La façon particulière par laquelle les médias occidentaux présentent la catastrophe de la famine dans la bande de Gaza*

Jeudi 26 Juin 2025

Des enfants palestiniens affamés par Israël sont condamnés à mort dans le ghetto de Gaza

Les médias peuvent-ils soumettre la question de la famine en Palestine à un soi-disant équilibre professionnel, même après que les agences de l'ONU et la Cour internationale de justice l'ont reconnue ? Pourquoi de nombreux médias occidentaux ont-ils évité les termes juridiques et éthiques précis tels que « famine » ou “inanition”, optant plutôt pour des expressions vagues telles que « pénurie alimentaire » ou « crise nutritionnelle » ? Cette pratique ne reflète-t-elle pas un parti pris évident en faveur du récit israélien et ne sert-elle pas à justifier la politique de « famine systématique » ?

 

Depuis le déclenchement de la guerre d'Israël contre la bande de Gaza en octobre 2023, plus de deux millions de Palestiniens endurent des conditions humanitaires sans précédent. Le siège israélien en cours, la destruction massive des infrastructures et l'obstruction systématique de l'aide humanitaire la plus élémentaire, ainsi que la poursuite des bombardements et des opérations militaires, ont créé une crise humanitaire décrite par les Nations unies et les organisations internationales comme une « famine de masse ». Israël a été accusé d'imposer délibérément des conditions de famine à la population de Gaza afin de la forcer à se déplacer et d'étendre un « environnement génocidaire » dans la bande de Gaza.

 

Au début du mois de juillet de l'année dernière, un groupe d'experts indépendants des Nations unies a publié un communiqué de presse affirmant qu'Israël menait une « campagne de famine délibérée et ciblée », la qualifiant de « forme de violence génocidaire ». Le communiqué soulignait le nombre croissant de décès d'enfants dus à la faim et à la malnutrition comme une preuve indiscutable que la famine s'était répandue dans toute la bande de Gaza.

 

Cependant, des signes de famine sont apparus quelques mois seulement après le début de la guerre, le 7 octobre. Dans l'affaire que l'Afrique du Sud a portée devant la Cour internationale de justice contre Israël, le dossier juridique explique en détail comment Israël a conduit l'ensemble du territoire au « bord de la famine ». Le dossier comprend des témoignages d'experts et des rapports d'agences internationales sur l'augmentation des niveaux de famine, même dans les zones dites « sûres ».

 

« Dans le contexte palestinien, en particulier dans la bande de Gaza en temps de guerre, la plupart des grands médias occidentaux ont évité d'utiliser des termes juridiques et éthiques précis tels que ‘’famine’’ ou “affamés”, optant plutôt pour des expressions vagues telles que « pénuries alimentaires » ou « crise nutritionnelle ». Ces termes diluent les réalités légalement et journalistiquement définies de la famine en de simples crises potentielles. »

 

La classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire (IPC), l'autorité internationalement reconnue en matière de sécurité alimentaire, a activé son « comité d'examen de la famine » dans un rapport daté du 18 mars 2024, citant des preuves solides de la détérioration des conditions alimentaires. L'IPC a confirmé que la famine était « attendue et imminente » dans la ville de Gaza et le nord de Gaza et qu'elle était susceptible de devenir une réalité entre la mi-mars et mai 2024. Dans son rapport le plus récent, daté du 12 mai 2025, le CIP a déclaré que « l'ensemble de la population de Gaza est confrontée à un risque critique de famine », selon Reuters.

 

Malgré ces indicateurs bien documentés, la plupart des médias occidentaux sont restés réservés sur cet aspect de la catastrophe en cours à Gaza, évitant souvent le terme de « famine » même lorsque des critères juridiques et humanitaires s'appliquent clairement.

 

Cette réticence professionnelle est particulièrement visible dans le peu d'attention accordée par les médias occidentaux à la politique de famine ouvertement déclarée et méthodiquement mise en œuvre par Israël, bien que de telles actions soient définies comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité dans plusieurs rapports antérieurs, notamment le rapport de Human Rights Watch du 18 décembre 2023 intitulé "Israël : Starvation as a Method of Warfare in Gaza" (Israël : la famine comme méthode de guerre à Gaza).

 

Famine ou « crise de la faim » ?

 

La sélection du vocabulaire est une forme majeure de partialité des médias, en particulier dans les situations où les catastrophes humanitaires s'entrecroisent avec des agendas politiques et économiques complexes. À Gaza, les principaux médias occidentaux ont largement évité d'utiliser des termes juridiques et éthiques tels que « famine » ou “affamés”, préférant employer des expressions plus ambiguës telles que « épuisement des ressources alimentaires » ou « crise nutritionnelle ». Ces termes transforment les faits journalistiques et juridiques en problèmes techniques ou logistiques, limitant ainsi l'empathie et la solidarité du public.

 

Cette hésitation générale à qualifier de « famine » l'effondrement complet de la sécurité alimentaire à Gaza est un autre exemple de partialité et d'obscurcissement, qui protège l'auteur des faits de l'obligation de rendre des comptes. La manipulation de la terminologie devient un outil permettant de dépouiller les crimes de leur gravité juridique et de brouiller les responsabilités.


Cette réticence n'est pas simplement une question de terminologie ou un choix éditorial, elle fait partie d'un système plus large de reproduction des faits dans le cadre d'un modèle médiatique capitaliste qui sert les intérêts de l'élite, même au détriment de l'éthique journalistique. Ce cadrage influence l'opinion publique en recyclant des récits vagues qui minimisent la crise et détournent les responsabilités.

 

Reuters, par exemple, a fait état de la réticence du système international, y compris des principales organisations humanitaires, à déclarer officiellement une famine à Gaza, malgré de nombreuses preuves. Le rapport suggère que l'approbation occasionnelle par Israël de livraisons d'aide limitées peut être coordonnée pour retarder une déclaration de famine, influençant indirectement la couverture médiatique occidentale qui s'inspire souvent de ces institutions.

 

Jeremy Konyndyk, président de Refugees International, est cité dans le rapport comme ayant déclaré qu'une déclaration officielle de famine aurait pu marquer « une reconnaissance décisive du désastre historique causé par les opérations militaires d'Israël ». Selon M. Konyndyk, le terme « famine » a un poids immense, il transforme une description technique en un jugement historique. Israël a réussi à échapper à ce jugement, aidé par le rôle joué par les médias.

 

L'un des principes fondamentaux du journalisme consiste à présenter des points de vue différents afin de garantir le pluralisme, d'assurer une couverture équilibrée et d'éviter les préjugés. Cependant, ce principe - malgré son importance - peut, dans certains contextes, devenir un outil de distorsion de la vérité, en particulier lorsqu'il est appliqué à des événements bien documentés impliquant des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Dans les reportages qui ont fait la lumière sur la crise alimentaire dans la bande de Gaza, et dans les grands médias comme CNN, la BBC, le New York Times et d'autres, l'adhésion à cette notion d'« équilibre » a révélé une profonde défaillance éthique dans le journalisme occidental dominant. Elle a permis que des questions cruciales, telles que l'utilisation de la faim comme arme, soient considérées comme moralement discutables ou sujettes à interprétation, simplement en incluant un contre-récit d'un porte-parole du gouvernement ou de l'armée israélienne, sous le couvert d'un reportage équilibré, souvent sans les confronter à des questions difficiles.


Il existe des exceptions à ce schéma, comme l'éditorial publié dans The Guardian le 4 mai 2025, qui fait explicitement référence à l'utilisation par Israël de la faim comme arme de guerre à Gaza, en déclarant que la famine qui y sévit n'est pas simplement une conséquence accidentelle du conflit, mais un outil systématique pour affamer la population.

 

Cette forme d'occultation du crime à Gaza n'est ni nouvelle ni accidentelle. Elle reflète une structure coloniale et raciste profondément enracinée dans les systèmes médiatiques occidentaux, qui reproduisent les hiérarchies de pouvoir et de domination. Dans ce cadre, le correspondant étranger ou le porte-parole de l'institution occidentale est considéré comme la seule source crédible, tandis que les voix locales, malgré leur expertise et leurs sacrifices, sont marginalisées.

 

Ce style de reportage sur la famine à Gaza prive la question de sa dimension humaine urgente en la présentant dans un langage bureaucratique dépourvu d'expérience vécue. Par conséquent, les images d'enfants, de personnes âgées et de malades mourant de faim sont réduites à de simples statistiques dans des reportages empreints de doute et d'hésitation, des reportages qui mettent constamment en évidence, voire valorisent, le récit israélien.

 

Ce parti pris systémique en faveur du récit officiel d'Israël n'est pas simplement le fruit de la paresse journalistique ou d'un accès limité aux sources palestiniennes. Il reflète un cadre épistémique hérité qui continue de façonner la représentation des Palestiniens dans le discours des médias occidentaux, un cadre qui considère les Palestiniens comme indignes de confiance ou d'empathie, tout en légitimant automatiquement le point de vue israélien comme celui d'un « allié démocratique de l'Occident ». [Avec Al-Jazeera]


* Le titre original du texte en anglais est : "How Is Western Media Framing the Famine Catastrophe in the Gaza Strip?"
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