’inspection d’une mission publique entendue par cette vocation quasi universelle, prolonge simplement la continuité de l’administration quelle que soit la majorité gouvernante du moment historique. Celui qui contrôle et celui qui agit obéissent à des normes administratives, des missions et des objectifs déclinés. L’un et l’autre ont l’obligation de respecter un esprit fondamental, celui de servir les intérêts de la puissance publique, des destinateurs et des populations.
 
Paradoxalement, l’inspection menée par les corps de contrôle au sens large regroupant, les audits internes, les supervisions et les suivis réguliers et naturellement les inspections  d’État, est en train de prendre une tournure singulière. La lutte contre les biens mal acquis est un exemple grandeur nature d’une dérive des institutions de la République. Elle a mis à nu l’interférence grandissante de la politique politicienne au cœur des processus de vérification des biens acquis durant l’exercice du pouvoir de la majorité libérale entre 2000 et 2012.
 
La Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite a été réactivée après des décennies de suspension de ses activités légitimes pour simplement juger des acteurs politiques de l’ancien régime libéral. Elle n’a pu aller au bout des intentions fortement affirmées par le Président de la République et sa majorité. La raison est toute simple. L’ancien Ministre d’Etat, Karim Wade, est finalement après cinq ans de gouvernance de la seconde alternance, l’unique personnalité politique qui soit entendue, jugée, condamnée et libérée dans des conditions aussi douteuses ou suspectes  que son arrestation et son procès.
 
Les citoyens attendent la suite de la lutte contre l’enrichissement illégal de près de vingt- cinq responsables du régime précédent. Il ne fait l’ombre d’un doute que les inspecteurs ayant mené les enquêtes ont mis sur la table du procureur spécial, du ministère de la Justice de quoi poursuivre, entendre et juger peut-être des personnes pressenties s’être enrichies par des mécanismes non conformes à la loi.

 Par Mamadou Sy Albert
Comment expliquer ce temps trop long mis par la Crei, par la justice, par le gouvernement, pour éclairer la lanterne de l’opinion publique? La première réponse coule de source. L’inspection et les investigations n’ont pas connu de suite en raison de la subordination de la justice au pouvoir exécutif et à son agenda. L’enrichissement illicite est loin d’être un exemple unique.
 
Les corps de contrôle n’ont cessé au cours de ces dernières décennies de faire leur travail d’inspection et de contrôle. Les scénarii post-inspection sont quasi identiques. La suite des résultats publiés par les corps de contrôle se heurte à un mur de silence de l’exécutif. Quelques gestionnaires ont été punis discrètement. L’essentiel est demeuré le classement de nombreux dossiers sensibles politiquement. Nous sommes ainsi entrés dans une logique éminemment politicienne consistant plus à chercher la petite bête et à  jeter en pâture des hommes et des femmes ne partageant pas la sensibilité de la majorité du moment.
 
La transformation de l’action de l’inspection au service d’objectifs politiciens inavouables aura des effets notoires sur le fonctionnement et l’efficacité de la puissance publique. C’est toute l’économie sénégalaise qui risque de subir les effets de la politisation de l’administration. Les détourneurs de biens publics vont se ruer dans les rangs de la mouvance présidentielle, sous les ailes protectrices du Président de la République, de son parti et de sa famille au besoin. Évidemment, l’investissement étranger et endogène ressentira, d’une manière ou d’une autre, les effets à court, moyen et long terme, la politisation de la justice et de l’administration.
 
Aucun investisseur international, africain ou sénégalais ne se hasardera à mettre ses biens dans un pays présentant le visage d’un tel État de non Droit. Quand ce dernier est corrompu par des mécanismes partisans et son mode de fonctionnement politicien, les investisseurs préfèrent ne point prendre de risques inutiles pour enrichir la chaîne de la corruption.

C’est le cas dans de nombreux pays de la planète où l’inspection d’État, l’administration centrale et la justice sont aux ordres du pouvoir dominant et de ses principaux bénéficiaires. L’investissement a ses exigences. Elles sont antinomiques aux détournements de biens publics, à l’impunité et à la paralysie des organes de contrôles indépendants des pouvoirs politiques, économiques et religieux.
 
 
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