Sénégal, une démocratie dirigée

Mercredi 14 Juillet 2021

Jusqu’au bout et sans en démordre, le gouvernement du président Macky Sall est résolu à maintenir sa chape de plomb sur la démocratie sénégalaise. Il y a bien longtemps que ce chef d’Etat animé de si peu de sincérité et soumis aux flagorneurs d’un cabinet-noir sans vergogne a décidé de capturer les institutions de l’Etat et de la République au profit de ses ambitions personnelles. Le vote en urgence de lois anti-terroristes scélérates le 25 juin dernier a été une étape de cette course folle à la puissance. L’approbation ce 12 juillet par les députés d’un code électoral stratégiquement tripatouillé à dessein entre 2017 et 2018 en est une autre sur les chemins de l’hyper-puissance. L’intolérance et l’arrogance avec lesquelles le Code-Macky a été validé par l’assemblée nationale est, du reste, conforme au standard de médiocrité qui caractérise désormais le statut de la démocratie dans notre pays. Le dialogue politique inclusif qui devait accoucher d’un minimum de consensus politique autour d’un code électoral réaménagé pour être du niveau de celui obtenu par feu Kéba Mbaye en 1992 replonge notre pays dans des tiraillements potentiellement explosifs.
 
Visiblement, le pouvoir en place n’en a cure. Malgré ce que ses parlementaires racontent sur le thème du « rien n’a changé » en ce qui concerne le code électoral, les faits sont têtus et leur apportent un cinglant démenti. C’est la loi n°2018-22 du 4 juillet 2018 portant révision du Code électoral de 2017 qui a substantiellement changé les conditions d’éligibilité par l’introduction du vocable « ELECTEUR » à l’entame de l’article 57. A cette période, il était difficile de penser que Karim Wade et Khalifa Sall n’étaient pas deux des adversaires non désirés par Macky Sall à l’élection présidentielle de février 2019. Du reste, une course contre la montre avait été lancée pour éviter que cette modification substantielle de la loi électorale ne rentrât dans la période des six mois en dessous de laquelle le Sénégal enfreindrait le Protocole de bonne gouvernance de la Cedeao relatif à l’organisation des élections.
 
« Un ajout en juillet 2018 »
 
Cette exclusion d’adversaires politiques n’a pas échappé aux observateurs électoraux de l’Union européenne après le scrutin de février 2019. « Les candidatures de Khalifa Sall et de Karim Wade n’ont pas été rejetées en raison des parrainages mais parce qu’ils faisaient l’objet de condamnations à une ‘’peine d’emprisonnement sans sursis (…) pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à 5 ans d’emprisonnement » » (Article L.31). Leurs condamnations ont été considérées comme les privant automatiquement de leurs droits civiques, en tant qu’électeurs et, par voie de conséquence, en tant que candidats. Cette interprétation n’était pas sans équivoque. Elle tenait à un ajout fait en juillet 2018 à la liste des pièces à inclure dans les dossiers de candidature, à sa voir le numéro de la carte d’électeur (Article L.115). Ainsi l’éligibilité était explicitement subordonnée à la qualité d’électeur, ce qui est de pratique courante, mais, étant donné l’exposition médiatique des deux cas en question, pouvait apparaître comme dicté par les circonstances », lit-on à la page 30 du Rapport final de la Mission d’observation.
 
En réalité, au regard du manque de fiabilité et de crédibilité morales qui caractérise le président de la république, nombreux étaient les observateurs qui s’étaient fait déjà une raison sur l’issue du dialogue politique voulu par Macky Sall lui-même. Le décor de l’échec était ainsi planté en deux segments : accords sur des aspects précis de la loi électorale mais sans grand danger pour le pouvoir ; désaccords majeurs sur des points plus compliqués comme l’usage du bulletin unique et la suppression des barrières politiques factices privant un certain nombre d’acteurs de participation aux joutes électorales. Arbitre en dernier ressort, Macky Sall savait exactement ce qu’il voulait et comment l’obtenir. Son objectif fondamental était de recruter les têtes de la dissidence du Pds qu’il savait en conflit avec Me Abdoulaye Wade. Ce ne fut donc pas un hasard si la bande à Oumar Sarr a rejoint la mouvance présidentielle avec armes, bagages et convictions après plusieurs décennies de guérilla et d’exercice du pouvoir. A ces moments précis, ont commencé les complaintes de Famara Ibrahima Sagna, alors à la tête du Comité de pilotage du dialogue national, furieux de constater que ses efforts étaient sabotés à certains niveaux du processus… Le hasard peut-être. Le fait est que Macky Sall n’avait plus réellement besoin d’un machin qui, au passage, aura coûté quelques dizaines de millions de francs CFA au contribuable. Les ravages de Dame Covid-19 se chargeront de finir le sale boulot…
 
Le « Code Kéba Mbaye » est mort
 
Au sortir de cette grande récréation, on peut bien accabler une certaine opposition, autant pour sa naïveté renouvelée face aux stratagèmes du président de l’APR que pour sa propension presque naturelle à se faire piéger par un «lion» qui ne dort jamais. Pouvait-elle pour autant refuser l’appel du président de la république ? Peut-être que oui, peut-être que non. C’est à ce niveau là que le peuple sénégalais, dans sa diversité politique, aurait pu pourtant assister au premier grand geste d’élégance d’un chef partisan lancé à toute vitesse dans un projet de conservation du pouvoir d’Etat.
 
Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence : le « Code Kéba Mbaye » n’existe plus. C’est le Code-Macky qui est à…l’horreur au Sénégal. Autant le premier était concrètement inclusif et à la hauteur des exigences minimales d’une démocratie représentative. Autant le second trahit fondamentalement les soubassements d’une compétition électorale juste et équitable entre acteurs politiques. Mais cela ne dérange pas un président sénégalais historiquement adepte des passages en force et signataire incorrigible de contrats d’exclusion à durée indéterminée contre tous les petits « diables » qui lorgnent son fauteuil...
 
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