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AUTOSUFFISANCE EN RIZ - Pas avant 2020, selon l’Union européenne

Jeudi 1 Septembre 2016

AUTOSUFFISANCE EN RIZ - Pas  avant 2020, selon  l’Union européenne
La rhétorique du gouvernement sénégalais à travers le Pracas qui est le volet agricole du Plan Sénégal émergent (Pse) veut que le Sénégal atteigne l’autosuffisance en riz et arachide à l’horizon 2017. Dans un rapport d’analyse d’économie politique  publié en mai 2016 par l’Union européenne sur les filières arachide et riz, les auteurs ne sont pas allés bien loin pour mettre un bémol sur la prévision gouvernementale.
 
Le rapport dont il est question est sorti en mai 2016 sous l’intitulé : « Analyse d’économie politique des filières arachide et riz. Une étude réalisée par le cabinet Cardnoemergingmarkets. Elle s’est déroulée du 1er février au 22 avril 2016 entre le Delta du Fleuve Sénégal et le Bassin arachidier. «Outre les représentants des services officiels, aucune des sources interrogées pour cette étude n’estime que les objectifs seront atteints en 2017 », observent Steev Lynn, chef d’équipe  du cabinet Cardnoemerging  et Ibrahima Hathie, agroéconomiste.
 
Bien plus, affirment-ils avec certitude, «l’autosuffisance en riz prendra au moins 4 ans (d’ici 2020 ou après)», ajoutant que «dans la filière arachide, la période et la faisabilité même des buts sont moins sûres» avec des  rendements réels estimés à environ 800 kg/ha en 2015».
Pourtant, c’est sur ces deux filières marquées par un poids sociologique certain avec près de 1,5 million de personnes pour le riz et le double pour l’arachide, que le gouvernement compte pour réaliser le Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise(Pracas). Mais elles «sont marquées par une chaine de valeur mal organisée», constat le rapport.
 
Quand la transhumance politique impacte la production agricole
«Les objectifs du Pracas sont réalisables, même si les dates limites devront être prolongées», souligne le texte de 71 pages, fruit d’enquêtes de terrain entre le Delta du fleuve Sénégal et le  Bassin arachidier. Le rapport indexe plusieurs écueils pour l’atteinte de l’autosuffisance telle formulée à travers le Pracas. «Il convient de mentionner que le Pracas a été précédé par d’autres plans pareillement conçus pour moderniser le secteur agricole et augmenter sa productivité. Cependant, certaines pratiques néfastes persistent qui émoussent à chaque fois l’efficacité de ces plans», constatent et déplorent les auteurs de l’étude.
 
Dans la foulée, un doigt accusateur est pointé sur un phénomène qui déborde la sphère politique pour impacter négativement ce secteur vital de l’économie sénégalaise. «La transhumance politique fait que les mêmes personnes continuent à maintenir et à profiter de ces pratiques, quel que soit le gouvernement au pouvoir», dénoncent-il. Or, «pour que le Pracas conduise à une véritable émergence de l’agriculture sénégalaise, des mesures extraordinaires seront nécessaires pour enfin faire face à ces pratiques de l’informel, de transactions dissimulées, et du détournement des ressources allouées à la productivité agricole vers d’autres fins sans pertinence».
 
Statistiques, le casse-tête
Le rapport de l’Union européenne met en cause également la fiabilité des statistiques. «De manière générale, toute déclaration relative au succès des objectifs fixés par le Pracas est sujette à caution, du fait du manque de statistiques fiables, un problème récurrent de l’agriculture sénégalaise», lit-on dans le texte.
 
«Les données émises par l’Etat (Dapsa, Saed, Sodagri, etc.) sont basées sur des prévisions d’emblavures, la vente de semences, et autres outils estimatifs, qui ne sont pourtant pas une mesure concrète de la production. Dans ces conditions, la tendance de l’Etat de vouloir publier des données encourageantes peut jouer sur ces estimations, ce qui peut contribuer au large écart observé entre les statistiques officielles et celles des autres acteurs de la filière», indique le document.

A titre illustratif, le rapport donne l’exemple de la dernière campagne agricole. «Alors que le gouvernement annonce une production record de 1.121.000 tonnes d’arachide en 2015, la plupart des acteurs (producteurs, huiliers, exportateurs) indiquent que les résultats réellement atteints sont loin de ce compte.» Explications en détails : en considérant une consommation domestique de 255 000 tonnes (Usda) et un cumul des achats de l’industrie et des exportateurs de 305 996 tonnes au 17/4/2016, soit un total de 560 996 tonnes, on est loin des performances annoncées même en prenant en compte les semences estimées à 110 000 tonnes par la Direction de l’Agriculture.
 
Contraintes techniques
Outre les contraintes sociales, politiques et économiques, des contraintes techniques pèsent également sur l’atteinte du Pracas. Il s’agit, entre autres, de  la difficulté pour les producteurs de rembourser le crédit de la contre-saison assez rapidement pour obtenir un deuxième crédit pour l’hivernage ; l'état des pistes de production lors de l’hivernage qui empêche l’entrée dans le champ pour épandre les intrants et récolter la production ; le déficit de services mécanisés, qui empêche la récolte à temps à la fin de la contre-saison et la préparation de la terre pour l’hivernage.
 
A cela, il faut ajouter : le manque d’aires de séchage et de stockage. Pour le riz pluvial les contraintes sont autres : le système de production de semences certifiées n’a pas encore atteint la plupart des zones de production même si des progrès notables ont été enregistrés; les petits producteurs sont réticents aux risques associés à l’adoption de nouvelles variétés et de nouvelles pratiques qu’ils ne maîtrisent pas ; avant d’adopter des méthodes modernisées de production, il leur faut des assurances agricoles pour atténuer le risque de mauvaises récoltes dues aux facteurs agro-climatiques .

En outre, les petits producteurs manquent de service mécanisé adapté à leur échelle, ex : des motoculteurs et des faucheuses pour la moisson ;  d’aires de séchage et de stockage constitue une limite à la production ;
 
S’agissant des contraintes qui pèsent sur l’agriculture, l’accès aux semences de qualité est limité et rendu compliqué par l’utilisation de graines tout-venant comme les «semences écrémées» ; le manque d’organisation de la filière ralentit son développement ; la contractualisation de la production pourrait faciliter l’accès au crédit pour les producteurs et garantir l’approvisionnement aux industriels/huiliers ; les exportateurs de graines pourraient également s’engager.
 
Parmi les autres contraintes, il y a aussi et surtout les difficultés d’accès au crédit et  le sous-équipement qui est un enjeu majeur aussi bien pour les semis (semoirs) que les opérations post-récoltes (criblage, stockage), notent les auteurs du document, indiquant que  les tracteurs ne sont pas toujours la priorité compte tenu de la petite taille des exploitations.

La suppression des subventions préconisées 
Après avoir décrit les dysfonctionnements et les complaisances notées dans l’octroi des subventions captées indument par les mêmes personnes (fournisseurs, marabouts) d’engrais et de matériel, les auteurs du rapport ont préconisé l’arrêt de celles-ci.

Des milliards de francs Cfa de subventions agricoles sont capturés par de grandes personnalités politiques et religieuses ou des fournisseurs d’intrants, de semences et de matériel agricole. «Les semences d’arachide sont affectées par un autre problème, où des graines ordinaires achetées à bas prix (100 à 125 F/kg) sont revendues à l’Etat sous le label «semences écrémées», au même prix que les véritables semences certifiées (250 à 300 F/kg). Non seulement ces fausses semences donnent des résultats agronomiques décevants, mais les subventions appliquées font gaspiller des milliards de FCFA de l’Etat», souligne le rapport du cabinet Cardnoemerging.

« Ces actions et leurs auteurs sont généralement connus dans un milieu local, ils sont protégés par une ambiance d’impunité. Ces cas illustrent comment les ressources allouées par l’Etat pour augmenter la productivité agricole n’atteignent pas les effets escomptés», poursuit la même source.

Concernant le matériel agricole, on observe souvent que son efficacité est restreinte par une mauvaise adéquation entre les besoins et les conditions des producteurs d’un côté, et l’offre des équipements subventionnés de l’autre, fait remarquer le rapport.
(Mamadou SARR)
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