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PORT DU VOILE EN ENTREPRISE : La division jusqu'à la Cour de justice européenne

Mercredi 13 Juillet 2016

PORT DU VOILE EN ENTREPRISE : La division jusqu'à la Cour de justice européenne
La Cour de justice de l'Union européenne doit dire si une entreprise peut à bon droit interdire à une salariée musulmane de porter le voile. A deux mois d'intervalle, sur cette question hautement sensible, deux de ses avocats généraux viennent de rendre deux avis diamétralement opposés. En attendant la décision finale. 

Une entreprise peut-elle interdire à ses salariées musulmanes de porter le voile? Sollicitée par la France et la Belgique, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) n’a pas encore tranché. Mais la CJUE va devoir faire face à deux argumentaires diamétralement opposés soutenus par deux de ses avocats généraux dans des affaires à la fois distinctes et largement similaires. En effet, moins de deux mois après un premier avis qui soutenait, dans l’affaire belge, que, dans le secteur privé, une entreprise pouvait à bon droit émettre ce type d’interdiction, l’avocate général Eleanor Sharpston a, elle, considéré le 13 juillet dans ses conclusions que « le règlement de travail d’une entreprise qui impose à une travailleuse d’ôter son foulard islamique lors de ses contacts avec la clientèle constituait une discrimination directe illicite ».

Une seule chose est sûre : la CJUE rendra d’ici la fin de l’année une décision commune et identique pour les deux situations : il n’y qu’un droit européen, et au final, une seule interprétation de ce droit pas la Cour, même si pour l’heure,  comme l’a souligné l’avocate générale, « la législation et la jurisprudence des États membres relatives au port de tenues vestimentaires religieuses dans un contexte d’emploi présentent un grand degré de variété. »

Cette fois, il s’agissait d’examiner la situation de Asma, une femme musulmane embauchée en juillet 2008 comme ingénieur d’études par Micropole, une société de conseil informatique. Par ses fonctions, Asma se rendait régulièrement dans les locaux de clients. L’un d’entre eux s’était plaint, et avait demandé à l’entreprise qu’elle s’abstienne de porter un foulard « la prochaine fois ». Micropole a répercuté la demande et lui a expliqué : « Nous sommes contraints, vis-à-vis de nos clients, de faire en sorte que la discrétion soit de mise quant à l’expression des options personnelles de nos salariés ». Asma a refusé de se soumettre ; elle a été licenciée.
Asma  a perdu devant le Conseil des prud’hommes, puis devant la Cour d’appel de Paris. Elle s'est pourvue en cassation. Or la Cour de cassation a décidé, comme aurait pu le faire n’importe quel juge, de saisir la CJUE. C’est ce qu’on appelle une transmission par voie préjudicielle : incertaine quant à l’interprétation qui devait être faite du droit européen, la Cour française a préféré demandé son avis à la CJUE, qui siège au Luxembourg, et qui rendra une décision « contraignante ».

En l’espèce, toute la question est de savoir si porter le voile peut être considéré comme « une exigence professionnelle essentielle et déterminante », et donc échapper au principe de non-discrimination fondé sur la religion ou les convictions, prévu dans une directive de l’Union.

Pour l’avocate générale, la liberté de manifester sa religion relève du champ d’application de la directive et il s’agit donc d’une discrimination directe : une personne a été traitée de manière moins favorable qu’une autre dans une situation comparable Aucune des dérogations envisagées par la directive ne s’appliquerait à cette situation. Pour Eleanor Sharpston, la liberté d’entreprise connaît des limites, dont la nécessité de protéger les droits et libertés d’autrui. « Le risque de préjudice financier pour l’employeur ne peut pas justifier une discrimination directe ».

Plus loin dans son raisonnement, elle explique aussi sur la quetsion de la proportionnalité de la mesure : « Micropole a beaucoup insisté sur le fait que la proportion du temps de travail de Mme Bougnaoui pendant laquelle elle était en contact avec la clientèle et, partant, ne pouvait pas porter un foulard islamique, ne dépassait pas les 5 %. Micropole soutient, sur cette base, que la restriction était proportionnée. Un tel argument ne me semble pas convaincant. La durée pendant laquelle une interdiction est susceptible de s’appliquer peut ne pas avoir de rapport avec la raison pour laquelle la travailleuse veut porter le couvre-chef en question. La conviction religieuse de Mme Bougnaoui quant à ce qui constitue une tenue appropriée pour elle, en tant que femme musulmane pratiquante, est qu’elle devrait porter un foulard islamique (le hijab) au travail. Si tel est le cas lorsqu’elle se trouve dans l’environnement quotidien et familier de l’entreprise de son employeur, il est raisonnable de supposer que tel est a fortiori le cas lorsqu’elle se trouve en dehors de cet environnement et en contact avec des personnes extérieures à l’entreprise de son employeur. »

Dans l’affaire belge, Juliane Kokott, une autre des 11 avocats généraux de la CJUE, avait soutenu un raisonnement opposé et considéré que l’entreprise G4S Secure Solutions NV, une entreprise qui fournit des services de surveillance et de sécurité, avait licencié Samira à bon droit.  L’avocate générale avait en effet considéré que la religion musulmane n’était pas spécifiquement ciblée, un juif à kippa, un sikh à turban ou un chrétien désirant porter un tee-shirt « Jesus is great » étant tout autant concernés. Elle n’avait pas non plus lu le règlement comme anti-religion en général, le port de signes de convictions politiques ou philosophiques étant également interdits.
Par ailleurs, elle avait estimé qu’une entreprise, pouvait, si l’objectif était légitime, exiger le port d’un certain style vestimentaire (costume cravate par exemple), d’un uniforme particulier (policiers, agents de compagnie aérienne…). Comme elle pouvait imposer de renoncer à un foulard.

Elle expliquait : « Alors qu’un travailleur ne peut pas laisser au vestiaire son sexe, sa couleur de peau, son origine ethnique, son orientation sexuelle, son âge ni son handicap, on peut en revanche attendre de lui une certaine retenue pour ce qui concerne l’exercice du culte au travail. »

Les juges de la Cour devraient rendre leur décision avant la fin de l’année. 

13 juillet 2016 | Par Mediapart
 
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