Khady Gadiaga
Au commencement était le verbe, disent les textes sacrés. La parole divine aurait créé le monde et les hommes, et ces derniers auraient pris goût à la parole. Aux mots limpides, sans artifices, qui désignent à la fois le mot et la chose, les mots qui ont permis de pénétrer le monde, pour dire le pouvoir des mots et les mots du pouvoir, capables de bouleverser le monde, l’existence. Aux mots à prendre au pied de la lettre, à ceux qu’on prend pour argent comptant. À la parole brute, sincère, d’où la valeur de la parole donnée car elle est lien qui fait que les êtres, les mondes, s’entendent.
Le respect de la parole donnée : une viatique africaine, symbole de dignité, de courage et de Respect à toutes les générations de chefferie. La parole porte, en Afrique, un contenu immatériel très riche qui implique de son auteur toute une charge contractuelle vis à vis de ses interlocuteurs. Et si cette parole engage son auteur, c’est parce que le dire est un pacte établi entre l’auteur et ses interlocuteurs.
La parole donnée est donc une parole sacrée. Elle est une parole d’honneur à laquelle on peut se fier. Parole d’honneur qui est vertu, elle fait autorité. Parole du père, de l’ancien, du sage, elle est dotée d’une valeur morale et sociale, d’où l’usage qu’en font les idéologies. Au Sénégal, la parole politique est devenue stérile. Qui croit encore en la parole des politiciens, qui ne respectent pas leur signature pas plus que leur parole ?
Le politicien dénature l’essence de la politique
L’homme politique est au-dessus de l’idéologie, il porte des idées d’humanité et de justice qui font qu’il n’ait point besoin de se cacher sous des prétextes, préceptes ou nuances. C’est un homme qui dépasse ses intérêts propres et les intérêts partisans pour guider la nation vers ce qui l’élève dans les différents champs de son existence à travers un État servant et non prédateur. Le politique s’implique dans la vie publique pour servir la nation, le politicien, lui, sert les intérêts oligarchiques de ses patrons inavoués, en leur asservissant le peuple.
Le politicien dénature l’essence de la politique qu’il fait manette d’infamie par la manipulation des principes fondamentaux de la constitution, par l’infantilisation des électeurs et la trahison de la nation. En reniant de façon récurrente leur parole, le moins que l’on puisse dire, est que Macky Sall et ses affidés n’auront pas fait montre de beaucoup de pédagogie pour susciter l’adhésion aux valeurs de démocratie adossées à des réformes constitutionnelles consolidantes que les Sénégalais, dans leur grande majorité, attendaient en le portant au pouvoir.
Entrer en politique donne le droit de dire une chose et son contraire ?
On voudrait dans ce pays décrédibiliser l’exercice de la politique et l’état de droit que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Lorsqu’un éminent professeur défend dans ses ouvrages des théories qu’il met en mode pause une fois devenu ministre sous le prétexte que maintenant il est entré en politique, c’est le signe effarant d’une désacralisation de sa parole.
Il faut reconnaître que la loi, devenue si prolixe, si compliquée, si changeante, a besoin de serviteurs loyaux, à l’éthique irréprochable et… particulièrement aguerris. L’obligation selon laquelle « nul n’est censé ignorer la loi » s’avère, pour chacun, de plus en plus difficile à satisfaire. L’entrepreneur, le professionnel, le citoyen a pourtant besoin de garanties pour agir. Sans confiance dans sa profession, pas d’initiative.
Sans confiance dans sa profession, pas de confiance dans la loi. En effet, à la lumière de l’impressionnante succession d’actes antidémocratiques et de reniements récurrents et de malversations financières mises sous le coude de la promesse de gouvernance sobre et vertueuse déclamée urbi et orbi, il n’est pas risqué d’affirmer que la décadence de la politique publique, comme partie de la décadence générale de la société, se définit par quatre éléments : le pragmatisme, l’immédiateté, l’élimination des propositions et du débat politique, la transformation du travail politique électoral en une pratique frivole.
Ces éléments relèvent d’une nouvelle stratégie qui ne vise pas à vider, mais à occulter les contenus actuels, renouvelés, de la politique. L’occultation prend la forme de, ou est présentée comme, une perte, c’est-à-dire comme un effacement, alors qu’en réalité c’est tout le contraire.
Que voulons-nous laisser en héritage à notre postérité ? Quelle société voulons-nous ?
Les précurseurs de l’indépendance dont nous-nous réclamons et tous les citoyens épris de souveraineté, de paix, de justice et de solidarité qui rêvent, espèrent et œuvrent pour l’avènement d’une démocratie humaniste et durable, nous posent une question fondamentale : quelle société voulez-vous construire ?
Nous avons tant reçu des mains de ceux qui nous ont précédés : que voulons-nous laisser en héritage à notre postérité ? Une foi vivante ou « à l’eau de rose », une société fondée sur le profit des individus ou sur la fraternité, un monde en paix ou en guerre, une création dévastée ou une maison encore accueillante ? Comment réhabiliter la parole qui nous lie autant à nos ascendants qu’à nos descendants ? Le dire est-ce ce qui inscrit le message dans la durée et les paroles acquièrent donc la qualité de la trace, d’où l’affirmation de Louis-Jean Calvet : « ici, les paroles restent, verba manent ». Mais cette parole qui reste, qui s’incruste, qui résiste à l’œuvre du temps (aujourd’hui avec l’avènement d’enregistrements), est historiquement légitime. Mais d’où nous vient cette légitimité ?
Dans le brouillard de l’oubli qui envahit notre époque mouvementée, il est fondamental de cultiver les racines. C’est ainsi que l’arbre grandit, c’est ainsi que l’avenir se construit. Réfléchissons maintenant à un second aspect : en plus d’être fils d’une histoire à préserver, nous sommes artisans d’une histoire à construire et d’une cité à maintenir en vie.
Refusons cette déréliction et faisons bloc pour remettre notre société en marche !
La référence à la cité implique que la qualité de citoyen n’est compatible qu’avec un type de société dont l’existence et l’assise dépendent de l’individu, lequel est reconnu comme son constituant immédiat.
Cette relation constitutive du citoyen avec la cité est le corollaire de la nature de la société envisagée, et plus précisément de la distinction fondamentale entre le despotisme devenu émergent sous nos cieux et l’anthropocentrisme, conception philosophique qui considère l’humain comme l’entité centrale la plus significative de l’Univers et qui appréhende la réalité à travers la seule perspective humaine. Le despotisme définit la société en termes de propriété.
La société despotique, société de sujets dans laquelle l’individu est conçu, non pas comme la partie intégrante d’un tout, mais comme le bien du despote, est par conséquent incompatible avec la notion de citoyen. Pour que le legs d’une postérité vertueuse opère, la parole que nous émettons doit rester sacrée, parée de toute son honorabilité.
La parole émise, donnée, doit obliger à une plus grande droiture, les actes devant suivre ou même devancer ce qui est dit ! Le but n’est-il pas de défendre la valeur sociale, sacrée et démocratique de la parole dans toute société, dans tous les types de sociétés, religieuses ou profanes, dans une relation à la Vérité, à l’engagement et aussi au courage ?
Alors, refusons cette déréliction savamment orchestrée pour que la parole publique renoue avec la sincérité et redevienne un levier d’action plus qu’un bruit de fond ! Faire de la politique ne donne nullement un blanc seing au reniement selon l’air du temps.
Dressons-nous contre l’iniquité et l’arbitraire pour que les valeurs démocratiques puissent rester encore attractives et s’incarner dans la conscience collective des Sénégalais!
Faisons bloc pour remettre notre société en marche !
Khady GADIAGA