22 mai 1848: abolition de l'esclavage en Martinique

Mercredi 22 Mai 2019

La « Martinique » prend son nom à l’arrivée de Christophe Colomb en 1502, cette île est peuplée par une population amérindienne avec qui les Européens vont d’abord commercer.
 
Le 1er septembre 1635 la Martinique subit le premier débarquement des colons Français, elle créera de nombreuses guerres de territoires avec les Hollandais, mais aussi avec les autochtones qui eux veulent défendre leur terre.
 
En 1657, la France obtiendra l’autorisation de mobiliser toutes ses troupes afin de chasser tous les Amérindiens du territoire martiniquais. Cette conquête se terminera par une victoire et installera la première vague de colons Français.
 
Les premiers colons installés en terre martiniquaise créèrent des sucreries, avec le développement de la canne à sucre, cela deviendra la principale activité de l’île, celle-ci donnera naissance à un besoin de main-d’oeuvre grandissant.
Ce besoin de main-d’œuvre conduira à la traite des esclaves noirs provenant des côtes Africaines.
 
En 1789, est créée la Société amie des esclaves, composée de nombreuses personnalités, cette société est opposante à la monarchie et, est défenseur de la cause des esclaves, cependant les efforts de ses membres n’ont aucune incidences sur l’esclavage. 
En 1790, les colonies françaises dont figure la Martinique, comptaient 735 000 esclaves installés dans les plantations agricoles.
 
Le Code noir est appliqué, il a pour but de réglementer le trafic jusque-là en grande partie illégal, et de régler le statut des esclaves dans les colonies, le tout pour un meilleur contrôle des activités et du commerce. Il faut noter que le Code noir est déjà contesté en métropole, il n’est d’ailleurs pas enregistré au parlement de Paris. En revanche pour les colonies, l’esclavage est toléré pour « le bien de l’ordre public ».
 
Le Code noir :
 
L’article 44 déclare « les esclaves être meubles » mais les maîtres ont sur eux des droits et des devoirs. Outre l’obligation de les baptiser et de les instruire, ils doivent les nourrir convenablement (article 22), les vêtir (article 25) et s’occuper des esclaves âgés ou malades (article 27).
 
En revanche du côté des sanctions, les maîtres ont un large éventail de possibilités et, en plus de la « chosification » des esclaves, c’est bien l’aspect disciplinaire  qui est le plus violent.
« Article 33 : L'esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, au visage, sera puni de mort. » 
 
« Article 38 : L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lys sur une épaule ; s'il récidive un autre mois à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort. »
 
 Appliqué d’abord aux Antilles le Code noir amendé touche Saint-Domingue (Haïti) en 1687, la Guyane en 1704, les îles Maurice et la Réunion en 1724. Cette même année des mesures sont aggravées : les mariages mixtes sont interdits, les affranchissements rendus plus difficiles. 
 
En 1793 la Martinique sera prise par les Anglais, malgré les nombreux efforts de la France la domination Britannique sur l’île est totale le 21 mars 1794.
 
L’année 1794 sera pourtant décisive puisque le 4 février de la même année, l’abolition de l’esclavage est votée par la Convention (le décret de Pluviose). Cependant, elle n’entrera en vigueur qu’en Guadeloupe et à Saint Domingue (Haïti). La Martinique ne pourra bénéficier des effets de cette loi, car elle est pendant ce temps occupée par les Anglais.
 
Mais après l’abolition effectuée en 1794, l’esclavage sera rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte qui le légalise avec le décret du 30 Floréal An X (20 mai 1802), dans le souci de "stabiliser les colonies Françaises".
 
En Martinique, comme dans les autres colonies, les esclaves n’ont jamais cessé de lutter pour obtenir leur liberté. Le 27 avril 1848, sous l’impulsion de Victor Schoelcher, (journaliste et homme politique Français connu pour avoir agi en faveur de l'abolition définitive de l'esclavage) un décret proclamant l’abolition de l’Esclavage dans les colonies françaises est enfin adopté. Il entre en vigueur le 23 mai en Martinique.
 
Les esclaves doivent être affranchis dans les deux mois qui suivent… Cependant, les journées puis les semaines passent et la libération tant espérée n’arrive pas. Les esclaves craignent que ce décret soit factice. En effet, le rétablissement de l’esclavage huit ans après son abolition de 1794 reste gravé dans les esprits.
 
Certains bourgeois de couleur et quelques démocrates blancs s’allient à la cause des esclaves et entrent en campagne pour réclamer leur libération immédiate. Les esclaves sont à bout, le sentiment de révolte prend de plus en plus d’ampleur.
 
Les 21 et 22 mai 1848 l’île est le théâtre de nombreuses émeutes, cela sera rapporté dans la presse le mois d'après :
 
"La Presse, n° 48, jeudi 22 juin 1848.
Le soir, effervescence générale. Les noirs et les mulâtres descendent dans la rue. Les blancs prennent la fuite ou sont forcés de se cacher. Trois familles s’étaient retirées dans une maison du quartier du Fort. Elles se composaient de trente-trois personnes, dont sept hommes seulement. Sous prétexte que cette maison constitue un camp, les insurgés s’y introduisent en brisant des portes et des fenêtres ; ils se précipitent dans l’escalier. L’un des assaillis, M. Desabaye père, placé au haut de l’escalier, fait feu ; il tue l’un des assaillants, et tombe lui-même immédiatement frappé de mort. Des noirs munis de torches mettent le feu à la maison.
 
 On vit alors, nous dit notre correspondant, un spectacle digne de pitié. Les flammes s’élèvent avec une horrible furie, toutes ces familles éperdues répandent des cris lamentables ; ces pauvres femmes demandent grâce pour elles et pour leurs enfants ; des fenêtres de la maison elles présentant à la foule ces petits êtres innocents qui lui tendent les bras. Elles la prient de les sauver au nom de la liberté, au nom de la République. Des cris de vengeance répondent seuls à ces voix suppliantes. Enfin l’incendie dévore toutes intéressantes victimes, et pas un être pour les secourir, pas une autorité pour les protéger...
 
Un assez grand nombre de maisons sont devenues la proie des flammes ; l’incendie s’est aussi propagé par l’effet de la malveillance, dans plusieurs autres rues du Fort ; le matin même, ces brigands promenaient insolemment et impunément leurs torches dans la ville, malgré la présence du général Rostoland, arrivé vers dix heures du soir. Le mouillage a été heureusement protégé du fléau. " 
 
« ASSEMBLÉE NATIONALE.

Présidence de M. Sénard. — Séance du 22 juin.
M. L’Amiral Casy, ministre de la marine est des colonies. Il m’est parvenu ce matin des nouvelles fâcheuses des Antilles. Je crois devoir en donner connaissance à l’Assemblée pour que l’émotion publique n’aggrave pas encore le mal.
 
Voici le résumé des dépêches qui me sont parvenues de la Martinique et de la Guadeloupe :
Sans attendre l’abolition officielle de l’esclavage, on a proclamé cette grande mesure, cela a été le signal d’une grande agitation dans la Martinique; cependant l’ordre avait été maintenu jusqu’au 20 mai, mais à cette date des rassemblements se formèrent à Saint-Pierre pour demander l’élargissement des noirs arrêtés par la police. La ville a été envahie par la population noire et livrée au meurtre et au pillage.
 
La journée et la nuit du 22 mai ont été signalées par des actes déplorables. Une maison occupée par la famille Desabaye et de laquelle un coup de fusil avait été tiré contre les noirs a été incendiée, maîtres, enfants et domestiques, en tout 35 personnes, ont été brûlées.
Vingt autres maisons ont été brûlées et de malheureuses victimes ont succombé. »
 
Le lendemain 23 mai, l’autorité municipale de Saint-Pierre a pris les mesures nécessaires au maintien de l’ordre et elle a publié l’arrêté suivant :
 
« Art. 1er. L’esclavage est aboli à partir de ce jour à la Martinique. Le maintien de l’ordre public est confié au bon esprit des anciens et des nouveaux citoyens français. Ils sont, en conséquence, invités à prêter main forte à tous les agents de la force publique pour assurer l’exécution des lois.
Saint-Pierre, 23 mai 1848.
Le général de brigade, Rostoland. »
 
 L’arrêté était suivi de la proclamation suivante :
 
« Citoyens de la Martinique, la grande mesure de l’émancipation que je viens de décréter a détruit les distinctions qui ont existé jusqu’à ce jour entre les diverses parties de la population ; il n’y a plus parmi nous de maîtres ni d’esclaves; la Martinique ne porte aujourd’hui que des citoyens. J’accorde amnistie pleine et entière pour tous délits politiques consommés dans la période du mouvement que nous avons traversée. Je recommande à chacun l’oubli du passé. Je confie le maintien de l’ordre, le respect de la propriété, la réorganisation si nécessaire du travail à tous les bons citoyens; les perturbateurs, s’il en existait, seraient désormais réputés ennemis de la République, et comme tels, traités avec toute la rigueur des lois.
Saint-Pierre, 23 mai 1848.
Le général de brigade, gouverneur provisoire, Rostoland. »
 
Les colons seront indemnisés pour la perte de leur "main d'oeuvre gratuite", les esclaves eux n'auront rien, mais ils ont gagné leur liberté, les chaines sont brisées... enfin !

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