Connectez-vous

Adaptation au changement climatique : la solution par les paysans et les systèmes alimentaires

Lundi 4 Décembre 2023

Lamine  Biaye en compagnie de deux femmes  dans leur périmètre agroécologique à Djimini (sud Sénégal)
Lamine Biaye en compagnie de deux femmes dans leur périmètre agroécologique à Djimini (sud Sénégal)

Différents rapports d’experts ont plusieurs fois démontré que les modes de production agricole et les systèmes alimentaires promus contribuent largement au réchauffement climatique. Parmi les solutions, l’agriculture durable. Mais malgré les résultats probants de cette pratique ancestrale, la voix de ses défenseurs reste encore inaudible lors des COP. 

 

Djimini, département de Vélingara, région de Kolda (Sud) est connu au Sénégal pour avoir abrité plusieurs fois la foire ouest africaine des semences paysannes. Mais la bourgade ne fait pas qu’abriter cette rencontre d’échanges entre petits exploitants du monde rural. Pour les acteurs de l’agriculture durable, Djimini est aussi ce lieu d’inspiration d’une pratique agricole capable de sauver le monde de la catastrophe écologique qui menace la vie sur la terre.

 

C’est dans cette localité que le sexagénaire Lamine Biaye a fait le pari, depuis 2004, de jouer sa partition dans le concert des petits contributeurs à la restauration d’une terre appauvrie et de la biodiversité sur un lopin de quatre hectares. Il y pratique et vulgarise l’agroécologie. C’est au « Biolopin », une ferme où  se vénère le triptyque « sacrosaint » qu'est « l’arbre, l’animal et le minéral».

 

« Quand je suis arrivé ici, les cultivateurs du village utilisaient systématiquement des engrais chimiques pour rentabiliser leurs productions de coton », rappelle M. Biaye, président par ailleurs de l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (ASPSP). Les résultats obtenus sur sa parcelle ont vite permis de convaincre les habitants de Djimini de le suivre dans son mode de production. 

 

L’ASPSP est une organisation paysanne qui couvre les quatre principales régions écologiques du Sénégal (Casamance au sud,  le Sénégal oriental, la région du Fleuve Sénégal et la région du Centre) pour promouvoir et défendre des variétés traditionnelles, non-hybrides, pour l'autonomie semencière de l'agriculture paysanne familiale.

 

 Ajourd’hui, onze groupements composés de femmes et d’hommes ont rejoint M. Biaye dans la pratique de ses méthodes agricoles durables et 24 autres sont en attente d’être intégrés. Selon lui, tous les membres de ces groupements  reconvertis ont délaissé la monoculture de coton pour se tourner vers le maraîchage sans intrants chimiques.

 

« Je ne cultivais que du coton et ne faisais qu’une seule récolte vendue auprès de la Société de développement des fibres textiles (Sodefitex). Je n’avais donc qu’une source de revenus que je perçois une seule et unique fois par an », se rappelle, dépitée, Coumba Sidibé, présidente de l’un des groupements reconvertis à l’agroécologie. 

 

En faisant visiter le périmètre d’un hectare qu’elle partage avec ses collègues, Coumba Sidibé cache mal sa fierté devant les plants de gombo, d’aubergine, de patate douce et d’oignon en pleine croissance. 

 

Selon Lamine Biaye, la majorité de ces femmes qui s’active dans ces périmètres sont seules à subvenir aux besoins de leurs familles grâce à l’agroécologie. 

 

En plus d’avoir régénéré et rendu fertiles ses terres durant les treize ans de pratique, Coumba Sidibé reconnait que sa reconversion à l’agroécologie lui a permis d’être financièrement autonome. Sans vouloir donner des détails sur ses revenus, elle se réjouit toutefois de pouvoir réaliser, chaque année, plusieurs récoltes sur le même lopin de terre, de subvenir plus facilement aux besoins de sa famille et même de faire une petite épargne financière.

 

Avec le soutien de l’Alliance pour la souveraine alimentaire en Afrique (AFSA), l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (ASPSP) et le mouvement Nous sommes la solution (NSS), Mme Sidibé et ses collègues ont pu aménager cette parcelle commune pour y pratiquer du maraichage. 

 

L’AFSA, présente dans plus d’une trentaine de pays africains, est une large alliance de différents acteurs de la société civile composés de petits agriculteurs, d’éleveurs, de chasseurs / cueilleurs, de peuples autochtones qui lutte pour la souveraineté alimentaire et l’agroécologie en Afrique. 

 

Quant à NSS, il est un mouvement de femmes rurales très présent en Afrique de l’Ouest pour promouvoir l’agroécologie. « Nourrir le monde par nos mains et nos valeurs, préserver les semences paysannes et cultiver la biodiversité » est son slogan.  

 

Les COP, l’agriculture et l’alimentation 

 

L’agriculture et l’alimentation pèsent pour un tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde. Mais seulement 3 % des financements publics pour le climat sont dévolus à ce secteur. Ces deux sujets seront au cœur des négociations à la COP28 en cours à Dubaï (30 novembre -12 décembre 2023). 

 

La COP ou Conférence des Parties est une réunion annuelle des États pour fixer les objectifs climatiques mondiaux. Elle est chapeautée par l’Organisation des nations unies (Onu).

 

Le pays hôte est déjà arrivé à amener « les grands pollueurs » de la planète (les Etats unis, les 27 pays de l’Union européenne et la Chine) à signer un engagement  pour  prendre en compte l’agriculture et l’alimentation dans leur plan climat.

 

Avant de se rendre à cette COP28, l’AFSA est montée au créneau pour redemander le rejet des « fausses solutions climatiques, telles que l'agriculture intelligente face au climat (AIC), les crédits carbone et les solutions basées sur la nature (SBN). »

 

Dans une déclaration en date du 27 novembre 2023 et intitulée « placer les populations, la nature et les conditions de vie au premier plan de l'action climatique », le réseau continental interpelle les dirigeants du monde sur l’importance et l’urgence d’intégrer l’agroécologie et les systèmes alimentaires dans les actions des plans climat.  

 

L’AFSA trouve « regrettable » que les décisions n'abordent pas « les divers impacts des différents modèles de systèmes agricoles et alimentaires sur l'environnement et le changement climatique » Or, soutient-elle, il est évident que « le modèle agricole prédominant suggéré et promu pour l'Afrique est le modèle d'agriculture industrielle, qui s'appuie fortement sur les engrais artificiels et les pesticides, qui nuisent à la qualité des sols, à la biodiversité et à l'environnement ».

 

Il faut donc oser des réponses basées sur des modes d’agriculture et des systèmes alimentaires durables.

 

Au Sénégal, l’expérience des périmètres de Djimini est aussi et surtout une forme de réponse endogène pour assurer la souveraineté alimentaire tout en atténuant les impacts du changement climatique. Et l’Etat du Sénégal semble avoir pris conscience de cela. 

 

« La transition agro-écologique doit être placée parmi les priorités pour atteindre l’émergence et le développement du Sénégal », estime Boubacar Dramé, Conseiller technique au ministère de l’Agriculture, de l’équipement rural et de la souveraineté alimentaire du Sénégal. 

 

A travers le PSE vert (Plan Sénégal Emergent- cadre de référence des politiques pour un Sénégal émergent à l'horizon 2035), le ministère et la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal (DyTAes) mettent en œuvre une série d’actions dans le secteur agricole pour « une meilleure adaptation aux chocs climatiques et gagner le pari de la transition climatique »,  ajoute M. Dramé. 

 

La DyTAes est un mouvement qui promeut les principes, valeurs et pratiques agroécologiques au Sénégal. Elle regroupe 74 organisations nationales et internationales, elles-mêmes composées d’Ong, de femmes rurales, de réseaux de producteurs et de consommateurs, d’institutions scientifiques, de collectivités territoriales, etc. 

 

« L’apport du PSE à la dynamique agroécologique n’est pas satisfaisant », estime Alihou Ndiaye, Coordonnateur de l’ASPSP (nationale) et du Comité ouest africain des semences paysannes  (Coasp, sous régionale). Selon lui, les fonds de ce plan dédiés à la transition écologique sont plus orientés vers la reforestation que vers la souveraineté alimentaire.

 

Absa Mbodj, du secrétariat de la DytAes, reconnait que le PSE vert met le focus sur la foresterie mais admet que cet aspect même fait partie des composantes de l’agroécologie en ce sens « qu’il encourage déjà des initiatives de reboisement ».

 

Toujours dans le cadre du PSE vert, Mme Mbodj enregistre la subvention, par l’Etat, des intrants organiques à hauteur de 10 % du budget du ministère de l’Agriculture avec une promesse du ministre sortant, Aly Ngouye Ndiaye, de l’augmenter à 20 % en 2024. Il s’y ajoute aussi la mise en avant, dans la stratégie nationale de souveraineté alimentaire, de l’agroécologie comme mode d’adaptation au changement climatique.

 

L’agroécologie, selon ses pratquants, est un mode de production qui ne consomme quasiment pas d’énergie fossile qui se trouve être à la base du réchauffement climatique. Par la production et l’utilisation d’intrants naturels (semences paysannes, pesticides et engrais...), ce mode d’agriculture contribue à la régénération de la biodiversité et à la séquestration du carbone.

 

« Une adoption massive de l’agroécologie comme mode prioritaire de production en agriculture permettrait de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre d’ici la fin du siècle », estime Alihou Ndiaye du COASP.

 

Lors des COP, les négociations sur la prise en compte effective de l’agriculture et les systèmes alimentaires dans les plans climat des Etats souffrent toujours de la domination des défenseurs des énergies fossiles.  

 

Sur le plan africain, le Coordonnateur général de l’AFSA se montrait très insatisfait de l’engagement des dirigeants réunis à deux sommets africains sur le climat à Nairobi et sur les systèmes alimentaires à Dar es Salaam. « De fausses solutions et des promesses vides » avait-il qualifié les recommandations sorties de ces rencontres, en fin septembre 2023,  dans une contribution très critique intitulée « les crises du climat et de la faim en Afrique exigent des mesures urgentes, et non des paroles en l'air ».

 

De la COP28 sortiront-elles des décisions fortes et concrètes en faveur de l’agroécologie et les systèmes alimentaires ?

 

Faydy Dramé

 

 

 

 

 

 

 

Nombre de lectures : 357 fois










Les derniers articles

Inscription à la newsletter