GAMBIE - Déclaration de soutien à Alhaji Mamadi Kurang (PPLAAF & WIN)

Mercredi 16 Juillet 2025

Chers défenseurs des lanceurs d'alerte,

La Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF), avec le soutien du Whistleblowing International Network (WIN) et des organisations signataires ci-dessous, exprime sa vive inquiétude face aux représailles présumées à l'encontre de M. Alhaji Mamadi Kurang. Nous reconnaissons les enjeux d’intérêt public qu’il a soulevées, et réaffirmons notre position selon laquelle toute personnes ayant raisonnablement cru divulguer des informations crédibles sur des abus ou des dysfonctionnements doit être protégée contre toute forme de représailles.

 

M. Kurang est un comptable qualifié ayant exercé les fonctions de Secrétaire Exécutif de la Commission Janneh en Gambie. Cette commission d'enquete, établie par le président Adama Barrow en 2017, avait pour mission d'enquêter sur les malversations financières du régime de l’ancien président Yahya Jammeh. Nommé par le président lui-même, M. Kurang a accepté cette responsabilité comme un acte de bonne foi, pour servir le peuple gambien et les principes de justice.

 

Dans l'exercice de ses fonctions, M. Kurang affirme avoir identifié et signalé formellement de graves irrégularités au sein même de la Commission Janneh. Selon ses déclarations, ces préoccupations concernaient notamment des conflits d’intérêts potentiels parmi les membres de la Commission, des irrégularités procédurales dans le traitement des preuves et témoignages, des interférences dans le fonctionnement du secrétariat, un manque de transparence et de rigueur dans la gestion des fonds publics, ainsi que l'absence de mécanismes internes de redevabilité. Il a déclaré que, selon lui, ces éléments remettaient en cause la crédibilité et l’impartialité de la Commission. (1) Plutôt que de garder le silence, M. Kurang aurait d’abord soulevé ses préoccupations en interne en adressant une pétition à la Présidence, avant de divulguer ses constatations à des journalistes, notamment ceux de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) et d'autres médias. Selon l'OCCRP, les  informations fournies par M. Kurang ont contribué à l’enquête The Great Gambia Heist, qui portait sur le détournement présumé de fonds publics sous le régime Jammeh. 

 

En juillet 2018, à la suite de  ses révélations, M. Kurang aurait été démis de ses fonctions. (2) Depuis lors, il affirme avoir été la cible d’une campagne de harcèlement, notamment une arrestation arbitraire et deux nuits de détention sans accès à un avocat, à la suite de sa participation à une manifestation pacifique en mai 2025. Bien qu'il ait été libéré, il signale que  les représailles à son encontre se sont poursuivies et intensifiées.

 

En juin 2025, Me Amie Bensouda, ancienne avocate principale de la Commission Janneh, a intenté une action en diffamation contre M. Kurang devant la Haute Cour de Bakau. (3) Cette plainte réclame144 millions de dalasis (environ 2,4 millions USD) de dommages et intérêts, en lien avec les déclarations publiques faites par M. Kurang au sujet du comportement  = présumé de Me Bensouda pendant le mandat de la Commission. D'après de nombreuses interviews, M. Kurang affirme que ses  propos sont fondés sur ses expériences et visaient à encourager un débat public sur la transparence d'un processus national majeur. (4)

 

Les procédures judiciaires et les pressions institutionnelles entourant les révélations de M. Kurang suscitent une inquiétude croissante au niveau international quant au traitement réservé aux lanceurs d’alerte. Pour certains défenseurs familiers du dossier, les pressions qu'il subit illustrent les lacunes systémiques persistantes en matière de protection des personnes dénonçant, dans l’intérêt public, des actes répréhensibles.

 

À la lumière de ces préoccupations, nous appelons respectueusement les autorités gambiennes à :
Intervenir pour protéger M. Kurang contre toute action actuelle ou à venir  pouvant être perçue comme des représailles ou une tentative d'intimidation ; Garantir que les procédures judiciaires impliquant des lanceurs d’alerte respectent les garanties du droit à un procès équitable, sans avoir pour effet de décourager les  divulgations légitimes dans l’intérêt public ; Réaffirmer les engagements de la Gambie au titre des instruments  internationaux relatifs aux droits humains et à la lutte contre la corruption, y compris l'obligation de protéger les personnes qui révèlent en toute bonne foi des faits qu'elles estiment constituer une infraction.

La décision de M. Kurang de dénoncer ces irrégularités, malgré les risques personnels et professionnels encourus, témoigne de son engagement envers le service public et la responsabilité civique. Il a déclaré publiquement que sa démarche n'avait pas pour but un avantage personnel ou l'impunité, mais visait à défendre la vérité et la transparence, afin de restaurer la confiance du public.

 

Cette affaire souligne l’urgence de renforcer le cadre légal protégeant les lanceurs d'alerte en Gambie et de garantir que les processus de justice transitionnelle restent ouverts à l’examen critique. Réprimer ou punir ceux qui soulèvent des préoccupations légitimes, si elles s'avèrent fondées, reviendrait à affaiblir la confiance du public dans les réformes entreprises.
 

PPLAAF, WIN et les organisations signataires expriment leur solidarité avec le droit de M. Kurang à s'exprimer et appellent les autorités concernées à garantir qu'il bénéficie, comme tout lanceur d'alerte, des protections juridiques prévues par le droit national et international.

 

Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique et Whistleblowing international network



Organisations signataires :

GlobaLeaks (International)

Réseau Panafricain contre la Corruption en Afrique UNIS (RDC)

African Resource Watch – Afrewatch (RDC)

Le Congo n’est pas à vendre (Coalition internationale)

Climate Whistleblowers (International)

The Whistleblower House

Jeggan Grey-Johnson, ancien responsable du cluster anti-corruption AfRO, Afrique du Sud

Campaign for Free Expression (Canada)

The Signals Network

Public Interest SA

Afrikajom Center, Sénégal

Transparency International Italie

Transparencia por Colombia, Colombie

Oživení z. s., République tchèque

Open Secrets, Afrique du Sud

Blueprint for Free Speech

Transparency International

Psst.org

Congo Nouveau (RDC)

Observatoire d’Études et d’Appui à la Responsabilité Sociale et Environnementale (RDC)

Whistleblowers & Journalists Safety International Center (Ghana)

Tiger Eye Foundation (Ghana)African Centre for Media & Information Literacy (AFRICMIL), Nigeria

Filimbi (RDC)

Government Accountability Project (États-Unis) 

 
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