Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a annoncé lundi rester au pouvoir après avoir menacé de démissionner durant cinq jours face à une "campagne de discrédit" lancée, selon lui, par l'opposition de droite qui l'a accusé de "se moquer" des Espagnols.
"J'ai décidé de continuer" à la tête du gouvernement, a dit, sur un ton grave, le leader socialiste de 52 ans, au pouvoir depuis 2018, depuis le perron du palais de la Moncloa, siège de la présidence du gouvernement.
Fait absolument inédit, M. Sánchez s'était muré dans le silence et avait suspendu toutes ses activités publiques après l'annonce mercredi par un tribunal madrilène de l'ouverture d'une enquête préliminaire pour "trafic d'influence" et "corruption" contre son épouse, Begoña Gómez.
Provoquant la stupéfaction de tout le pays, il avait alors publié une lettre de quatre pages dans laquelle il expliquait qu'il envisageait de démissionner pour protéger sa famille.
Niant lundi tout "calcul politique" et assurant que les soupçons à l'encontre de son épouse étaient le produit de la désinformation, il a affirmé que la pause de cinq jours qu'il avait observée était destinée à pousser le pays à entreprendre "une réflexion collective" afin d'empêcher "l'intox de diriger le débat" public.
"Ou nous disons +assez !+, ou la dégradation de la vie publique déterminera notre avenir et nous condamnera en tant que pays", a-t-il ajouté.
Plus tard, dans une interview à la télévision publique, M. Sánchez a expliqué que sa femme lui avait demandé de ne pas jeter l'éponge. "Elle a été la première à me dire de ne pas démissionner".
Il a également appelé à "mettre fin aux insultes dans la vie publique", mais s'est montré pessimiste : le harcèlement "va redoubler".
- "Pas à la hauteur" -
Le leader de l'opposition, le grand rival conservateur de M. Sánchez, Alberto Núñez Feijóo, a condamné sans réserve l'annonce du Premier ministre, l'accusant de s'être "moqué des Espagnols" en décidant de rester au pouvoir.
L'Espagne "n'a pas un président du gouvernement à la hauteur de ses citoyens", a déclaré le chef du Parti populaire (PP). "Il a perdu aujourd'hui une occasion fantastique de s'en aller", a-t-il lancé dans une allocution au vitriol qui semble augurer d'un durcissement supplémentaire de la vie politique espagnole.
Si les socialistes et leurs alliés d'extrême gauche ont salué l'annonce du Premier ministre, le parti indépendantiste catalan ERC, qui est pourtant l'un de ses alliés au Parlement, a dénoncé "une comédie, un rideau de fumée", par la voix du président régional catalan Pere Aragonés.
L'enquête contre l'épouse de Pedro Sánchez, placée sous le sceau du secret de l'instruction, a été ouverte à la suite d'une plainte de l'association "Manos limpias" (Mains propres), un collectif proche de l'extrême droite qui a dit se baser sur des articles de presse, sans savoir si ces informations étaient fondées.
Le parquet a demandé le classement de cette enquête, mais le juge en charge du dossier n'a pas encore dévoilé ses intentions.
M. Sánchez veut voir dans le dépôt de cette plainte une nouvelle illustration d'une campagne de déstabilisation menée à son encontre par la droite et l'extrême droite.
Depuis son arrivée au pouvoir il y a six ans, la légitimité du leader socialiste a toujours été questionnée par le PP et la formation d'extrême droite Vox, qui ne lui ont jamais pardonné d'avoir été porté au pouvoir par l'extrême gauche et les partis basques et catalans dans le cadre d'une motion de censure contre son prédécesseur conservateur Mariano Rajoy, plombé par un scandale de corruption.
- Tensions politiques -
Et le contexte politique s'est encore plus tendu ces derniers mois lorsque M. Sánchez, arrivé deuxième des élections du 23 juillet derrière M. Feijóo, est malgré tout parvenu à être reconduit au pouvoir par le Parlement en novembre grâce au soutien des partis indépendantistes catalans, en échange d'une loi très controversée d'amnistie pour les séparatistes impliqués dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017.
Cette loi, votée par les députés en mars, devrait être définitivement adoptée fin mai.
L'enquête contre l'épouse du Premier ministre porte en particulier, selon le média en ligne El Confidencial, sur les liens noués par Begoña Gómez avec le groupe Globalia, qui a parrainé, selon ce média, la fondation dans laquelle elle travaillait, au moment où Air Europa, compagnie aérienne appartenant à Globalia, négociait avec le gouvernement Sánchez l'obtention d'aides publiques.
Cette compagnie a effectivement touché, en novembre 2020, 475 millions d'euros, issus d'un fonds de 10 milliards destiné à soutenir les entreprises stratégiques en difficulté à cause de la pandémie. Mais des dizaines d'autres ont ensuite bénéficié d'aides, dont plusieurs de ses concurrentes (Iberia, Vueling, Volotea...). [AFP]