Connectez-vous

Vers l’implosion de la CEDEAO ? Un avenir en question (Par Demba Moussa Dembélé)

Mercredi 31 Janvier 2024

 

Le 28 janvier 2024, un communiqué conjoint du Burkina Faso, du Mali et du Niger a annoncé leur retrait de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), « avec effet immédiat ». Cette décision est l’aboutissement d’un bras de fer entre les trois pays et cette institution qui s’est transformée en un vulgaire syndicat de chefs d’Etat et un instrument au service de l’agenda géopolitique de puissances étrangères, comme la France et les Etats-Unis. 

 

« Un danger pour les Etats et les peuples... »
 

Dans leur communiqué conjoint, les trois pays ont justifié leur retrait en évoquant le danger que constitue la CEDEAO pour les Etats et surtout pour les peuples de la sous-région. En effet, depuis le cas du Mali en 2021, le syndicat des chefs d’Etat s’est lancé dans des politiques de sanctions inhumaines, illégales et illégitimes contre des pays en guerre contre le terrorisme. En décrétant un embargo total contre le Mali, la CEDEAO avait franchi un pas dangereux. Comme si cela ne suffisait pas, la BCEAO, organe des pays utilisant le franc CFA, décidait de geler les avoirs du Mali, là encore en toute illégalité ! 

 

Toutes ces mesures étaient destinées, disait-on, à « restaurer la démocratie » au Mali. Ce qui est une imposture quand on sait que certains de ces chefs d’Etat sont de véritables despotes, qui n’ont aucune crédibilité, encore moins la légitimité, pour imposer la démocratie aux autres 

 

On pensait que la CEDEAO avait tiré une bonne leçon de l’expérience malienne. Mais non ! Elle fit pire avec le Niger. Dès l’annonce de la chute de Mohamed Bazoum, le 26 juillet, un Sommet extraordinaire du syndicat réuni à Abuja (Nigeria) décida non seulement d’imposer des sanctions et un embargo encore plus sévères que ceux appliqués au Mali mais en plus menaça le Niger d’une intervention militaire pour « rétablir l’ordre constitutionnel » à Niamey, dans un délai d’une semaine! Avec cette menace, la CEDEAO s’était couvert de ridicule et avait accentué sa perte de légitimité aux yeux des peuples de la sous-région 

 

Parmi les sanctions prises contre le Niger, on notera surtout celle infligée par le Nigeria dont le président ordonna sans autre forme de procès la coupure de l’approvisionnement en électricité. C’est un acte criminel, au regard de l’impact de l’impact catastrophique qu’il allait entraîner en termes de souffrances inouïes pour les populations nigériennes. En effet, il y eut de nombreux délestages dans les hôpitaux et dans d’autres structures sanitaires, avec les conséquences que l’on peut aisément imaginer. Et cette décision criminelle a été prise au mépris des clauses contractuelles entre les deux pays. Par comparaison, la Russie n’a jamais coupé l’approvisionnement en gaz des pays de l’Union européenne, malgré la sévérité et l’ampleur des sanctions prises par celle-ci suite au déclenchement de la guerre en Ukraine. Les contrats avaient été honorés jusqu’à leur terme ! 

 

Les sanctions de la CEDEAO sont de véritables crimes contre les peuples. Surtout quand on sait que ces sanctions sont dirigées contre des pays en lutte contre le terrorisme et en proie à l’hostilité de puissances étrangères qui cherchent à faire échouer cette lutte. C’est pourquoi ces sanctions peuvent être considérées comme un soutien indirect aux groupes terroristes dans les trois pays. Ainsi, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont bien raison de dire que la CEDEAO est devenue un danger pour les Etats et les peuples de la sous-région 

 

Instrument au service de puissances étrangères 

 

Un danger d’autant plus grand que cette institution s’est transformée en un instrument au service de l’agenda géopolitique de la France et des Etats-Unis. 

En effet, ce qui explique surtout la sévérité des sanctions et les menaces contre le Mali et le Niger c’est leur bras de fer avec la France dont les troupes se trouvaient sur leur sol et qui voyait la demande de leur retrait comme un échec de sa stratégie dans le Sahel, voire comme une humiliation. Donc, la France cherchait par tous les moyens à « punir », les autorités de la Transition au Mali et au Niger. Elle utilisera ainsi ses vassaux au sein de la CEDEAO pour imposer de dures sanctions politiques, économiques et diplomatiques, en plus de la menace militaire dans le cas du Niger. C’est cette instrumentalisation de la CEDEAO par la France qui explique en partie la violation des textes de la Communauté et de l’UEMOA, pour protéger les intérêts français, en dépit des souffrances infligées aux populations malienne et nigérienne. 

 

Dans les cas malien et nigérien, on a constaté que le président français ou ses ministres des Affaires étrangères avaient parfois annoncé les décisions que la CEDEAO allait prendre avant même la réunion de celle-ci ! Certains disaient même que ces décisions étaient dictées par la France. Par exemple, celle-ci avait explicitement soutenu l’intervention militaire au Niger et était prête à fournir les moyens financiers et la logistique nécessaire aux militaires africains qui devaient envahir le pays. C’est dans ce contexte qu’elle avait poussé ses vassaux ivoiriens et sénégalais à mobiliser des troupes pour aller faire la guerre au Niger. 

 

La responsabilité des vassaux de la France 

 

Les interférences de la France dans les décisions de la CEDEAO ont incontestablement contribué à décrédibiliser celle-ci et à la mener au bord de l’implosion. Et les « alliés » de la France, notamment la Côte d’Ivoire et le Sénégal, ont une très lourde responsabilité dans ce risque d’implosion de la CEDEAO. Ce sont eux qui jouent les va-t’en guerre contre les pays voisins pour venir au secours de la France. Quand celle-ci est obligée d’évacuer ses troupes, la Côte d’Ivoire et le Sénégal sont prêts à les accueillir. Les dirigeants de ces deux pays, dont la proximité avec le président français Emmanuel Macron est bien connue, sont parfois qualifiés de « sous-préfets » de la France. Ils ne lui refusent rien. 

 

La Côte d’Ivoire et le Sénégal sont parmi les meilleurs gardiens des intérêts français en Afrique de l’Ouest. Ils s’accrochent au franc CFA et bloquent toutes les tentatives visant à mettre fin à cet instrument de servitude. Ces deux pays sont de vrais vassaux, car, comme le dit un grand journaliste, l’Empire n’a pas d’alliés, il n’a que des vassaux ! 

 

Quel avenir pour la CEDEAO ?
 

Fondée il y a bientôt un demi-siècle, le 28 mars 1975, la CEDEAO est à la croisée des chemins. Elle s’est muée en gendarme destiné à imposer « la démocratie » dans les pays membres. Elle est devenue un instrument au service des agendas de puissances extérieures. 

 

La CEDEAO est-elle capable de renouer avec son idéal originel, d’une institution au service de l’intégration économique des pays membres et de promotion de solidarité pour construire une communauté de destin pour ses peuples ? Pour cela, il faudrait un autre type de leadership, imbu des idéaux du panafricanisme et guidé par le patriotisme et le combat pour la souveraineté. C’est cette voie qu’ont choisie les trois pays qui ont annoncé leur retrait. Cette annonce sonne comme un appel lancé à la CEDEAO pour qu’elle change sa posture actuelle qui risque de la conduire vers l’abîme. 

Demba Moussa Dembélé

 
Nombre de lectures : 313 fois

Nouveau commentaire :












Inscription à la newsletter