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Portrait - Amadou Ba, notable d’Etat

Mardi 19 Mars 2024

Contesté puis soutenu dans son propre camp, affaibli mais opiniâtre, le candidat du pouvoir, étiqueté à tort ou à raison comme un spécialiste des manoeuvres politiques souterraines, se retrouve en bas de l’escalier embouteillé qui mène au dernier étage de la République. Les frémissements populaires d’une campagne électorale compliquée au début le confortent dans sa bonne étoile. 

 

« Si l’élection présidentielle devait se jouer par un système de grands électeurs constitué d’autorités religieuses, coutumières, médiatiques, etc., Amadou Ba serait élu au premier tour. Malheureusement, l’élection se fait au suffrage universel direct. »

 

Déchargé de ses fonctions de premier ministre un peu avant l’ouverture de la campagne électorale, Amadou Ba est subitement passé du confort feutré de la Primature à une exposition publique violente et contradictoire. L’accusation d’enrichissement illicite proférée contre lui par Ousmane Sonko puis l’évocation de son patrimoine par Bassirou Diomaye Faye renvoient à ce qui serait le double talon d’Achille du candidat du pouvoir : biens mal acquis et pouvoir de l’ombre. 

 

Biens mal acquis ? Cela reste à prouver, d’autant qu’il s’est engagé à rendre public son patrimoine s’il est élu. Pouvoir de l’ombre? Ça devient moins discutable eu égard aux témoignages divers et plutôt concordants sur ses capacités à tirer les ficelles de ses ambitions derrière une personnalité sage et mesurée à bien des égards.  

 

« On ne sait jamais quand est-ce qu’il est content ou mécontent. Il sait garder ses émotions », rapportent certains de ses collaborateurs dans un media de campagne proche de lui.  

 

Réseaux et manoeuvres 

 

Le technocrate de 63 ans, aîné d’une famille du populeux quartier de Grand-Dakar, a un vécu partagé entre administration fiscale et engagement politique. Pendant 7 ans, il a été directeur générale des impots et domaines (Dgid). Aujourd’hui, il est au pied de l’escalier embouteillé qui mène au dernier étage de la République, celui qui concentre le pouvoir suprême. Il fait avec ses armes, de type plus ou moins conventionnel. « C’est clairement un homme de manoeuvres, de réseaux, de lobbies. Il a dû beaucoup tirer de Nicolas Machiavel », confie un haut fonctionnaire politiquement non encarté de la Direction générale des impots et domaines. 

 

« Amadou a du talent dans le sens où il sait à merveille allier ses intérêts aux circonstances et contraintes. Néanmoins, il ne prend jamais de risque ou si rarement », souligne un de ses ex collègues. 

 

Du risque, il en a pris en fin de compte quand il a (ardemment) voulu puis (vigoureusement) accepté d’être l’étendard de la coalition au pouvoir dans la plus prestigieuse des élections au Sénégal. Mais il y a de la logique dans sa démarche. 

 

« Dans le contexte de la création du Syndicat autonome des impôts et domaines, Amadou Ba déconseillait la politique à beaucoup de ses jeunes collègues, a fortiori dans un parti d’opposition. Dans son esprit, se réaliser socialement et professionnellement doit précéder le saut dans le monde de la politique », confie un de ses contempteurs ayant requis l’anonymat. 

 

Directeur des impôts (2003-2006), l’introverti « Boy Grand-Dakar » qui se revendique aujourd’hui « Boy Sénégal » a laissé quelques souvenirs á ses anciens collègues dont ceux du Syndicat maison, le Said. 

 

« Il était le plus en vue des directeurs, notamment dans l’écoute et la prise en charge des préoccupations des syndicalistes. Il a fait montre d’un véritable sens de l’initiative en cherchant à trouver des solutions aux revendications des agents », témoigne l’un d’eux. 

 

Face au syndicaliste Ousmane Sonko

 

Voulait-il caporaliser le syndicat à des fins personnelles ? « Lui seul peut y répondre », rétorque notre interlocuteur. Mais les rumeurs, tout naturellement, sont porteuses de quelques indiscrétions à ce sujet. 

 

« Vers 2005, il avait déjà des ambitions pour devenir le grand boss de la Dgid. Certains estiment qu’il voulait s’illustrer au niveau de l’autorité politique pour se présenter comme la figure managériale capable de gérer et/ou de contenir les velléités revendicatives du syndicat », avance-t-on. 

 

« Amadou était le plus impliqué de tous les directeurs dans l’écoute des revendications internes, plus même que le très compétent directeur général de l’époque, Assane Dianko », se souvient son collègue susmentionné. 

 

De l’implication, il en fallait car il avait en face de lui un jeune et teigneux adversaire qui deviendra plus tard le cauchemar du pouvoir de Macky Sall : Ousmane Sonko. « Amadou Ba-Ousmane Sonko ? Leur histoire sort un peu de l’ordinaire », souligne un ami qui leur est commun. 

 

« Une anecdote me semble avoir scellé leurs relations. Entre 1999 et 2001, nous étions ensemble à l’Ena (Ecole nationale d’administration, NDLR). Amadou était notre formateur en section Impôts et domaines. Il nous dispensait le cours de comptabilité en Cycle A où Ousmane était étudiant. Mais comme le formateur était absentéiste, l’étudiant le lui a ouvertement reproché en plein cours. La remarque a irrité Amadou qui promet à Ousmane de briser sa carrière, mais les choses ne sont pas allées plus loin, je crois. » 

 

C’est en 2006 que le veinard Ba devient chef de la Dgid, un poste avec lequel il enjambe le régime Wade pour atterrir dans le « Macky » où l’attend sa première nomination ministérielle en 2013 : Economie, Finances et Plan. 

 

A l’abri du besoin !

 

Est-ce après s’être mis à l’abri du besoin financier que le candidat de la « prospérité partagée » a vu surgir devant lui un boulevard pour prétendre à la succession de Macky Sall ? 

 

« Il a les moyens financiers et matériels de ses ambitions depuis bien longtemps, glisse un connaisseur de ses réseaux. C’est le pouvoir qu’offre la fonction présidentielle qui l’intéresse maintenant. Sa détermination à atteindre cet objectif est sans faille…» 

 

Amadou Ba croit en son étoile car, professe-t-il dans une vidéo de com’ en partage sur les réseaux sociaux, « le destin se joue sur des détails…»

 

Moulé sous le format carré d’une technocratie élitiste tournée vers l’efficacité des systèmes de collecte d’impôts, l’ancien patron de la (Dgid) connait ensuite une certaine ascension dont la fulgurance est sans commune mesure avec la faiblesse de ses performances électorales. Les municipales (janvier) et législatives (juillet) de 2022, marquées par une percée historique de l’opposition, ont dévoilé la crise de popularité de l’ex directeur général des impôts et domaines dans sa circonscription des Parcelles assainies. Sa victoire à la Pyrrhus aux locales de 2017 en était déjà un signe annonciateur. 

 

S’il a fini par avoir Macky Sall à l’usure, avec le soutien feutré mais important de la France, l’ancien premier ministre (2022-2024) a aussi eu l’entregent de fait carburer ses multiples réseaux d’allégeance et d’amitiés disséminés dans le tissu socio-économique sénégalais, mais également dans un appareil d’Etat qu’il connait sur le bout des doigts, dit-on. « Son ouverture d’esprit, son accessibilité et sa capacité à dialoguer en font un homme sympathique à qui rien n’est impossible finalement », indique une de ses connaissances.

 

Engagé dans le processus électoral le plus chaotique de l’histoire politique du Sénégal, l’ambitieux Amadou Ba est sur l’ascenseur émotionnel de sa vie : ça passe ou ça casse. Notable d’Etat comme d’autres sont notables de quartier, il le restera quel que soit le destin qui l’habitera au soir d’un certain 24 mars 2024. 

 

 

 

 

 

 

 

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