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ACCORD DE PARTENARIAT ECONOMIQUE UE-ACP: Les poulets, le renard et le poulailler

Dimanche 10 Juillet 2016

Alternatives agroécologiques et solidaires (SOL) s’attaque aux arguments des promoteurs des Ape et appelle les pays de la Cedeao à soutenir le Nigeria, ultime rempart de l’ouest africain face aux lobbies européens proches des groupes Bolloré et Mimran. 
 
A quelle sauce les quinze pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) vont-ils être mangés par le rouleau compresseur commercial de l’Union européenne après l’entrée en vigueur des accords de partenariat économique (Ape) ? A travers leurs études et recherches sur la question, des experts africains essaient de démontrer, souvent avec pertinence et justesse, comment et pourquoi ces Ape constituent un dangereux levier d’anéantissement des (déjà) faibles perspectives d’industrialisation des économies africaines. Celles-ci sont en effet brutalement plongées dans une compétition jugée inéquitable avec la première puissance économique et commerciale mondiale, l’Union européenne (voir NH n°4). Les négociations sont en cours depuis octobre 2003 entre les pays de la Cedeao et la Commission européenne.

Chez certains partenaires européens du continent, les critiques contre l’Ue sont beaucoup plus radicales. Dans une note exhaustive et très documentée sur le sujet rendue publique le 9 mai 2016, «Alternatives agroécologiques et solidaires» (SOL) qualifie d’«absurde» et de «criminel» l’Accord de partenariat économique entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest. Selon Jacques Berthelot, économiste et chercheur, «si les pays d’Afrique occidentale signaient l’Ape, ils seraient doublement les dindons de la farce : ils perdraient énormément de ressources budgétaires mais aussi leurs soi-disant préférences commerciales car il sera souvent plus avantageux pour l’Ue de s’approvisionner dans les pays plus compétitifs avec lesquels elle aura conclu des accords de libre échange leur ouvrant son marché sans droits de douane
 
«Absurde et criminel»
«L’absurdité» et la «criminalité» qui caractérisent les Ape, indique SOL, résident en particulier dans les justificatifs brandis par la Commission européenne. «La coopération commerciale passée ACP-UE (…) n’a pas produit les résultats espérés. Bien qu’elle ait accordé un accès à droits nuls à pratiquement tous les produits, cela n’a pas empêché la marginalisation accrue des pays ACP dans le commerce mondial… C’est pourquoi une approche globale est requise.» Pour Jacques Berthelot et SOL, c’est comme si on demandait à «un éleveur de poulets d’ouvrir la porte du poulailler pour que les renards puissent éprouver la capacité de résistance des poulets…» Absurde, dit-il, car «en l’occurrence, les 16 ‘’poulets’’ d’Afrique de l’Ouest avaient en 2014 un Pib moyen par tête 17,7 fois inférieur à celui du ‘’renard’’ UE (1547 euros contre 27 335 euros).»

Ancien président du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (Cncr, Sénégal), Mamadou Cissokho avertissait déjà les dirigeants africains en octobre 2014. «Tous les pays qui se sont développés ont commencé par créer les conditions pour le faire en se protégeant. Et ce n’est qu’après qu’ils se sont ouverts aux autres. On ne peut demander aujourd’hui à l’Afrique d’être le premier exemple qui montrera que c’est en s’ouvrant d’abord au commerce qu’elle va se développer», disait-il dans ces propos rappelés par Berthelot.

Christiane Taubira, chargée d’un rapport sur les Ape en 2008, avait également attiré l’attention du Président Nicolas Sarkozy qui en avait fait la commande. «Les Ape sont des accords de commerce et non de développement. (Or) je ne pense pas que le libre-échange puisse mener au développement. Il n’y a pas d’exemple d’ouverture de marché qui ait conduit au développement. Les Ape vont supprimer toutes les protections. En ouvrant complètement les marchés, on supprime non seulement les protections mais on plus on désarme les Etats. On les prive de recettes, de possibilités budgétaires et d’intervention dans l’économie…»
 
Bolloré et Mimran au banc des accusés
Aujourd’hui, SOL accuse ouvertement «les lobbies des grands groupes européens, notamment français, (qui) ont été à la manœuvre pour persuader les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest qu’ils avaient tout à gagner à l’Ape.» Accusée, la Compagnie fruitière de Robert Fabre «qui produit et exporte l’essentiel des bananes et ananas de Côte d’Ivoire, Ghana et Cameroun sur ses propres bateaux, et des tomates cerises au Sénégal.» Autre accusé : «le Groupe Mimran, propriétaire des Grands Moulins d’Abidjan et de Dakar, qui a obtenu que le droit déjà minime (5% ad valorem) du tarif extérieur commun (Tec) de la Cedeao sur les céréales (à l’exception du riz) soit éliminé dès 2020.» Le groupe Bolloré n’est pas reste «qui gère la plupart des infrastructures portuaires du Golfe de Guinée et est impliqué dans l’exportation de 65% du cacao de Côte d’Ivoire.»

SOL rappelle aussi la position alarmiste de la Commission internationale de l’Assemblée nationale française, à travers le rapport d’information sur l’Ape daté du 5 juillet 2006. «Ces négociations vont droit à l’échec… Si la Commission persiste, l’Europe commettra une erreur politique, tactique, économique et géostratégique… Pouvons-nous vraiment prendre la responsabilité de conduire l’Afrique, qui abritera, dans quelques années, le plus grand nombre de personnes vivant avec moins de un dollar par jour, vers davantage de chaos, sous couvert de respecter les règles de l’OMC ? Croit-on que ce chaos se limitera à l’Afrique, ce qui serait déjà insupportable ? »
 
Buhari, le rempart
Pour sa part, la Grande Bretagne avait livré sa position en 2005 dans un document intitulé «Mettre les Ape au service du développement». «L’Ue devrait suivre une approche non mercantiliste (…) Les pays en développement peuvent tirer profit de la libéralisation à long terme, pourvu qu’ils aient la capacité économique et l’infrastructure dont ils ont besoin pour commercer de façon compétitive.»

Le fait que la Cedeao ait été présidée par l’Ivoirien Alassane Ouattara (février 2012 à mars 2014), puis par la Ghanéen Dramani Mahama (mars 2014 à mai 2015) et depuis par le Sénégalais Macky Sall, «tous trois d’ardents promoteurs de l’Ape» n’a pas contribué à défendre les intérêts fondamentaux stratégiques de l’Afrique de l’Ouest, estime SOL. Selon Jacques Berthelot, il est temps que les chefs d’Etat ouest-africains se réveillent et reconnaissent «la lucidité du Président Muhammadu Buhari du Nigeria en renonçant une fois pour toutes à al signature formelle de l’Ape régional, et mettre en œuvre immédiatement une taxe anti-Ape afin de préserver une certaine chance de promouvoir leur développement à moyen et long terme.» 
 
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