Par Momar DIENG
C’est une véritable avancée qu’a effectué la justice sénégalaise dans l’enquête relative au contrat d’achat d’armes de 45 milliards de francs CFA (77 millions de dollars US) signé au début de l’année 2022 entre l’Etat du Sénégal avec de sulfureux trafiquants étrangers dont le Nigérien Aboubacar Hima alias Petit Boubé. Selon le quotidien sénégalais Libération, la Division des investigations criminelles (DIC), bras armé de la police judiciaire, a arrêté trois individus après les avoirs interrogés dans ses locaux à Dakar.
Le trafiquant d'armes nigérien "Petit Boubé" décroche un contrat majeur au Sénégal : 45 milliards FCFA - 2 ministres signataires du contrat (Enquête OCCRP)
Selon nos sources, le travail des policiers et des magistrats du parquet financier va se poursuivre avec des interrogatoires plus poussés des individus mis aux arrêts. Leur objectif sera d’identifier et de confondre le maximum de protagonistes ayant participé au trafic présumé d’armement à travers des prête-noms et/ou réseaux criminels dissimulés.
Ledit contrat, dévoilé par des journalistes du consortium OCCRP, met en scène une société locale dénommée Lavie Commercial Brokers qui a la particularité d’avoir été créée deux mois avant la transaction. Elle appartient à ‘’Petit Boubé’’. Mais c’est l’Israélien David Benzaquen, ancien employé du marchand d’armes israélien Gaby Peretz, qui a apposé sa signature pour le compte de l’entreprise de ‘’Petit Boubé’’, souligne l’enquête de OCCRP susmentionnée à laquelle ont contribué les journalistes d'investigations Moussa Aksar (Niger) et Momar Dieng (Sénégal).
D’après Libération, les sieurs concernés sont identifiés avec les initiales suivantes : A. Loum, M. Seck et M.W. Sy. Le trio est complété par une autre personne « formellement identifiée », tous étant parties-prenantes actives de l’affaire, selon la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF-Sénégal).
Aboubacar Hima alias Petit Boubé (photo Jeune Afrique)
C’est en partie grâce aux perquisitions effectuées au siège de la société TSI (Technologie service international) au quartier Fann-Résidence à Dakar que l’enquête des autorités judiciaires sénégalaises a connu ces rebondissements. « Le concierge interrogé sommairement a révélé que Petit Boubé avait quitté les lieux au lendemain de la Présidentielle de mars 2024 », écrit Libération dans son édition de ce 22 août 2025.
Tenue le 24 mars 2024, la présidentielle sénégalaise avait consacré la victoire écrasante de Bassirou Diomaye Faye sur le candidat du régime sortant, en l’occurrence Amadou Ba, poulain de Macky Sall.
Citant la Centif, le journal rapporte que « Petit Boubé avait ouvert au Sénégal, dans une banque de la place, deux comptes au nom de ses sociétés Tsi et Eurocockpit.
En amont, Lavie commercial brokers Suarl et Eurocockpit « avaient fait un virement de 3.090.000.000 de francs CFA à Tsi. Ces fonds avaient été ensuite transférés par virement, par retraits et par transferts en devises vers l’étranger. Le 27 février 2023, des mises à disposition de 85 et 150 millions de francs CFA avaient été effectués au profit des nommés D.A. A Jacques et Alassane Loum permettant à ces derniers de retirer les sommes en espèces. Le lendemain, Loum a encore bénéficié d’une mise à disposition de fonds d’un montant de 185 millions de francs CFA retiré en espèces. Toutes ces opérations n’ont pas été justifiées, selon la Centif. Une cascade de retraits et de virements tous azimuts assimilés à de potentiels pots de vin, commissions et/ou rétrocommissions au profit des parties prenantes au trafic présumé.
Ultra présent dans le deal, Petit Boubé « (…) avait retiré lui‐même des chèques pour un montant global de 565.500.000 de francs CFA », indique le journal.
Ensuite, « plusieurs transferts ont été émis vers l’étranger soit disant pour l’exécution du contrat classé «Secret défense ». Pour justifier ces opérations, Hima avait déclaré que les fonds seraient destinés au dédouanement des conteneurs pour le compte du ministère de l’Environnement. Vérification faite par la Centif, ces déclarations étaient fausses. Et curieusement, les opérations avaient été réalisés après quePetit Boubé, qui prétendait «préfinancer» le marché d’armement, avait reçu une «avance» de 34 milliards de Fcfa. »
En juin 2023, Aboubacar Hima, en séjour à Dakar, s’était défendu dans les colonnes de Jeune Afrique contre les accusations de corruption et de surfacturation portées contre lui. « Le contrat court sur cinq ans, sans avance de l’Etat (du Sénégal) au démarrage. Qui va accepter cela, attendre des années pour être payé, à part moi ? On parle de surfacturation, mais que fait-on des risques, des intérêts bancaires à payer, etc. », s’était-il interrogé.
En conseil des ministres du 29 mai 2024, le premier ministre Ousmane Sonko avait souligné « l’urgence de procéder à l’audit des ressources financières importantes mises en place par l’Etat pour la montée en puissance de la Direction des Eaux et Forêts, Chasses et Conservation des Sols (DEFCCS), en particulier celles destinées à la fourniture d’équipements de sécurité, de véhicules d’intervention et de matériels techniques. »
Classé « secret défense », le contrat avait été signé par deux officiels du gouvernement sénégalais en 2022 : Abdou Karim Sall, ministre de l’Environnement et du Développement durable (MEDD) et Abdoulaye Daouda Diallo, ministre des Finances et du Budget (MFB), tous deux très proches de l’ancien président Macky Sall.
Officiellement, le stock d’armement devait être constitué d’armes (fusils d’assaut, pistolets semi-automatiques, etc.) et de munitions diverses pour les agents servant dans le giron de l’environnement et confrontés à des groupes criminels divers…
FinCEN FILES - Malversations au ministère nigérien de la Défense : 71,8 milliards FCFA captés par des seigneurs du faux (par Moussa AKSAR)
Au Niger, Aboubacar Hima est également cité dans une enquête retentissante réalisée en 2021 par le journaliste d'investigation Moussa Aksar. Dans les résultats de ses recherches, notre confrère fait état de nombreuses malversations dans un marché d’achat d’armes du ministère nigérien de la Défense et portant sur la bagatelle de plus 71 milliards de francs CFA. Après la publication de l’article, Aksar a reçu plusieurs messages de menaces de mort lus par IMPACT.SN. Aucune suite n’a été donnée aux plaintes qu’il a déposées au tribunal de Niamey contre Petit Boubé qu’il considère comme l’auteur de ces menaces.