Chronique d’Albert : Le temps de changer de cap

Samedi 22 Juin 2019

Le Président de la République, Macky Sall, candidat à sa propre succession, a été reconduit dans ses fonctions à l’issue de la présidentielle de février 2019. Il avait promis au peuple sénégalais de faire plus et mieux au cours de son second mandat. Les cinq premiers mois de l’exercice du pouvoir correspondent à une situation politique annonciatrice de conflits multiples susceptibles de plomber la marche du Sénégal : la gouvernance solitaire et la violence. Un moment  de doute et d’interrogations majeures quant à l’avenir du pays qui marque sans nul doute l’impératif d’un changement de cap.
 
Le Président de la République et sa majorité devraient se questionner à propos des conflits multiples surgissant en matière de gouvernance des ressources pétrolières, gazières et minières, de la rupture de confiance du contrat démocratique entre le pouvoir et son opposition et la montée en puissance de la société civile plus que jamais déterminée à exiger la transparence,  le respect des lois et de la Constitution.
 
Il est du devoir de tout pouvoir responsable de la destinée d’une Nation de se poser des interrogations au sujet de ses faiblesses, ses manquements, ses tares et des véritables mobiles des conflits de société. Cette posture politique critique, constructive indispensable à la gouvernance démocratique, permet de mieux comprendre ce qui se passe dans sa société, ses évolutions, ses aspirations et de prendre en charge les véritables questions de gouvernance.
 
Bien des gouvernements européens ont compris cet impératif de l’exercice du pouvoir, en acceptant périodiquement  de commettre des commissions d’études et de réflexion sur des questions centrales de société. Les pouvoirs publics confient sous diverses formes  à des autorités universitaires et politiques des enquêtes, la rédaction de rapports très utiles à la gouvernance publique. La France vient d’organiser un débat national sous la poussée et la pression du mouvement des gilets jaunes. Le gouvernant ne peut plus, ne pas se questionner et/ou faire appel à l’expertise universitaire et politique de son pays et du monde.
 
L’attitude de franges importantes de la majorité présidentielle actuelle consistant à « fusiller » par le verbe incendiaire  tous ceux qui dénoncent et critiquent en raison de leurs convictions intimes, de leur engagement politique dans l’adversité déclarée, n’est point, la meilleure réponse intelligente  aux conflits que traverse la gouvernance du Sénégal. Bien au contraire.
 
Ce comportement guerrier à souhait, masque en réalité, un esprit dormant profondément anti démocratique. Il est  incapable d’intégrer dans l’exercice du pouvoir, le droit des adversaires d’exprimer démocratiquement, ce qu’ils ressentent et même de faire de propositions alternatives dans le cadre du jeu politique civilisé.
 
Il ne permet pas, non plus, à celui qui gouverne de mesurer l’état de l’opinion publique nationale et la gravité des contextes politiques mouvants. La réalité politique qui se met en place, mérite une prise de conscience et de responsabilité de la majorité. Le deuxième mandat présidentiel vient à peine de boucler ses cinq premiers mois.
 
La volonté du Président de la République de mener un dialogue national et des échanges fructueux au sujet du processus électoral et l’organisation des élections entre les acteurs politiques et la société civile est largement partagée par les acteurs politiques. Pour autant, le Sénégal demeure  plus que jamais secoué, par des conflits majeurs touchant à la gouvernance politique, à la transparence dans la gestion des biens publics et à l’éthique.
 
Pourquoi alors, le dialogue national et politique déjà amorcé ne prend pas naturellement en compte ces conflits latents ou manifestes, alors que ces conflits entrent le cadre des compétences politiques et les motifs d’un débat national sérieux et franc ? Qu’est-ce qui explique après la reconduction du Président sortant, la profondeur de la crise de confiance entre le pouvoir, son opposition et la société civile ? Le Président de la République ne devrait-il pas revoir son approche de gouvernance personnelle  et de gestion des conflits politiques et sociaux?
 
Ces questions sont au cœur de ce deuxième mandat. Les partisans du régime qui se nourrissent exclusivement de la préservation à tout prix du pouvoir et des privilèges, ne peuvent admettre, démocratiquement s’entend, ce qui passe au sein de la société sénégalaise.  Dans les rangs de la majorité, ils font tout, des pieds et des mains, pour ranger ceux qui critiquent dans la mouvance imaginaire des mécontents, des aigris et des ennemis du Président en exercice. Un clivage souvent artificiel qui ne résiste pas à la réalité du pays.
 
Cette frange de la majorité ne permet au chef de l’Etat de sortir de l’impasse politique et de la crise de confiance. Le Président de la République, réélu démocratiquement, est de plus en plus enfermé dans une logique solitaire. Force est de constater que le  Sénégal se dirige progressivement vers un régime centralisé à outrance. Il est  porteur de conflits et de violence politique et sociale.
 
Les radicaux du pouvoir aspirent à installer la gouvernance politique dans un conflit ouvert et chaotique entre le Président de la République et son opposition et la société civile. C’est le pire des scénarii du second mandat. Il est peut-être venu le temps du changement de cap. Le Président de la République devrait faire du dialogue national et politique, le cadre idéal de ce changement de cap et de perspective.
 
Le dialogue sincère et franc peut et doit nourrir des consensus politiques sur toutes les questions majeures de la gouvernance et des conflits de société. Il peut et doit aussi ouvrir une nouvelle page de gouvernance politique plus concertée, plus participative et plus propice à la stabilisation  des institutions républicaines.
 
Changer de cap, c’est redonner à la seconde alternance une opportunité de remobiliser les Sénégalais autour de l’essentiel : le dialogue permanent, la recherche de consensus politiques et la mise en œuvre de politiques publiques plus en adéquation aux aspirations légitimes des populations.
Mamadou Sy Albert
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