Connectez-vous

Cadrages et décalages du calendrier électoral au Sénégal : Les sorts du report et le report du sort

Mardi 6 Décembre 2016

Cadrages et décalages du calendrier électoral au Sénégal : Les sorts du report et le report du sort
Par Maurice Soudieck DIONE (*)
 
La périodicité constante d’une concurrence électorale loyale et équitable, dans sa règlementation matérielle et son réglage temporel, est une condition vitale et essentielle au fonctionnement du système démocratique. Si donc un calendrier électoral républicain préalablement bien cadré, ne devrait pas être en principe unilatéralement ou « partitocratiquement » décalé ; à quelles fins obéiraient alors les décisions de reporter des élections ?  
 
Comment les sorts du report, comme ses conséquences et incidences, impondérables non maîtrisés et maîtrisables, peuvent-ils annihiler la volonté populaire ferme de congédier un régime, dès lors que les joutes électorales permettent aux citoyens de s’exprimer, en toute liberté et responsabilité ? Dans ces conditions, reporter une élection serait-ce autre chose que différer le sort de la déchéance, dès lors qu’il aurait été déjà scellé et décidé par le peuple, dont la clairvoyance par rapport aux principes démocratiques ne semble plus s’accommoder sur eux de fourvoiements et louvoiements, dont l’objectif serait la conservation sans coup férir par des assoiffés de pouvoir, d’un pouvoir qu’il est le seul à donner et retirer ?
 
L’ingénieuse perspicacité dans la manipulation des règles politico-électorales a toujours été une rente de conservation du pouvoir sous les régimes socialistes des présidents Senghor et Diouf. Les entreprises successives de sécrétion monopolistique des normes réglant et régulant la compétition politique créent une asymétrie dysfonctionnelle, structurellement favorable au parti au pouvoir ; l’opposition, un faire-valoir, cautionne un jeu travesti et trahi par une volonté pernicieuse d’en fausser l’esprit, par la corruption des pratiques ! De l’exhibition caricaturale de la vitrine démocratique, les dirigeants captent de substantiels profits symboliques et financiers, réinvestis en partie, dans les dispositifs idéologiques et clientélaires de la domination.
 
La pugnacité stratégique de l’opposition, entre complicités et compromis, tensions et confrontations violentes, suscite l’objectivation concertée de règles et institutions garantes d’un jeu plus équilibré et équitable, couronné par un changement démocratique et pacifique de régime en 2000 ; triomphe glorieux d’Abdoulaye Wade, vainqueur après moult périls et péripéties de 26 ans de luttes, et bienvenue la déconvenue du vaincu, acceptée avec humilité, lucidité et dignité, qui a honoré Abdou Diouf !
 
L’épuisement de la rente de torpillage des règles électorales au sens matériel, ou tout au moins la faiblesse marginale des opportunités offertes, conduit Abdoulaye Wade à rechercher d’autres possibilités de consolidation de son hégémonie, en jouant sur le moment de l’élection : d’où ressort l’arme non conventionnelle du report ! L’incertitude entretenue à dessein sur la date des élections est un moyen de déboussoler et disperser les forces de l’opposition, qui plutôt que de combattre pour les gagner, se bat pour qu’elles soient tenues à date échue, pendant que le parti au pouvoir, de son côté, se prépare ! Le report est aussi un moyen de rationaliser le jeu politique sénégalais structuré autour du président de la République, la réalité « onto-institutionnelle » dont tout découle !
 
La primauté et la préséance du pouvoir présidentiel en font un lieu névralgique d’impulsion, d’organisation et de réallocation du clientélisme politique. Dès lors, contrôler en premier lieu ce site de pouvoir ultra-dominant et surplombant, ainsi que les privilèges et ressources matériels et prérogatives juridico-institutionnelles auxquels il donne accès, assure la fidélisation des motivations et soutiens intéressés, pour mieux gérer les frustrations et minimiser la déperdition de voix ! Abdoulaye Wade use alors de subterfuges en violation des principes démocratiques, en décidant en 2006 de faire prolonger par les députés eux-mêmes la durée du mandat que le peuple leur avait confié, sous prétexte de financer l’assistance aux sinistrés des inondations à Dakar ; en décidant de coupler la présidentielle et les législatives de 2007, pour après les découpler et tenir la présidentielle avant ! Pour renforcer son régime, les élections locales ont été plusieurs fois renvoyées : celles de novembre 2001 au 12 mai 2002 ; celles de mai 2007 au 18 mai 2008, par la loi Aminata Tall, renvoyées encore au 22 mars 2009 !
 
Malgré ces manipulations unilatérales du calendrier électoral par le Président, son gouvernement et sa majorité parlementaire, l’opposition remporte la plupart des villes importantes du pays aux locales de 2009, après avoir refusé de participer aux législatives de 2007. Les limites de ces errements amènent le Président Wade à vouloir décontenancer le principe majoritaire cher à la démocratie, en voulant se faire élire en même temps qu’un Vice-président avec 25 % des voix. Le texte est vigoureusement rejeté par les Sénégalais le 23 juin 2011 ; les controverses et tensions suscitées par la troisième candidature du Président emportent finalement son régime en 2012.
 
Reporter les élections et violer les règles démocratiques peuvent donner l’illusion de l’efficacité à court terme, mais en réalité, c’est pour les régimes en place, travailler à leur propre perte !
 
(*) Docteur en Science politique - Enseignant-chercheur à l’UGB de Saint-Louis  
 

 
Nombre de lectures : 150 fois

Nouveau commentaire :












Inscription à la newsletter