Union européenne - Un scrutin calme et transparent, avec une forte mobilisation des électeurs, malgré un blocage du dialogue politique et un manque de confiance entre opposition et majorité

Mardi 26 Février 2019

DECLARATION PRELIMINAIRE
 
Cette déclaration préliminaire de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE UE) est présentée avant l'achèvement du processus électoral. Des étapes essentielles restent à accomplir, notamment l’annonce des résultats et le traitement du contentieux éventuel. La MOE UE n'est en mesure de se prononcer que sur les observations effectuées jusqu'à ce stade du processus, et publiera ultérieurement un rapport final comprenant une analyse complète du processus et des recommandations pour les élections futures. La MOE UE pourra également faire des déclarations ultérieures sur l’avancement du processus en cours.
 
RESUME
 
Le 24 février 2019, les électeurs sénégalais étaient appelés à voter pour l’élection du Président de la République. Le scrutin était calme et transparent, et a été caractérisé par une forte mobilisation des électeurs. L’élection s’est déroulée dans un climat caractérisé depuis plusieurs années par un manque de confiance et un blocage du dialogue entre l’opposition et la majorité. Le vote a été évalué positivement par les observateurs. Les procédures ont généralement été respectées dans les bureaux de votes observés, à l’exception de la vérification de présence d’encre indélébile, qui n’était pas systématique. Les observateurs ont également rencontré des cas isolés d’électeurs détenant leur carte qui n’ont pu voter parce qu’ils ne trouvaient pas leurs noms sur les listes d’émargement.
 
Dans l’ensemble, les procédures de dépouillement ont été conduites de manière transparente et ordonnée. La centralisation des résultats a été évaluée positivement dans la quasi-totalité des Commissions de recensement des votes observées. Les candidats y étaient généralement représentés et les procédures appliquées de façon transparente et consensuelle. Le soir de l’élection, deux candidats, Idrissa Seck et Ousmane Sonko, puis le Premier ministre ont fait des déclarations contradictoires concernant les résultats et l’hypothèse d’un second tour, de nature à générer des tensions, alors même que les travaux des Commissions en charge d’établir les résultats sont encore en cours.
 
Dans l’histoire de stabilité politique et d’alternances démocratiques du Sénégal, cette élection est inédite à plus d’un titre. Elle s’est déroulée en l’absence de candidats représentant formellement les deux partis ayant historiquement structuré la vie politique sénégalaise, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) et le Parti Socialiste (PS). Cette élection montre un paysage politique en recomposition. Tous les principaux instruments internationaux en matière de droits civils et politiques ont été ratifiés par le Sénégal hormis la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance de 2007. Le cadre juridique des élections se conforme en grande partie à ces normes. Une lacune notable est, comme relevé par la MOE 2012, l’absence d’encadrement du financement de la campagne électorale.
 
L’organisation des élections bénéficie d’une structure administrative solide au sein du Ministère de l’intérieur et des préfectures et sous-préfectures. En règle générale, l’organisation matérielle du scrutin s’est faite dans le respect des règles et délais prescrits dans la loi. Cependant, l’impartialité du Ministre de l’intérieur a été mise en cause suite à sa déclaration en février 2018 en faveur de la réélection du Président sortant dès le premier tour. Cantonnée dans un rôle de supervision, la Commission électorale nationale autonome a des pouvoirs et capacités d’initiative limités. Enfin, bénéficiant de la confiance de la plupart des acteurs politiques, la Cour d’appel de Dakar a su, jusqu’à présent, faire preuve d’efficacité dans son rôle de gardienne de l’intégrité du processus électoral.
 
Les cartes Cedeao
L’introduction des cartes CEDEAO/Electeurs et leur distribution ont représenté un défi considérable depuis 2016. Des améliorations importantes ont été accomplies depuis les élections de 2017 et un taux de distribution élevé a été atteint. Toutefois, la distribution des cartes d’électeurs a encore suscité des préoccupations dans le contexte des préparatifs de l’élection. Certaines mesures prises pour accélérer la distribution ont affecté la traçabilité des opérations, et les moyens pour orienter les électeurs à la recherche de leur carte n’étaient pas toujours suffisants.
 
Nouveaux bureaux de votes
Enfin, la création de nouveaux bureaux de vote auxquels étaient affectés 53.362 électeurs a représenté un défi supplémentaire. La communication des données concernant la distribution des cartes par la Direction générale des élections n’était pas assez détaillée et complète pour renforcer la confiance. La distribution des cartes n’a pas réuni toutes les conditions de transparence et de traçabilité souhaitables. L’enregistrement des candidatures a été controversé. L’introduction en 2018 d’un système de parrainage citoyen pour tous les candidats et sa mise en œuvre par le Conseil constitutionnel ont suscité une vive polémique. La formule utilisée accordait un avantage aux premiers candidats à déposer leur dossier de candidature, et malgré des efforts louables d’ouverture du Conseil constitutionnel, la procédure et sa mise en œuvre comportaient, par ailleurs, des zones grises qui ont nui à la confiance. Du reste, deux candidats, Karim Wade et Khalifa Sall, ont été éliminés en raison de leur condamnation à des peines d’emprisonnement. Leur mise à l’écart a créé de fortes tensions. Le 21 février, la Cour de Justice de la CEDEAO a rejeté le recours de Khalifa Sall contestant l’invalidation de sa candidature, et a mis en délibéré celui déposé par Karim Wade.
 
Machine de campagne de BBY
La campagne électorale était active et libre. Les activités menées par les différents candidats n’ont pas été de même intensité. Notamment, la campagne de la coalition du Président sortant Benno Bokk Yakaar (BBY) s’est distinguée de celle des autres candidats et par l’envergure de sa machine de campagne et par l’importance de ses moyens. Dans l’ensemble, la campagne a été assez paisible, à l’exception de quelques incidents dont une confrontation le 11 février dans la région de Tambacounda entre militants du Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR) et de la Coalition BBY, qui ont fait deux victimes. Les autorités ont pris des mesures pour renforcer la sécurité des candidats.
 
CNRA, interprétation restrictive de la loi
Les médias sénégalais ont rempli leur mission d’informer les électeurs en couvrant largement la campagne électorale. Les médias audiovisuels publics ont offert un espace égal aux candidats dans le ‘Journal de la campagne’ mais ont couvert davantage le gouvernement dans les autres programmes. Ceux du secteur privé, à de notables exceptions près, ont offert une couverture équitable dans les émissions d’information. Cependant, dans le reste de leurs émissions politiques, ils ont accordé plus de temps d’antenne à la coalition BBY suivie par la coalition IDY 2019. De nombreux médias privés n’ont pas respecté l’interdiction de toute publicité politique. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel, autorité qui veille au respect des dispositions du Code électoral par tous les médias, a privilégié le dialogue avec les médias auteurs de violations, sans prendre aucune sanction formelle. Néanmoins, il a fait preuve d’une interprétation très restrictive des textes de lois pour l’interdiction des débats entre candidats.
 
Femmes
Malgré la ratification des principaux instruments internationaux en matière de droits des femmes et des avancées dans la représentation politique, notamment à l'Assemblée Nationale, les femmes peinent à obtenir leur place dans la vie publique, comme l’illustre l’absence de candidate à l’élection présidentielle actuelle. Leur présence est très faible que ce soit au sein de l’administration électorale, des commissions électorales, et des organes dirigeants des partis, où elles sont en outre principalement nommées à des postes subalternes.

Dakar, le 26 février 2019

NB: les intertitres sont de www.impact.sn 
 
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