L’Etat a l’esprit malicieux. A tout le moins, il faut l’espérer, car on ne saurait comprendre autrement la succession de péripéties à laquelle les sénégalais assistent, goguenards ou agacés, autour du processus de renouvellement démocratique fortement entaché de soupçons de corruption des corps institutionnels et d'accusation de favoritisme.
Situation qui ouvre la voie à une enquête parlementaire en vue d'un report des élections, contre deux juges du Conseil constitutionnel – laquelle vise aussi Amadou Ba, Premier ministre et candidat de la majorité à la présidentielle, dont la démission est annoncée.
Avec un président en fin de mandat clivant, en plus d'être un habile marionnettiste, miné par une classe politique corrompue et comploteuse, touché violemment par une perte de sens et de valeurs et avec des services publics en ruine, une société civile amorphe, dont l'action n'est ni visible, ni compréhensible pour le sénégalais lambda, le pays de la Teranga connaît une crise institutionnelle profonde jusqu'ici jamais égalée.
Clarifier la portée de la corruption institutionnelle.
Une première difficulté, et c’est la plus générale, surgit lorsqu’il nous faut clarifier la portée d’une théorie de la corruption institutionnelle agitée de plus en plus dans le landerneau politique.
À ce stade, il vaut la peine de noter que la conception de la corruption qui y est mobilisée semble très inclusive: elle sert à décrire, comprendre et critiquer un très grand nombre de pratiques et modes de fonctionnement institutionnels. Elle se présente après tout comme une théorie téléologique qui nous invite à penser les finalités de nos institutions pour ensuite diagnostiquer les anomalies qui ont un impact « corrosif » sur celles-ci.
À ce titre, la théorie de la corruption institutionnelle porte moins sur un ensemble précis de comportements déviants que sur nos institutions en général. Elle semble donc se confondre avec une théorie générale des structures institutionnelles.
Mais sur quoi est basée cette déliquescence dont se targue une majorité parlementaire libérale pour vouer aux gémonies des sages du conseil constitutionnel, garants de la stabilité du pays? Sur des certitudes indéboulonnables? Sur les fabulations du fils à papa, héritier du PDS, tricheur à l'esprit fertile et grand trafiquant d'influence, pris la main dans le sac des basses manœuvres ? Sur la peur bleue de la déferlante patriotique ou une ingéniosité saugrenue servant à masquer l’incapacité de gérer une situation déjà hors de contrôle et dont les compétences rétrécies n'ont pas permis aussi bien au chef de l'exécutif à force de réduire les expressions des uns et des autres à néant qu'à Karim Wade à cause de son égo surdimensionné, son impréparation et son peu d'engagement envers ses hordes de militants d’envisager un plan B consensuel pour sortir leurs camps de l'ornière?
Je vous laisse le soin d’en juger.
Faudrait-il en rire ou en pleurer ?
Si nous devons en rire, alors faisons-le à gorge déployée mais notre rire sera jaune, jaune de pratiques facétieuses, des menées sourdes et autres cabales diaboliques et du foutage de gueule exercé sur les Sénégalais par une bande de conspirateurs sans vergogne qui n'aspirent qu'à saper la volonté populaire pour des intérêts individuels solidement protégés par un coude princier adipeux.
En fin de compte, toute réflexion sur la structure de nos institutions, les finalités de celles-ci, les règles et incitations qui y sont formalisées ainsi que les droits, obligations, rôles et responsabilités spécifiques de ses principaux agents, pourrait participer d’une réflexion sur la corruption.
Qui sème le vent récolte la tempête
Le bilan, dressé sans effort comme n’importe quel lecteur peut se le représenter, devra être littéralement désolant : à semer le vent, on récolte la tempête. Ou, nous abstenant de toute métaphore, l’inconsistance théorique d’une bonne partie de ces lieux communs n’a pas résisté à l’épreuve de la confrontation avec la réalité. On connaît déjà la fin du film : des politiciens opportunistes ayant aussi peu de scrupules que de bagage intellectuel, prêts à jeter par-dessus bord toute idée susceptible de perturber leurs calculs électoraux les plus myopes, se sont chargés du reste. Ils se sont engagés dans une bataille perdue d’avance, et maintenant c’est à nous de supporter l’obscénité du spectacle des recalés de celle-ci (en réalité, des tocards) aidés de la majorité présidentielle en peur panique qui non seulement reprochent à ceux qui ont su passer le cap de vouloir faire respirer la démocratie, ne leur laissent même pas la consolation de penser que la raison morale est de leur côté. Telle est la voracité du monstre dans le ventre duquel nous habitons.
Pour nous consoler, essayons de croire qu'il y a certainement des bienfaits au négatif et à cette déliquescence savamment orchestrée.
Il y a évidemment une sagesse du malheur et de l'adversité. Être résilient, c'est savoir l'admettre, savoir s'en nourrir et essayer de s'en instruire et se forcer même d'y survivre, et puis aussi se battre contre elle.
Le temps est compté pour faire dérailler cet engrenage fatal par une véritable politique de reddition des comptes et d'assainissement des mœurs politiques. Plus que jamais, il s’agit de retrouver l’usage de ces mots oubliés depuis l'avènement de la Mackysie : éthique, paix et concorde.
Khady Gadiaga, 03 février 2024