Nous sommes au Sénégal dans les années 85-90. Les politiques d’ajustement structurels sous les injonctions (d’autres diront diktat) des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque Mondiale) battent leur plein. Dans le campus de l’Université de Dakar qui ne portait pas encore le nom de l’auteur de ‘’Nations Nègres et culture’’, foisonnent des organisations estudiantines. La plupart sont d’obédience marxiste affiliées à des partis politiques : UNAPES (Union nationale patriotique des étudiants sénégalais), AJ/MRDN avant AJ/PADS, UDED (Union démocratique des étudiants de Dakar (LD/MPT), UNDES (Union nationale démocratique des étudiants sénégalais). La bataille entre elles fait rage pour contrôler les instances du Mouvement Etudiant (Amicales, délégués de couloir, CA COUD...) À des degrés divers, dans cette galaxie marxiste selon leur lecture de l’Histoire, tous se disaient marxistes-léninistes armés de la pensée de Mao Tsé Toung.
Je débarque sur le campus en cette fin octobre 1985 et tout de suite commence à suivre les cours magistraux à la Faculté de Médecine sans attendre mon inscription formelle. J’attends les travaux de la commission de réorientation. Dans ma tête, c’est Médecine ou rien. Et exactement le jour même de l’anniversaire de mes 20 ans, je suis officiellement orienté en Médecine. Et naturellement je rejoins l’AEMUD. J'ai assisté en tant qu’élève de 1ère au Lycée Blaise Diagne à l’AG constitutive tenue le 31 Mai 1984 à la salle Malcom X du Pavillon C du campus social.
Le terrain de basket du Pavillon A est alors le lieu par excellence des AG du Mouvement Etudiant. On y croise le fer à travers des joutes oratoires et parfois aussi avec des jets de sachets d’eau. Un certain El Hadj Diouf devenu Maître au barreau des avocats du Sénégal est un responsable très combattif de l’UDED. Déjà, il est taxé comme capable de « transformer la vérité en mensonge et le mensonge en vérité ».
Au 3e étage du Pavillon A, il y a une petite salle qui sert de mosquée. Durant les mois de Ramadans, ça déborde dans les couloirs. Et pour la prière de Jummah du vendredi, les « cars COUD » amènent les étudiants et travailleurs du COUD à la grande mosquée de Mermoz. Dès que l’Imam dit ‘’assalamu aleykoum’’, c’est la débandade pour ne pas être laissés sur place par ces « cars » que tout le monde peut prendre pour rejoindre le campus ou ses environs. Vu l’étroitesse de la salle de prière du Pavillon A, l’idée de « créer » une mosquée un peu plus grande germe. Et le jour où on est parti chercher des branchages pour dresser la mosquée en crintins entre le Pavillon B et le Pavillon D, certains étudiants nous regardent comme des extraterrestres ou rigolent simplement. La mosquée en crintins a commencé à refuser du monde. Pendant le Ramadan, l’éminent intellectuel rahimoulah Mouhamadou Bamba Ndiaye, futur ministre sous Wade, y tient un tafsir du Coran en français.
En 1987, après de larges contacts avec les autres associations religieuses musulmanes du campus et avec l’autorisation des autorités, la construction en dur de la mosquée débute. Cette volonté se heurte à l’opposition de certains étudiants, surtout à une exception près ceux qui étaient dans les organisations estudiantines marxistes. Les étudiants And Jëf sont alors les plus virulents contre l’érection de la mosquée. Ils nous traitent de tous les noms « épouvantails » et nous prêtent les pires desseins. Nous sommes catalogués « camarades intégristes ». D’autres groupes d’étudiants brandissent des arguments comme le principe de laïcité.
Mais la cause mosquée est populaire et soutenue non pas seulement par les membres de l’AEMUD mais aussi par les travailleurs du COUD et du campus pédagogique, et encore plus ouvertement par certains membres du corps professoral. Des AG sont organisées au terrain de basket « pour ou contre la mosquée » jusqu’à des heures avancées de la nuit. Nous sommes présents pour faire face, avec nos arguments et notre volonté. Certaines AG se terminent vers 3H du matin. C’était difficile car le lendemain, pour les étudiants en Médecine, il faut rejoindre les lieux de stage dans les hôpitaux et se tenir debout toute la matinée.
La cause est entendue lorsque le jour où il faut mettre la dalle de la mosquée, les étudiants viennent en masse pour participer à cette phase de la construction de la mosquée. L’infrastructure achevée, nous rejetons au sein de l’AEMUD l’idée d’un Imam qui viendrait de l’extérieur dans le but de garder notre autonomie et de nous prémunir de toute influence extérieure. Et c’est rahimoulah Souleymane Niane, étudiant en 5e année de Médecine et Interne des hôpitaux, qui est choisi comme Imam ratib.
Le jour de la célébration de la prière Jummah au campus avec un xutba (sermon) en français est un évènement. Un étudiant non musulman et farouchement contre la mosquée, met à fond la caisse de la musique à partir de sa chambre du Pavillon D au moment du xutba. Bien plus tard, lorsqu’il fait sa thèse sur l’avortement, ce même étudiant est accueilli à la bibliothèque de la mosquée et aidé par l’Imam Mouhamad Niang, étudiant en Anglais.
L’AEMUD s’est avérée être un creuset de rencontres et de fraternité, comme une Afrique en miniature : outre nous Sénégalais, il y avait les frères Marocains (Ahmad Chaoui, Said Amor, Mahmoud Lachimi, Abdesalam Hidéghélou) ; le Burkinabé : Mahmoud Compaoré, les Camerounais ( Mahamat Bakary qui fut le principal muezzin, Mohamed Lawal, Abali Makinta), les Mauritaniens (Sidy Ben Sidy Cheikh, Ould Telmoudi) ; le Nigérien Moussa Idé, le Togolais rahimoulah Abdourahmane Déparidé Agbéré qui fut Pr agrégé de Pédiatrie dans son pays), les fréres Comoriens...
D’éminents cadres du pays dans tous les secteurs, dans les institutions internationales, des professeurs d’université, des journalistes ont été des membres actifs de l’AEMUD et ont siégé dans les organes de direction de l’Association. Et aujourd’hui, certains de leurs enfants nés au campus sont devenus des médecins, chirurgiens, pharmaciens,ingénieurs... Aujourd’hui, un des plus grands chirurgiens de la chirurgie thoracique, major de sa promotion au concours d’agrégation CAMES, a été Président de l’AEMUD et Imam de la mosquée UCAD.
Depuis, des générations se sont succédé dans la gestion de la mosquée. La mosquée est envahie à toutes les heures de prière. Et le Vendredi le campus presque entier se dresse comme un seul homme de toute catégorie sociale ou professionnelle, de tout âge, hommes et femmes vibrant à l’unisson à l’appel d’Allah SWT et de Son Prophète (PSL) dans ce message puissant, salvateur et éternel.
Docteur Mamadou NDIAYE