Chronique - Bourse de sécurité familiale (BSF) : le mode opératoire n’est pas pertinent !

Mardi 10 Juillet 2018

Par Madi Waké Touré (ENTSS)
 
De tout temps, les sociétés humaines se sont organisées pour répondre d’une manière efficace aux multiples défis qui se posent à elles. Elles cherchent ainsi à atténuer les chocs économiques ou sociaux subis par leurs membres.
 
Dans cette volonté de soulager la souffrance morale et matérielle des populations, on a toujours fait appel  au Social dans sa version humaniste. Celui-ci a une importance capitale pour des pays comme les nôtres où l’écrasante majorité vit dans la pauvreté. De fait, le Social doit revêtir une dimension sacerdotale pour les pouvoirs publics en ce sens que la pauvreté avilit et dégrade la personnalité. La combattre résolument et activement : c’est travailler à l’avènement d’une société d’équilibre, de justice sociale.
 
Tel n’est malheureusement  pas le cas encore dans notre pays : observez cette violence sourde qui se lit sur les regards et prête à exploser, cette criminalité galopante, cette méchanceté bête et gratuite, cette déliquescence des mœurs ; tout cela dis-je, révèle une société dans laquelle il manque de tout : absence  de perspectives d’avenir sérieuses pour la jeunesse, difficultés à se nourrir et à se soigner correctement pour une partie importante de la population. Faites le tour de certains quartiers populaires à certaines heures de la nuit, le spectacle qui s’offre devant vous est des plus pathétique : hommes et femmes de tous âges regroupés autour de la vendeuse de couscous ou de bouillies de mil pour l’achet de quoi apaiser sa faim.
 
(…) Au demeurant, une politique de protection sociale bien élaborée participe à l’apaisement des tensions sociales voire même à assainir les mœurs. Nos autorités publiques ont-elles compris cette donne fondamentale ? La question mérite d’être posée au vu des mesures qu’elles ont prises pour prendre en charge certaines questions sociales. Parmi celles-ci, les bourses familiales ont retenu particulièrement notre attention. Et que recouvre au juste ce concept ?
 
L’explication nous est fournie par  Fatou Ciss (FC) dans son mémoire de fin d’études (2013-2014) : « Appelés programme de bourses de sécurité familiales, cette politique stratégique a été expérimentée au Brésil sous le nom de «Bolsa familia». Ces programmes sont axés sur le développement du capital humain, car ils posent comme condition du transfert en espèces la fréquentation scolaire des enfants et les visites médicales. Le programme de bourse de sécurité familiale domine à présent le secteur de la protection sociale en Amérique Latine. Cet élargissement est aussi noté dans les pays africains, notamment le Sénégal qui a lancé sa première expérience en  2013.» Selon toujours FC, le programme vise 250 000 familles pour 100000 frs/an, soit 25 000 frs par trimestre.
 
Ces explications signées FC ne renseignent pas totalement sur les mobiles et la philosophie qui ont présidé à la naissance de ces programmes. Pour Moustapha Mbodj (MM) ancien Directeur de l’ENTSS, de l’Action sociale, expert attitré des questions sociales : 
 
« tous ces programmes s’inscrivent dans une logique libérale. C’est le système des Nations Unies qui a lancé ces politiques publiques sectorielles. Et c’est ainsi que les conventions signées au niveau des Nations Unies déterminent la nature, le format et le mode de gestion des programmes. Et les Etats africains, pour capter les fonds destinés à ces programmes, se trouvaient obligés de créer les conditions-cadres pouvant leur permettre de recueillir les dits fonds."

"Au Sénégal, des chamboulements furent notés dans les administrations publiques. La Famille, de simple division au sein du ministère auquel elle était rattachée, devint une direction, idem pour la condition Féminine et l’Enfance. Ce saucissonnage du Social montre que la question ne relevait plus d’une approche holistique mais d’une approche sectorielle.»

Ce schéma de protection sociale mis en place avec les BSF n’est pas mauvais en soi mais il comporte des limites certaines. Cette bouffée d’oxygène apportée  à des familles au bord de la survie crée beaucoup de frustrations au sein des communautés. Il est vrai que le ciblage des personnes a tenu compte d’un certain nombre de paramètres ; n’empêche beaucoup se sentiront lésés quelque part.
 
Du reste, les objectifs poursuivis avec ce soutien aux couches vulnérables peuvent être  difficilement atteints en ce sens que l’état de survie dans lequel baignent ces populations fait difficilement bon ménage avec le projet de vie bâti autour d’un idéal d’éducation pour ses enfants. Ecoutons à ce sujet FC qui a enquêté auprès de bénéficiaires de la bourse familiale :

« Ainsi presque  tous les douze cas ont les mêmes problèmes, d’où les similitudes dans leurs réponses. Cela montre que la préoccupation des ménages n’a pas été tenue en compte au moment de la conception du programme du fait que chacun d’eux à une autre orientation liée à la charge familiale dont le plus important est l’alimentation quotidienne ».
 
Ce discours montre à souhait qu’on n'a pas tenu compte de nos réalités sociologiques profondes ; ce que confirme MM, l’un des meilleurs experts de ce pays concernant les questions sociales.

« Ils ont pris l’exemple de Lula du Brésil alors qu’ils ne savent pas d’où est-ce que ça vient ; alors que l’expérience de Dia (Ndlr – Mamadou Dia, ancien président du conseil) est là. Au fait, les projets structurants, ils en parlent mais ils n’en font pas. Et le projet le plus structurant, Madi,  dans la vie d’une nation c’est la Santé et l’Education. L’exemple suédois est là.»
 
(…) Les politiques de solidarité et autres doivent donc se situer dans une autre perspective si on veut gagner le pari d’un développement humain en phase avec les exigences du monde moderne. Et c’est à cela que nous convie mon brillant collègue, Abib Ndiaye, Travailleur social et Psychologue conseiller :

« L’aide et l’assistance sociale est à repenser dans le sens de mettre en avant la dimension préventive (anticiper sur les risques de basculement dans la marginalité sociale et économique) et promotionnelle (développer le potentiel des individus et des groupes en vue d’accroître leur capacités d’auto-prise encharge). C’est à ce niveau qu’il convient d’articuler la redéfinition des politiques d’action sociale, ou plutôt de développement social des collectivités locales et de l’Etat… » (Chronique parue dans Tribune du 9 juillet 2018)
 
tmadiwaketoure@gmail.com
 
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