Avec sa capitale riche de culture et d’histoire, Dakar, ses côtes de sable fin bordées de stations balnéaires, ses villages de pêche pittoresques, l’architecture historique de Saint-Louis classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, ou encore ses mangroves, les rizières et forêts de Casamance et autres sites naturels remarquables, le Sénégal possède de très nombreux atouts touristiques et souhaite depuis longtemps faire de ceux-ci un levier de relance économique.
En 2024, le pays aurait enregistré la venue de près de 2,26 millions de visiteurs, d’après le ministère du Tourisme et de l’Artisanat. Nombreux venus d’Europe (23%) et d’Afrique (74%), pour du tourisme culturel, mais aussi d’affaires, religieux ou pour des événements sportifs. Entre 2019 et 2024, les recettes générées par le secteur ont connu une hausse de 86,2 %, d’après la Cellule des études, de la planification et du suivi du ministère (CEPS/MTA). Le secteur représente environ 7% du PIB et de nombreux observateurs s’accordent à dire qu’il y a encore un potentiel à développer.
Toutefois, plusieurs acteurs du secteur rencontrés lors d’une enquête d’Equal Times, alertent sur des obstacles majeurs liés aux conditions de travail dans ce secteur, qui compte aussi un grand nombre de travailleurs informels, sans contrats en bonne et due forme.
Une réalité contrastée sur le terrain
Le secrétaire général de l’hôtellerie de la centrale syndicale CNTS, Mamadou Diouf, dénonce le recours massif des employeurs aux contrats saisonniers « qui ne répondent pas aux normes fixées par la loi. » Selon lui, « les licenciements, très fréquents, sont souvent décidés sur la base de soi-disant motifs économiques et sans tenir compte des procédures légales. Et ces licenciés sont parfois remplacés par des prestataires de services ou des journaliers ».
Sur 120.000 travailleurs recensés au niveau du ministère du tourisme, « je suppose que seul le tiers – soit 40.000 - bénéficie de contrats à durée indéterminée », avance-t-il.
Lors des conflits sociaux, le responsable du secteur tourisme à la CNTS-FC (Confédération nationale des travailleurs du Sénégal/Forces du changement), un autre syndicat, El Hadji Ndiaye, fustige lui la partialité d’inspecteurs du travail trop souvent favorables aux employeurs.
« Quand il y a un conflit entre un employé et son patron, ils ne convoquent souvent que le travailleur. Le patron, lui, il peut parfois envoyer son chauffeur le représenter. Ces pratiques ne sont pas acceptables », s’indigne-t-il.
L’Etat est donc largement attendu pour amener le secteur à des standards internationaux en termes de qualité de l’offre et d’exemplarité du secteur. Un chantier potentiel pour Vision 2050 le nouveau document de référence pour les politiques publiques, depuis l’arrivée d’un nouveau gouvernement en avril 2024. Ce dernier souhaiterait atteindre l’objectif de 500.000 emplois liés à ce secteur et lui faire atteindre la part de 10% dans le PIB national.
Ce ne sera pas simple, avertit Faouzou Dème. Ce consultant et ex-candidat à la direction de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), membre de plusieurs cabinets ministériels à partir des années 2000, milite pour une vision globale du secteur. « Le tourisme est à la fois un produit d’exportation et de consommation interne [64% des activités touristiques sont ‘consommées’ par des nationaux, contre 36% par des touristes internationaux, ndlr]. Cela veut dire qu’il s’accommode de la culture, de l’artisanat, de tout ce que nous avons comme valeurs et qui nous identifie », explique-t-il. Le 6 septembre 2025, le gouvernement suivant cette logique a en effet renommé le ministère en « ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme ». Une appellation nouvelle pour connecter davantage le secteur touristique à des secteurs qui pourraient créer une synergie positive.
Les réformes ont commencé et un nouveau Code du tourisme serait en gestation pour renforcer une réglementation capable de favoriser un développement durable dans tout l’écosystème. « Le tourisme est un secteur porteur qui crée des emplois et de la richesse, mais cela n’est pas possible sans des investisseurs privés », rappelle toutefois Faouzou Dème, qui plaide pour l’inclusion de tous les acteurs.
Concernant les conditions de travail, le gouvernement actuel a aussi fait le ménage dans de vieilles pratiques en abrogeant par exemple l’arrêté colonial 41-87 du 26 juin 1953, qui faisait travailler les agents du secteur touristique 50 heures par semaine pour 40 heures effectivement payées. « Il y a des résistances chez certains patrons, mais la mesure est globalement appliquée », se réjouit El Hadji Ndiaye.
Mamadou Diouf estime cette abrogation salutaire, au regard de son injustice, mais beaucoup reste à faire d’après lui. Notamment l’entrée en vigueur du « Pacte de stabilité sociale du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration », pourtant signé depuis avril 2021 entre le gouvernement, le patronat et les représentants des travailleurs (dont la CNTS et la CNTS/FC). Ce Pacte, – intervenu après les difficultés dues à la crise du Covid-19–, est un compromis entre plusieurs objectifs : protéger les emplois existants, assurer le paiement régulier des salaires des travailleurs, actualiser la convention collective nationale de l’hôtellerie, suspendre les préavis de grève, soutenir les entreprises touristiques par l’ouverture d’une ligne de crédit bancaire, etc. Mais ses mesures n’ont jamais été mises en œuvre, au grand dam des signataires.
Du côté des partenaires sociaux, on œuvrent aussi pour répondre aux doléances des travailleurs : « Un accord signé avec le patronat institue désormais une prime mensuelle de nourriture entre 17 mille et 24 mille francs CFA [entre 26 et 37 euros environ], selon les catégories, et pour tous les travailleurs des secteurs de l’hôtellerie. Cet accord de branche est un acquis majeur dans notre combat pour la dignité des camarades travailleurs », ajoute El Hadji Ndiaye.
L’écotourisme : entre espoirs et incertitudes
Aux côtés du tourisme classique international, Faouzou Dème préconise une intensification du tourisme rural intégré pour ses nombreux atouts, dont le développement des zones éloignées. « Les populations en profiteraient en gagnant de l’argent à partir des activités dans leur propre terroir. En même temps, la nature et la faune seraient préservées dans les zones défavorisées », souligne-t-il.
En Casamance, zone d’évasion touristique par excellence, Ousmane Sané est un promoteur de l’écotourisme depuis que « le tourisme classique a montré ses limites. » Il travaille avec deux employés – un jardinier et une cuisinière – et des membres de sa famille en exploitant un campement d’environ deux hectares à Niafrang, un village de la Basse-Casamance, situé non loin de la frontière gambienne.
« Ma clientèle est principalement occidentale. Mais il y a aussi des Africains qui passent, dont des Gambiens et des Sénégalais. Il y a du confort, mais nous ne visons pas une certaine modernité. D’ailleurs, la plupart de nos clients acceptent de s’impliquer dans des activités ou projets de préservation de l’environnement. »
Dans cette partie du Sénégal, l’écotourisme souffre toutefois de plusieurs maux dont l’enclavement, l’état des routes, la vétusté des moyens de transport et les prix élevés pratiqués par les transporteurs, indique Ousmane Sané. Dans d’autres parties du pays, il doit aussi affronter « l’industrialisation », notamment la bétonisation effrénée de paysages touristiques, ou encore l’exploitation du zircon, un minerai qu’on trouve dans le sable, qui affecte les terres.
Auteur du livre-enquête Le tourisme au Sénégal, radioscopie d’un secteur (éd. Nuit & Jour, 2025), Mamadou Pouye Tita, souligne : « L’écotourisme doit être la marque de fabrique du tourisme local. Il crée une attraction touristique autour de nos valeurs, de nos spécificités en tant que peuple, de nos richesses culturelles et de nos potentialités agricoles et environnementales. »
Sans écarter l’option des gros investissements, Mamadou Pouye Tita préconise une plus grande attention à l’endroit du tourisme intérieur « car aucun pays ne doit compter sur l’extérieur pour développer le tourisme », citant en référence à la fermeture des frontières imposée par le Covid-19 entre 2019 et 2020, qui a beaucoup fait souffrir le secteur.
À cet égard, le retour des campements impliquant étroitement les villageois dans leur gestion, modèle d’écotourisme « qui avait bien marché » en Casamance et dans les îles du Saloum, reste une option pertinente pour le tourisme intérieur, souligne-t-il. « Malheureusement, l’Etat n’ayant pas été vigilant, ce concept a été récupéré et dévoyé par des hommes d’affaires qui en ont fait des campements privés. »
Des obstacles majeurs qu’il reste à lever
Le tourisme au Sénégal fait face à une série d’obstacles structurels qui freinent encore sa pleine expansion. Parmi ces défis, trois se détachent nettement : la nécessité d’une meilleure formation professionnelle des acteurs du secteur, la lutte contre le sous-emploi et la cherté de la destination, ainsi que la sécurisation des sites touristiques.
À la tête des syndicats d’initiative de Thiès et Diourbel, des structures locales qui s’occupent de la mise en valeur et de l’animation touristique, Boubacar Sabaly, plaide pour un renforcement de la qualité de la formation professionnelle. Il souligne que « se jouent ici le présent et l’avenir du tourisme sénégalais ». Sans un personnel qualifié, il devient difficile pour le pays d’offrir une expérience touristique répondant aux standards internationaux et susceptible de rivaliser avec d’autres destinations africaines ou mondiales. Faouzou Dème, insiste lui aussi sur la nécessité d’investir dans la formation et la planification rigoureuse, rappelant que « si on veut 500.000 emplois, il faut […] une école de formation qui forme des employés, selon les besoins de l’évolution de la capacité litière ».
Les chiffres rapportés par l’expert Mamadou Pouye Tita sont éloquents : malgré l’augmentation des capacités d’accueil en nombre de lits (de 27.658 en 2014 à 41.500 en 2022), le niveau de l’emploi direct généré par le secteur hôtelier est resté stagnant sur la même période, autour de 28.035. Ce constat révèle « une grave situation de sous-emploi » avec moins d’un « emploi créé par chambre d’hôtel ».
Autrement dit, la croissance quantitative du parc hôtelier ne s’est pas traduite par une amélioration qualitative en termes d’opportunités professionnelles.
Les prix élevés pratiqués dans certains d’endroits constituent un autre frein de taille, surtout pour les touristes africains. Sémou Dione, guide touristique professionnel depuis de nombreuses années, l’explique clairement : « Avec la rareté de la clientèle due en grande partie à la cherté de la destination, et la faiblesse de la promotion du Sénégal, on comprend pourquoi le secteur du tourisme est en difficulté. » Mamadou Pouye Tita dénonce notamment le cumul des taxes sur le billet d’avion qui dépasse souvent le prix hors taxe du billet lui-même. Une telle fiscalité décourage les visiteurs potentiels et place le Sénégal en situation de désavantage. À cela s’ajoutent des problèmes récurrents d’ « insalubrité et l’envahissement humain et animal, » sur certains sites, comme le relève Boubacar Sabaly, également directeur-général de l’hôtel Les Bougainvillées de Saly.
En outre, la question de la sécurité constitue une préoccupation croissante pour les acteurs du secteur. Faouzou Dème rappelle que « le touriste ne voyage pas dans les pays instables, dans les zones où il n’y a pas de sécurité ». Cette remarque s’est trouvée confirmée par une série d’incidents survenus en 2025 : en janvier, l’hôtel Riu Baobab de Pointe Sarène, un des derniers fleurons du tourisme haut de gamme, a été l’objet d’un braquage par des bandits armés, et en août, un vol et une agression armée ont été signalés à la résidence Les Diamantines de Saly. Ces épisodes ternissent l’image d’une destination sûre, mais qui se veut toujours plus accueillante.
Source : Equaltimes.org
17 octobre 2025 Le Sénégal peut-il jouer la carte du tourisme durable pour élever le niveau général dans le secteur et favoriser l’emploi ?