Le président, le chéquier et la prison

Mardi 19 Avril 2022

La politique ? On peut la définir comme on veut et sous toutes les coutures, de l’art au sacerdoce, de l’engagement noble et désintéressé au service de la collectivité à la professionnalisation dont elle fait l’objet de la part de requins insatiables et voraces. Le Sénégal, comme la plupart des pays africains, est devenu un laboratoire de premier plan sous l’angle de la frénésie par laquelle la « mutation génétique » transforme les politiciens. La phase d’accélération de ce phénomène quasi animal assimilée à la transhumance porte la signature du président Macky Sall qui en est le théoricien et le metteur en œuvre assumé.
 
La dernière mouture de cette descente aux enfers de l’immoralité - que certains, par mauvaise foi ou esprit partisan, nomment pragmatisme – concerne le recrutement massif de maires et d’élus issus des élections locales du 23 janvier 2022. Un certain nombre d’entre eux, portés par la vote populaire et démocratique à la tête d’exécutifs locaux sous la bannière de l’opposition, ont choisi de faire allégeance à un président de la république sonné par une série de lourdes défaites dans les grands certains urbains sénégalais.
 
On retrouve dans cette situation les pratiques habituelles malsaines d’un chef de parti qui, dans son for intérieur, apprécierait un système partisan dont il serait le cœur-réacteur, entouré de partis et mouvements satellites qui en seraient les excroissances politiques propagandistes dans la société sénégalaise.
 
Repères détruits
 
Son obsession maladive à rassembler derrière sa personne une masse critique de figures politiques – généralement tordues - et d’électeurs pour consolider son pouvoir tend à tuer la vitalité d’une démocratie qui a grandi dans l’expression salutaire de contradictions multiples. Depuis son arrivée au pouvoir, il s’attache méticuleusement et froidement à détruire les repères fondamentaux qui font une démocratie : listes électorales fiables, liberté de participation aux élections, accès aux suffrages des Sénégalais, respect des votes des électeurs…
 
Le système de parrainage imposé d’autorité lors de l’élection présidentielle de février 2019, condamné par la Cour de justice de la Cédéao - qui en exige la suppression en vain - et reconduit pour les législatives du 31 juillet 2022, est la carte noire d’une dictature électorale aussi sombre que les zones d’ombre du parcours initiatique par lequel un président de la république peut arriver au pouvoir. De l’élimination systématique d’adversaires politiques par le traitement brumeux de centaines de milliers de « parrains » à partir d’ordinateurs verrouillés, on est passé au contournement frauduleux des choix populaires et démocratiques exprimés par des millions d’électeurs sénégalais. En attendant un jour l’enrôlement obligatoire des citoyens dans un Gondwana éventuel. On ne peut autant manquer de respect à son peuple et aux électeurs !
 
Suffrages trahis et volés
 
Ces méthodes opportunistes ne participent pas à l’assainissement du jeu politique et ne contribuent nullement à promouvoir la transparence et la bonne gouvernance politiques dans notre pays. Elles installent davantage le virus de la corruption dans un espace politique où les agents de la trahison des suffrages sont immédiatement en contact avec les citoyens sénégalais.
 
Cette corruption verticale qui capture des élus d’opposition pour les recycler dans le pouvoir n’est pas à la gloire du président Sall – même si lui s’en glorifie. Elle accentue l’image dramatique qu’une bonne partie de l’opinion publique retient essentiellement de sa personne : incapable de gagner dans une compétition loyale arbitrée par les citoyens, il se promène avec son chéquier et ses mallettes pour « retourner » des opposants ou s’afficher fièrement au palais avec des voleurs de listes de candidats d’opposition ; à défaut, il s’appuie sur des narratifs judiciaires pour jeter les uns en prison et rendre les autres inéligibles…
 
C’est cette posture que Macky Sall entend visiblement laisser à la postérité. Le temps de changer en mieux existe, mais en a-t-il seulement le goût, l’envie et la volonté ?
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