Des semaines que Priscillia Ludosky attendait ce rendez-vous. Le 28 novembre, toutes les caméras de télévision sont réunies dans la cour du ministère de la Transition écologique, à Paris, pour capter l'arrivée de cette représentante des "gilets jaunes", venue avec son acolyte Eric Drouet. Depuis le succès de sa pétition pour "une baisse des prix du carburant à la pompe", un mois plus tôt, elle demandait à être reçue par le gouvernement. Sous pression, l'exécutif a fini par ouvrir au duo les portes de l'hôtel de Roquelaure. "Je me suis dit : 'Ça y est, on y est, il ne faut pas se démonter", se souvient-elle pour franceinfo, mardi 18 décembre, alors qu'elle nous reçoit chez elle.
Pendant près de deux heures, cette trentenaire liste les revendications autour desquelles se sont fédérés les "gilets jaunes". Face à elle, le ministre François de Rugy, les secrétaires d'Etat Emmanuelle Wargon et Brune Poirson, ainsi qu'une poignée de conseillers. L'odeur des petits fours, posés devant elle, l'attire. "J'ai toujours aimé les pâtisseries et ils avaient l'air trop bons", plaisante-t-elle. Pourquoi ne pas céder à la tentation ? "Ce n'était pas un rendez-vous 'On s'appelle, on se fait une bouffe', hein. Il faut se rappeler qu'on n'était pas venus en amis."
"On se complète"
Aux côtés de Priscillia Ludosky, Eric Drouet. Ils ont fait cause commune contre l'augmentation du prix des carburants. "Eric m'a envoyé un message sur Facebook, à la mi-octobre, relate Priscillia Ludosky. C'est devenu un ami, on peut dire ça." Pourtant, les deux "gilets jaunes" de 33 ans n'emploient pas les mêmes mots à la télé. Interrogé par BFMTV sur ce qu'il ferait s'il parvenait devant l'Elysée lors de "l'acte 4", Eric Drouet s'est rendu célèbre par sa réponse : "On rentre dedans." "Une maladresse de communication, balaie Priscillia Ludosky. Je me suis dit 'ben merde !' C'est dommage car ce n'est pas ce qu'il veut faire. Quand on est sur un plateau, il y a des gens qui vous poussent dans une direction, après il faut savoir s'en sortir." Sollicité, Eric Drouet n'a pas donné suite à nos demandes.
Priscillia Ludosky est proche d'un autre "gilet jaune" à la réputation sulfureuse pour ses propos conspirationnistes : Maxime Nicolle. Surnommé "Fly Rider", il est très actif sur Facebook, où son groupe compte plusieurs dizaines de milliers de membres. "Parler de liens d'amitié, c'est un peu tôt. Mais j'ai de bonnes relations avec Priscillia et Eric", indique à franceinfo Maxime Nicolle.
"C'est un des visages qui émergent car c'est madame Tout-le-monde et elle n'a pas d'intérêts personnels. Eric, lui, est quelqu'un de terrain. Moi je passe pour quelqu'un de complotiste. On se complète", sourit cet intérimaire de 31 ans originaire des Côtes-d'Armor. "On est d'accord sur le fond, mais on a chacun des différences de style et de caractère", abonde Priscillia Ludosky.
Une analyse que ne partage pas Jacline Mouraud. "C'est un petit groupe qui joue les dictateurs", critique cette autre figure médiatique des "gilets jaunes", contactée par franceinfo. La Bretonne n'a jamais échangé un seul mot avec la Seine-et-Marnaise. Si elle reconnaît "que sa pétition, c'est très bien", elle déplore l'attitude de Priscillia Ludosky, Maxime Nicolle et Eric Drouet. "Ils sont intransigeants sur les personnes qui pourraient prendre part à ce mouvement, alors que tous les citoyens français ont le droit de prendre la parole", juge-t-elle. Jacline Mouraud va même plus loin : "Quand j'ai subi des menaces, la majeure partie venait du groupe La France en colère qu'ils administrent."
"Les médias, c'est un autre sport"
Priscillia Ludosky semble pourtant loin d'être une meneuse belliqueuse. Elle vit dans un appartement paisible de Savigny-le-Temple, une ville de Seine-et-Marne reliée à Paris par trois quarts d'heure de RER, où elle écoute les textes des rappeurs Kery James, Youssoupha ou Médine et organise des "soirées pyjamas" avec des amies. Elle nous reçoit dans son salon à la décoration épurée. Un canapé en cuir et une table noire au milieu de laquelle reste allumé un ordinateur portable. C'est ici qu'elle a rédigé, en mai, sa désormais célèbre pétition, à laquelle Emmanuel Macron a fini par répondre, jeudi 20 décembre.
Jusqu'à l'automne, le document ne cumule que quelques centaines de signatures. Puis Vanessa Relouzat, journaliste à La République de Seine-et-Marne, découvre son initiative sur Facebook. "Ce n'est pas une personnalité connue dans la ville, c'était la première fois que je la contactais, raconte-t-elle à franceinfo. J'ai découvert une madame Tout-le-monde, qui ne se laisse pas impressionner pour autant."
Priscillia Ludosky donne déjà l'impression d'avoir confiance en elle et en son initiative. Dès la mi-octobre, elle avait demandé à la mairie de relayer sa pétition dans La feuille, le journal communal. On lui répond que cela n'entre pas dans la ligne éditoriale. Elle est finalement reçue par le cabinet de la maire socialiste de Savigny-le-Temple. "On m'a fait la proposition suivante : 'Est-ce qu'on pourrait collaborer ensemble si vous acceptez de parler à des députés ?'" affirme Priscillia Ludosky. "On lui a juste dit que si elle voulait rencontrer un député, on pouvait l'organiser. C'était une discussion anodine, le ton était cordial", assure à franceinfo une source proche de la mairie, qui a trouvé Priscillia Ludosky "mystérieuse". "Elle a répondu qu'elle voulait rester apolitique et que c'était dommage [de ne pas publier sa pétition dans le journal] car sa pétition allait faire du bruit", ajoute cette source.
Bien vu. Après avoir été relayée par de nombreux médias, sa pétition cumule 1 155 000 signatures et devient l'une des plus signées de France. La feuille finit par lui accorder un portrait dans son édition de décembre. Fini la tranquillité. Posé sur la table du salon, son téléphone sonne sans discontinuer. Plus le temps d'aller à la salle de sport, où elle se rendait quatre fois par semaine. "Mais les médias, c'est un autre sport", ironise-t-elle. Elle note tous ses rendez-vous dans un carnet. Elle a été sollicitée par presque tous les médias français et même étrangers : la BBC, la Rai, une chaîne portugaise, des télévisions en Suisse alémanique et italienne... Elle refuse rarement un passage télé et – hormis deux mystérieuses semaines d'absence début décembre sur lesquelles elle refuse de s'expliquer – elle répond aux questions sans sourciller.
"Je ne stresse jamais"
Sur les plateaux, Priscillia Ludosky conserve ce calme à toute épreuve. "Je l'ai connue quand elle avait une vingtaine d'années et elle était déjà comme ça : elle ne hausse jamais le ton", explique à franceinfo Sandrine, une ancienne collègue devenue amie. Lorsqu'elle est prise à partie par Thibault Lanxade, directeur du groupe Jouve, en direct sur CNews, lundi 17 décembre, elle ne flanche pas. "Mais vous êtes stupide ou vous faites exprès de poser des questions bêtes systématiquement ?" lance-t-elle. (francetvinfo)