Eclairage - Les modèles policiers chinois font leur entrée en Afrique

Jeudi 6 Juillet 2023

 
Les forces spéciales ougandaises et plus de 30 commandos chinois ont mené une opération conjointe  en janvier 2022, qui a abouti à la capture et à l’expulsion de quatre citoyens chinois soupçonnés de faire partie d’un réseau criminel.
 
En avril 2016, en étroite collaboration avec la police armée du peuple chinois (PAP), 44 ressortissants taïwanais ont été embarqués par les services de sécurité kenyans sur un vol à destination de la Chine. À leur arrivée en Chine, ils ont été condamnés à de lourdes peines de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans pour des accusations de fraude. La police kenyane a pris cette mesure alors que certains des suspects avaient été acquittés auparavant par un tribunal kenyan.
 
Les services de renseignement chinois, en collaboration avec leurs homologues égyptiens, auraient interrogé des étudiants chinois dans une prison égyptienne en mai 2022. Ces derniers faisaient partie d’un groupe de 200 ressortissants chinois (musulmans pour la plupart) arrêtés par les services de sécurité  égyptiens quelques semaines après que le ministère égyptien de l’intérieur a signé un accord de coopération avec le ministère chinois de la sécurité publique (MSP) pour « lutter contre la propagation des idéologies terroristes ».  Les organisations égyptiennes de défense des droits humains ont ensuite reproché à leur gouvernement de se soustraire à son obligation légale internationale  de protéger les demandeurs d’asile chinois contre le refoulement. Des événements similaires se sont produits au Maroc et dans d’autres pays majoritairement musulmans à travers le monde.
 
Ces opérations conjointes ne sont que les plus importantes d’un large éventail d’activités chinoises de plus en plus importantes dans le cadre du maintien de l’ordre public en Afrique, opérations ont largement échappé à un examen plus rapproché. Elles reflètent également la promotion croissante des normes policières chinoises au sein des forces de police africaines. Entre 2018 et 2021, plus de 2 000 policiers et membres des forces de l’ordre africains ont en effet été formés en Chine.
 
Outre les compétences techniques, la formation du ministère chinois de la sécurité publique comprend des principes politiques et idéologiques basés sur le modèle du Parti communiste chinois (PCC) de contrôle absolu des forces de sécurité et de l’État par le parti. Toutes les formations policières sont organisées autour de ce principe, ce qui marque une différence fondamentale avec les modèles constitutionnels africains et la loi-type sur la police en Afrique  du Parlement panafricain de 2019, qui mettent l’accent sur des organisations policières apolitiques et professionnelles qui se soumettent au contrôle parlementaire. Les participants africains représentent 35 % des formations étrangères du ministère chinois de la sécurité publique, ce qui les place en deuxième position après l’Asie.
 
La diffusion des normes chinoises en matière d’application de la loi comprend la formation de milliers de magistrats et d’avocats africains  au Centre d’études juridiques sur l’Afrique de l’université de Xiangtan, de l’Organisation juridique consultative pour les pays d’Asie et d’Afrique, et du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) – Forum juridique, qui se concentre notamment sur l’harmonisation des lois chinoises et africaines. Ce dernier a formé plus de 40 000 avocats africains depuis l’an 2000.
 
Les perspectives d’une adoption plus large des normes chinoises par certains gouvernements africains étaient évidentes dans les remarques de l’ancien vice-ministre des communications tanzanien  lors d’un atelier sur les médias parrainé par le PCC en 2017, selon lesquelles « nos amis chinois ont réussi à bloquer […] les médias dans leur pays et les ont remplacés par leurs propres sites, qui sont sûrs, constructifs et populaires ».
 
Les défenseurs des droits humains ont prévenu que l’application sans discernement du modèle chinois de contrôle absolu du parti pourrait nuire au professionnalisme de l’armée et de la police  et à l’idée que la sécurité doit être partagée par tous les citoyens. Le modèle sécuritaire du PCC est résumé dans le terme du Parti « maintien de la stabilité » (weiwen, 维稳), qui affirme qu’une sécurité vigoureuse du régime est la base de la sécurité et de la survie nationales.
 
Compte tenu de la résurgence des États à parti unique dominants et des pratiques autoritaires, ainsi que de la possibilité d’utiliser le weiwen pour justifier un maintien perpétuel au pouvoir, l’application généralisée de ce concept en Afrique est problématique, Avec le weiwen, les droits humains, les libertés civiles et la responsabilité publique sont secondaires. Pourtant, ces valeurs sont au cœur des engagements africains en faveur d’une sécurité inclusive. Le paradigme weiwen s’écarte donc des aspirations des citoyens africains à des services de sécurité professionnels et redevables.
 
Diffusion des normes chinoises en matière de maintien de l’ordre en Afrique
 
À l’insu de la majorité des personnes, la Chine mène, à l’échelle internationale, beaucoup plus d’opérations de sécurité publique et de maintien de l’ordre que des opérations militaires conduites par l’Armée populaire de libération (APL). Une quarantaine de pays africains ont conclu un accord avec les agences chinoises de sécurité publique. La Chine a également négocié depuis 2018 des traités d’extradition avec 13 pays africains, alors qu’elle n’en comptait alors aucun.
 
Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA)
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