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Politiques et tensions foncières : L’Afrique alerte contre ses propres risques

Mercredi 22 Février 2017

Les conflits liés à la terre sont une des marques de fabrique du paysage social et agricole de la plupart des pays africains. Entre le marteau des politiques publiques peu transparentes et souvent poreuses à la corruption, et l’appétit insatiable d’investisseurs plus souvent étrangers que nationaux, les communautés et populations locales passent pour les dindons de farces tragiques. Une dynamique négative contre laquelle luttent les organisations paysannes et leurs partenaires afin que les exploitations familiales restent les gardiens d’une identité paysanne menacée de tous côtés.
 
Ibrahima Seck est un agriculteur d’environ la soixantaine, de taille moyenne, encore solide et dynamique, en dépit des traits tirés qui ornent son visage harassé. Le verbe haut et ferme dans un français quasi parfait, ce membre du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (Cncr) a partagé sa colère et son dégoût en racontant à une assistance attentive sa bataille gagnée contre une multinationale des mines. Attributaire de plusieurs milliers d’hectares de terres, la société australienne Mineral Deposit Ltd (MDL) entreprend en effet des travaux qui empiètent sur les platebandes de l’exploitation agricole de Seck.
 
Ainsi, un lac naturel décrit comme un véritable condensé de biodiversité (serpents, tortues, etc.) est menacé d’extinction par les bulldozers de MDL. Pour défendre son espace vital, l’agriculteur ne recourt pas à la violence, il alerte la planète entière contre une « catastrophe écologique » à venir à travers les réseaux sociaux, sans se lasser, jusqu’à ce que les machines destructeurs de MDL se résignent à abandonner…
 
Le cas d’Ibrahima Seck n’est pas isolé, il est devenu une règle contre laquelle les sociétés civiles africaines (mais aussi asiatiques et latino-américaines) se sont liguées depuis plusieurs années, essentiellement à partir des crises financière et alimentaire mondiales de 2008. Les questions foncières sont devenues sources d’inquiétudes et de préoccupations dans le contexte d’une précarisation des équilibres socio-environnementaux. Elles sont au cœur du lancement du rapport annuel de l’Initiative des droits et des ressources (RRI) qui se tient pour la première fois en Afrique.
 
En quête d’opportunités d’investissements rentables à brève échéance ou dans la durée, des fonds de pension, multinationales ou groupes financiers privés ont débarqué en Afrique, nouvel eldorado des terres promises. Une ruée qui a coïncidé avec le lancement d’un processus sans précédent de réforme foncière dans une trentaine de pays sur le continent dont treize sont concrètement dans le bain avec la création de commissions ou autorités nationales dédiées aux réformes.
 
A ce niveau, craintes et espoirs s’entrechoquent au sein d’organisations de la société civile, obligées de monter au front pour circonscrire les incendies. Du Sénégal au Kenya, du Mali au Ghana, du Burkina au Cameroun en passant par le Liberia, les problématiques semblent à peu près identiques, chacune avec ses spécificités locales.
 
Pour Babacar Diop, administrateur du Cncr et président de la Fongs, « il est indispensable que la réserve foncière préserve les intérêts et droits des populations autochtones grâce à des politiques adaptées aux réalités locales. C’est cela le gage de leur applicabilité. » Une orientation appuyée par le Dr Cheikh Oumar Ba, directeur exécutif de l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar), coorganisatrice de la rencontre. Seule « une gouvernance foncière responsable et inclusive »  peut contrer « les démons de la division et des conflits.»
 
A ce propos, Lou Munden, du cabinet de consultance TMP Systems, a indiqué sur la base d’éléments recueillis par enquêtes que les communautés victimes de spoliation foncière sont globalement moins intéressées par des compensations financières que par le souci de : se faire respecter, mener une vie décente, construire un avenir pour leurs enfants et pour eux-mêmes, s’enraciner dans leurs terres d’origine, etc. Selon Mali Ole Kaunga, directeur de l’Ong Impact au Kenya, « alors que les investisseurs considèrent la terre comme capital, les communautés la voient comme un bien social, une identité » à défendre et à perpétuer.
 
Ces communautés ont sans doute raison de poser ainsi les termes d’un partenariat avec l’Etat et les investisseurs car, explique Kaunga, « l’argent n’est pas visible par les populations autochtones et locales qui restent pauvres », d’où « la nécessité de repenser l’investissement.» Pour Suleiman Kiggundu, directeur régional pour l’Afrique de CDC Group, « il faut effectivement hiérarchiser les priorités des communautés en termes d’investissement. »
 
Président de la Fédération des périmètres autogérés et membre du Cncr, Alioune Guèye fait remarquer que « les communautés locales et autochtones sont en réalité « les premiers investisseurs auxquels l’Etat doit prêter une grande attention. » Ce qui suppose que ce même Etat soit en même temps « plus regardant dans l’octroi des terres aux investisseurs étrangers » tout en s’astreignant de connaître les souhaits en investissement des communautés avant de faire appel aux investisseurs. « Etre à l’écoute des producteurs permet d’être mieux à même d’identifier leurs attentes et préoccupations. »

 
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