Par Maurice Soudieck DIONE
Institution démiurgique, le président de la République est une matrice essentielle dans l’exercice des prérogatives et la distribution des privilèges qui s’attachent à l’agencement et au maniement des structures du pouvoir d’Etat. Lourde charge constitutionnelle que d’être le gardien de la Charte fondamentale, incarnation de l’unité nationale et chef suprême des armées, le président de la République est le garant de l’intégrité territoriale et de l’indépendance nationale, et assure le fonctionnement régulier des institutions, en plus de nommer à tous les emplois civils et militaires (articles 42, 44 et 45 de la Constitution). En période de crise, pour assurer convenablement et efficacement ses fonctions, des pouvoirs exceptionnels lui sont conférés, conformément aux dispositions de l’article 52.
Le président de la République veille donc à la sanctuarisation souveraine du territoire national au sens physique et psychologique, et à la personnification continuée de la communauté de destin, entretenue par l’animation d’appareils politiques et administratifs. Considérant l’exorbitance de ses prérogatives régaliennes, le Constituant du 7 mars 1963 entendait élever le président de la République à une station dignitaire culminante, au-dessus et au-delà des dissonances et disconvenances, des évolutions et involutions accidentelles de la politique, par le truchement de l’article 32 ainsi qu’il suit libellé : « La charge de président de la République est incompatible avec l’exercice de toute autre fonction publique ou privée, même élective ».
Ces dispositions constitutionnelles sont régulièrement violées sous les régimes socialistes, car les Présidents Senghor et Diouf ont été en même temps chef d’Etat et secrétaire général de parti politique. Sous le règne du Président Senghor, les logiques de l’autoritarisme convergent d’abord vers le parti unifié, avant d’être tempérées dans le cadre d’un multipartisme limité, mais laissent peu de place à l’affirmation d’une autre personnalité dans la conduite du jeu politique, alors qu’Abdou Diouf, en réalité, avait attribué d’énormes pouvoirs à Jean Collin, travaillant à lui préserver le fauteuil présidentiel contre des adversaires réels ou supposés dans le parti, et contre l’opposition durement combattue, dans une période de démocratie balbutiante, voire confisquée.
L’intronisation d’Ousmane Tanor Dieng comme Premier secrétaire du Parti socialiste en 1996, plus en phase avec l’article 32 de la Constitution quant au statut du président de la République, permet au Président Diouf de prendre de la hauteur et de jouer véritablement un rôle d’arbitre, pour un relèvement qualitatif de la démocratie sénégalaise ; d’où un changement de régime en 2000, par l’expression libre, sincère et transparente de la volonté populaire.
Porté au pouvoir, le Président Abdoulaye Wade se taille sur mesure un texte constitutionnel l’autorisant expressément à cumuler les fonctions de chef d’Etat et de chef de parti, tout en lui octroyant la latitude de continuer à siéger dans les sociétés savantes dont il est membre. L’article 38 de la Constitution du 22 janvier 2001 dispose en effet : « La charge de président de la République est incompatible avec l’appartenance à toute assemblée élective, Assemblée nationale ou assemblées locales, et avec l’exercice de toute autre fonction, publique ou privée, rémunérée. Toutefois, il a la faculté d’exercer des fonctions dans un parti politique ou d’être membre d’académies dans un des domaines du savoir ».
Ce cumul des fonctions eut des conséquences néfastes dans la construction démocratique, car, dans le dessein de conserver le pouvoir, le Président Wade finit par écorner les principes démocratiques, en modifiant unilatéralement les règles du jeu, en bouleversant le calendrier électoral, en instrumentalisant les institutions, notamment le Sénat et l’Assemblée nationale pour faire céder tout contrepouvoir, pour que prime sa seule et unique volonté, provoquant entre autres la crise politique du 23 juin 2011 avec ses prolongements en 2012, date de sa chute. Aujourd’hui le Président Sall est dans une phase de consolidation de son pouvoir pour obtenir un second mandat. Or, de telles séquences dans le fonctionnement du système politique sénégalais vont de pair avec certains travers : ruptures des consensus porteurs de stabilisation et de pacification du jeu politique, bâillonnement et piétinement des libertés individuelles et collectives.
Pourtant à ce niveau de l’évolution politique du Sénégal, tout chef d’Etat gagnerait à consolider les acquis démocratiques, car le meilleur moyen de conserver le pouvoir, c’est de rompre avec les recettes clientélistes obsolètes qui enserrent le Président dans des visées autoritaires et en font l’otage des clans, des lobbies et partis politiques, qui l’amènent à reproduire les mêmes pratiques qui ont emporté les régimes précédents !
Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
Institution démiurgique, le président de la République est une matrice essentielle dans l’exercice des prérogatives et la distribution des privilèges qui s’attachent à l’agencement et au maniement des structures du pouvoir d’Etat. Lourde charge constitutionnelle que d’être le gardien de la Charte fondamentale, incarnation de l’unité nationale et chef suprême des armées, le président de la République est le garant de l’intégrité territoriale et de l’indépendance nationale, et assure le fonctionnement régulier des institutions, en plus de nommer à tous les emplois civils et militaires (articles 42, 44 et 45 de la Constitution). En période de crise, pour assurer convenablement et efficacement ses fonctions, des pouvoirs exceptionnels lui sont conférés, conformément aux dispositions de l’article 52.
Le président de la République veille donc à la sanctuarisation souveraine du territoire national au sens physique et psychologique, et à la personnification continuée de la communauté de destin, entretenue par l’animation d’appareils politiques et administratifs. Considérant l’exorbitance de ses prérogatives régaliennes, le Constituant du 7 mars 1963 entendait élever le président de la République à une station dignitaire culminante, au-dessus et au-delà des dissonances et disconvenances, des évolutions et involutions accidentelles de la politique, par le truchement de l’article 32 ainsi qu’il suit libellé : « La charge de président de la République est incompatible avec l’exercice de toute autre fonction publique ou privée, même élective ».
Ces dispositions constitutionnelles sont régulièrement violées sous les régimes socialistes, car les Présidents Senghor et Diouf ont été en même temps chef d’Etat et secrétaire général de parti politique. Sous le règne du Président Senghor, les logiques de l’autoritarisme convergent d’abord vers le parti unifié, avant d’être tempérées dans le cadre d’un multipartisme limité, mais laissent peu de place à l’affirmation d’une autre personnalité dans la conduite du jeu politique, alors qu’Abdou Diouf, en réalité, avait attribué d’énormes pouvoirs à Jean Collin, travaillant à lui préserver le fauteuil présidentiel contre des adversaires réels ou supposés dans le parti, et contre l’opposition durement combattue, dans une période de démocratie balbutiante, voire confisquée.
L’intronisation d’Ousmane Tanor Dieng comme Premier secrétaire du Parti socialiste en 1996, plus en phase avec l’article 32 de la Constitution quant au statut du président de la République, permet au Président Diouf de prendre de la hauteur et de jouer véritablement un rôle d’arbitre, pour un relèvement qualitatif de la démocratie sénégalaise ; d’où un changement de régime en 2000, par l’expression libre, sincère et transparente de la volonté populaire.
Porté au pouvoir, le Président Abdoulaye Wade se taille sur mesure un texte constitutionnel l’autorisant expressément à cumuler les fonctions de chef d’Etat et de chef de parti, tout en lui octroyant la latitude de continuer à siéger dans les sociétés savantes dont il est membre. L’article 38 de la Constitution du 22 janvier 2001 dispose en effet : « La charge de président de la République est incompatible avec l’appartenance à toute assemblée élective, Assemblée nationale ou assemblées locales, et avec l’exercice de toute autre fonction, publique ou privée, rémunérée. Toutefois, il a la faculté d’exercer des fonctions dans un parti politique ou d’être membre d’académies dans un des domaines du savoir ».
Ce cumul des fonctions eut des conséquences néfastes dans la construction démocratique, car, dans le dessein de conserver le pouvoir, le Président Wade finit par écorner les principes démocratiques, en modifiant unilatéralement les règles du jeu, en bouleversant le calendrier électoral, en instrumentalisant les institutions, notamment le Sénat et l’Assemblée nationale pour faire céder tout contrepouvoir, pour que prime sa seule et unique volonté, provoquant entre autres la crise politique du 23 juin 2011 avec ses prolongements en 2012, date de sa chute. Aujourd’hui le Président Sall est dans une phase de consolidation de son pouvoir pour obtenir un second mandat. Or, de telles séquences dans le fonctionnement du système politique sénégalais vont de pair avec certains travers : ruptures des consensus porteurs de stabilisation et de pacification du jeu politique, bâillonnement et piétinement des libertés individuelles et collectives.
Pourtant à ce niveau de l’évolution politique du Sénégal, tout chef d’Etat gagnerait à consolider les acquis démocratiques, car le meilleur moyen de conserver le pouvoir, c’est de rompre avec les recettes clientélistes obsolètes qui enserrent le Président dans des visées autoritaires et en font l’otage des clans, des lobbies et partis politiques, qui l’amènent à reproduire les mêmes pratiques qui ont emporté les régimes précédents !
Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis