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Suffit-il de célébrer le Magal (de Touba) pour en comprendre l’esprit ? Exode, Hégire, Exils forcés : Approche comparatiste (PARTIE 1) (Par Imam A. M. Kanté)

Lundi 6 Novembre 2017

Introduction

Le 18 du mois musulman de Safar (deuxième mois du calendrier musulman) est le jour anniversaire de l’exil forcé du Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la voie mouride dont le fief traditionnel se trouve à Touba au centre ouest du Sénégal. Cette année, la célébration se fera au jour grégorien du 8 novembre 2017 et correspond à la 123ème édition du Magal (de Touba). Le terme wolof de Magal trouve son explication à deux niveaux : le terme au plan purement linguistique veut dire magnifier, valoriser, exalter, etc. ; au plan du jargon religieux islamique, les connaisseurs de la biographie et de la voie ou de la pensée du Cheikh nous disent qu’il a voulu éviter toute confusion ou identification de cette célébration avec la fête du sacrifice (Tabaski).
 
Selon la tradition orale, dès les premiers sacrifices de bêtes milieu de matinée en guise de reconnaissance envers Dieu comme l’avait souhaité le Cheikh, il se disait dans au sein des masses mourides qu’il s’agissait d’une seconde fête de Tabaski. Le Cheikh rejeta avec insistance toute velléité d’assimilation du Magalà l’Aïd al Kabîr montrant par la même occasion, un fort souci de l’orthodoxie.
 
Dans les lignes qui suivent, le but est de proposer un autre regard sur la commémoration du Magal (de Touba) par le truchement d’une approche comparatiste entre trois événements : l’Exode, la sortie des fils d’Israël d’Egypte sous la conduite de Moise ; l’Hégire qui correspond à la sortie de la Mecque du Prophète Muhammad (saws) vers Yathrib future Médine ; et le Magal (de Touba) qui célèbre l’exil forcé du Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké au Gabon. En effet, nous soutenons la thèse selon laquelle, malgré les statuts, les contextes, les époques et les lieux différents où les trois événements susmentionnés se sont passés, ils participent tous d’une même chose : la défense et la diffusion de l’appel à l’islam adressé à toute l’humanité aux fins de son bonheur ici-bas et de son salut dans l’au-delà. La brève approche comparatiste va se limiter à jeter un regard sur le contexte, le déroulement, ainsi que quelques enseignements y afférents.   
 
L’exode : contexte, déroulement et enseignements
 
Le contexte et ses caractéristiques principales
 
Dans notre contribution « Aux origines d’Achoura », nous avions mentionné la réponse de la communauté juive de Médine à la question du prophète (saws) sur la raison de leur jeûne : « C’est un jour béni. C’est le jour au cours duquel Dieu sauva les enfants d’Israël de leur ennemi, raison pour laquelle Moïse le jeûna. Le Prophète, que la Paix et la Bénédiction de Dieu soient sur lui, dit alors : Je suis plus digne de me réclamer de Moïse que vous. Il le jeûna alors et ordonna de le jeûner. » (Boukhari et Mouslim
 
Cette réponse n’est pas loin de ce que disent les références de la Bible sur le justificatif de de de la commémoration du Pessa’h :« Le sang sera pour vous un signe sur les maisons où vous vous tenez. En voyant ce signe, je passerai outre et vous échapperez au fléau destructeur lorsque je frapperai le pays d'Egypte. Ce jour-là, vous en ferez mémoire et vous le fêterez comme une fête pour Yahvé, dans vos générations vous la fêterez, c'est un décret perpétuel. » (Exode 12, 13 - Bible de Jérusalem )
 
Quelques différences mises de côté pour ne pas alourdir le texte, l’Ancien testament et le Coran mentionnent les épreuves (« plaies » selon le terme de la Bible) que Dieu fait subir au Pharaon de l’époque et à son peuple aux fins de la libération des fils d’Israël sous la conduite du prophète Moïse (Mûsâ, paix sur lui) : « L'Éternel dit à Moïse: Va vers Pharaon, et tu lui diras: Ainsi parle l'Éternel, le Dieu des Hébreux: Laisse aller mon peuple, afin qu'il me serve » (Exode, 9. 9.1)
 
Quand on examine en détail le récit du Coran sur l’exode (terme que la Bible donne à la sortie de l’Egypte des fils d’Israël sous la conduite de Moïse assisté de son frère Hârûn « Aaron »), on peut en comprendre ceci : le « plan » de Dieu consistait à rendre autonome le peuple qui pouvait servir de témoin à l’Alliance qu’Il avait établie avec le patriarche Abraham sur la base de la foi exclusive en Lui et de l’observance de Ses commandements, donc l’islam. Seul les fils d’Israël légataires de cette Alliance étaient potentiellement à même de jouer ce rôle.
 
Voici des versets incontournables à ce sujet : « Et c’est ce qu’Abraham recommanda à ses fils, de même que Jacob : «Ô mes fils, certes Allah qui a choisi pour vous cette religion : ne mourrez point, donc, que vous ne soyez entièrement soumis (muslimûn) !» (à Allah). Etiez-vous témoins quand Jacob, à l’article de la mort, eut dit à ses fils : «Qu’adorerez-vous après moi?» - Ils répondirent : «Nous adorerons ton Dieu et le Dieu de tes pères, Abraham, Ismaël et Isaac, un Dieu unique auquel nous sommes entièrement soumis » (Coran 2 : 132-133)
 
Il se trouve que le contexte politique, religieux et social était tel que les fils d’Israël n’étaient pas dans des dispositions appropriées à cette fin. En effet, après que l’un des leurs plus illustres membres, Joseph, eut à accéder à une fonction au plus haut niveau du pouvoir au temps des rois, les fils d’Israël furent soumis à un régime d’esclavage et de servitude qui a duré au moins quatre siècles. Le Coran mentionne plusieurs fois cet état de fait qui était bien entendu une contrainte insurmontable de la seule capacité des fils d’Israël. L’intervention de Dieu devenait nécessaire pour soustraire les fils d’Israël au joug du Pharaon de l’époque, peut être Ramsès II ou son successeur Mérenptah. Cela impliquait la chute voire l’effondrement du pouvoir copte en place. D’autres conditions devaient être réunies, à savoir : un leader qui va d’abord essayer de convaincre Pharaon à croire en Dieu, et le cas échéant d’adhérer à la mission de ce dernier ; au cas contraire, donner les moyens à ce leader, d’affronter le pouvoir du Pharaon et de faire libérer les fils d’Israël.
 
Ce leader ne sera pas un homme ordinaire, cela se comprend, mais le prophète Moïse aidé de son frère Aaron. Mais à qui et à quoi Moïse devra-il faire face ? Le Coran donne suffisamment d’éléments qui permettent de caractériser avec précision le contexte religieux, politique et social comme suit : un pharaon qui se proclame divinité ; qui rejette l’existence d’un prophète humain ; qui donne aux magiciens une place importante dans sa cour ; qui concentre tous les pouvoirs avec un rôle déterminant pour son conseiller-propagandiste Hâmân et sa puissante armée ; qui recours de temps à autres au génocide ciblant les enfants mâles des israélites et maintient ce peuple dans la discrimination et les pires formes de corvées.
 
Lorsque ce Pharaon a vent de la naissance prochaine d’un enfant mâle parmi les fils d’Israël,   il planifie un génocide de leurs enfants duquel par intervention divine, Moise (sauvé des eaux en hébreux) échappera.
 
Etapes-clés de l’Exode
 
En partance vers l’Egypte depuis son exil d’au moins 10 ans à Madyan, Moïse se perd en cours de route. La fraicheur commençant à faire ses effets, Moise essaie de trouver du feu. A cette fin, il s’isole ou est isolé de sa famille et fait face à un feu qui semble s’auto-entretenir. Là, Moïse entend « directement » la voie de Dieu qui se « présente » à lui comme le Dieu unique, et lui commande de n’adorer que Lui notamment par la Salât. Ensuite, Dieu fait la situation de référence avec Moise qui n’a « que ses mains et son bâton de pasteur ». Il dote le bâton et la main de Moïse de capacités nouvelles et suprahumaines qui vont lui servir de moyens de lutte contre les stratagèmes de Pharaon et aussi pour relever des défis dont il ne soupçonne pas encore la nature ni l’ampleur.
 
Lorsque Moïse arrive en Egypte, il prend le temps d’inviter Pharaon et son entourage à la foi au Dieu unique, maitre des mondes et de le sensibiliser à la mission qui lui est dévolue, à savoir : laisser partir les fils d’Israël. Le Coran donne encore suffisamment d’éléments qui permettent de comprendre la stratégie de défense de Pharaon et de son entourage : au tout début, en posant des questions, il fait semblant de s’intéresser à ce que dit Moïse tout en pensant que celui-ci sera incapable d’y répondre de façon cohérente ; il rejette en bloc la foi en un Dieu unique (le Coran mentionne que c’est par orgueil) et « rappelle » au peuple qu’il ne lui connait qu’un seul dieu, lui ! Il diabolise et tient en dérision Moïse en faisant croire que celui-ci est un fauteur de troubles et qu’il ne peut être envoyé de Dieu vu qu’il s’exprime difficilement (Moïse bégayait, raison pour laquelle il avait sollicité de Dieu qu’il fasse de son frère son assistant ) ; il est galvanisé par son entourage notamment Hâmâm ; il demande à ses magiciens de faire peur et de ridiculiser Moïse en public ; lui et son peuple demandent à Moïse de supplier Dieu de les délivrer des épreuves (les plaies) tout en revenant à leur attitude de mécréance dès que celles-ci s’arrêtent ; il se décide finalement à assassiner Moïse et à ordonner un génocide des enfants mâles des fils d’Israël.
 
Moïse invite les fils d’Israël à s’armer de patience et de prière. Et quand il reçoit le commandement divin de quitter l’Egypte nuitamment, il informe les fils d’Israël et quelques coptes du peuple de Pharaon qui ont cru en lui. En plein jour, Moïse, Aaron et les fils d’Israël arrivent devant la mer et quand ils se retournent, c’est pour se rendre compte qu’ils vont être rattrapés bientôt par Pharaon et son armée. Les fils d’Israël crient leur désarroi « nous serons rattrapés ! » à quoi Moise répond « Mon seigneur est avec moi et il me donnera une issue » Et voilà que Dieu lui dit de frapper la mer avec son bâton lequel était auparavant si ordinaire, avant le face à face avec le feu entre Madyan et l’Egypte. Au coup de bâton, la mer réagit en se scindant en deux gigantesques flots comme des montagnes suspendues.
 
Moïse, Aaron et les fils et tous ses compagnons du premier au dernier traversent à sec. Poussés par l’orgueil et l’envie de massacrer ce peuple qui avait l’audace de quitter la terre d’Egypte sans sa permission, Pharaon et ses troupes s’engouffrent et sont tous engloutis sauf que Pharaon clame une parole de foi au Dieu des fils d’Israël par peur et opportunisme. Dieu rejette cette dernière tentative de subversion de Pharaon et commande à la mer de rejeter son corps pour qu’il serve de signe aux générations qui vont suivre.
 
De l’autre côté de la mer, Moïse et Aaron vont faire face à des fils d’Israël oublieux de la situation de servitude dans laquelle ils étaient avant l’exode, à savoir manger pour travailler au service de Pharaon et de son peuple. Malgré la liberté recouvrée au prix qu’ils connaissent, les fils d’Israël regrettent rapidement les « plats » d’Egypte au lieu de voir que ce qu’ils mangeaient leur venait directement de Dieu. Ne voulant plus adorer un Dieu qu’ils ne voient pas, ils tombent dans l’idolâtrie, par imitation d’un peuple du désert qui adorait des statues. De plus, ils commettent à maintes reprises et sous différentes formes des fautes qui sont autant de transgression de l’Alliance. Après 40 ans d’errance dans le désert et de purification des âmes par le repentir, Moïse et Aaron meurent sans entrer dans la terre de Palestine. Mais avant, Moïse aura reçu toute la Tawrât qui devait servir de Loi aux fils d’Israël.    
 
Enseignements-clés de l’Exode
 
Dieu réussit toujours ce qu’il veut comme Il le veut et quand Il le veut ; 
Moise et Aaron ont accompli leurs missions avec abnégation et souffrance vu le comportement du peuple ; 
Dieu ne leur a pas accordé le bonheur de fouler la terre de Palestine ;
Leur mission a été continuée par Josué, Saul le premier roi, puis David et son fils Salomon les rois-prophètes qui ont gouverné avec la guidance de la Tawrât 
Après Salomon survient le déclin par rupture de l’Alliance et la perte de l’autonomie politico religieuse qui permettait aux fils d’Israël de porter le message de l’islam ; 
 
L’Hégire : contexte, déroulement et enseignements
Le contexte et ses caractéristiques principales
 
Pour faire court, disons que les musulmans considèrent que Muhammad (SAWS) est le continuateur de Moïse (paix sur lui) et que les fils d’Israël n’ont pas respecté les termes de l’Alliance, ce qui a conduit son basculement de la lignée d’Isaac à celle d’Ismaël. C’est cela qui explique la réclamation du legs de Moïse de la part du prophète « Je suis plus digne de me réclamer de Moïse que vous. » D’ailleurs le Coran fait remonter cette réclamation jusqu’à Abraham : « Certes les hommes les plus dignes de se réclamer d’Abraham, sont ceux qui l’ont suivi, ainsi que ce Prophète-ci, et ceux qui ont cru. Et Allah est l’allié des croyants » (Coran 3 : 68). C’est Jésus qui est le signe de ce basculement par sa naissance, sans père, d’une jeune fille intégralement vierge et pure, Marie. Cette question sera, plaise à Dieu, discutée plus en détails ailleurs.
 
C’est en 622 du calendrier grégorien que s’est déroulé ce que l’histoire a retenu sous le vocable d’Hégire. Ce mot arabe francisé vient du verbe hâjara (émigrer). Donc, au moins 15 siècle après l’Exode, voici que le prophète Muhammad (saws) fait face depuis une dizaine d’années à l’hostilité des notables mecquois qui rejettent son message et se montrent de plus en plus agressifs à son encontre comme à celui des premiers adhérents à l’islam. Lui et ses compagnons font face à un boycott socio-économique d’environ 3 ans. Après 5 années d’appel à l’islam, le prophète suggère à certains, 11 hommes et 4 femmes, dont ‘Uthmân qui sera plus tard le 4e calife des musulmans d’aller se réfugier en terre africaine d’Abyssinie où « se trouve un roi juste auprès de qui personne n’est opprimée…. »
 
En l’an 7 de l’appel à l’islam, une seconde vague de musulmans émigre vers l’Abyssinie. Alors qu’en terre arabe notamment à Taif, où le prophète pense pouvoir trouver un soutien, c’est la grande déception : il est rejeté violemment. Certains de ses compagnons connaissent le martyr, le premier en la personne d’une femme du nom de Soumayyah. D’autres sont torturés comme Bilal d’origine éthiopienne, qui malgré son statut d’esclave, proclame la célèbre expression : « ahadounahad » (Un seul Dieu, un seul !)
 
A cette époque, la Mecque était dirigée par un collège de notables et la société marquée par l’appartenance tribale. Coté religion, voici les principales croyances en vigueur : un polythéisme mais plus exactement un hénothéisme au sens où l’existence d’un Dieu suprême est reconnue mais vu qu’il est considéré « trop transcendant », il Lui fallait des intermédiaires auxquels les hommes vouent un culte (sacrifices, vœux, invocations, etc.) pour S’en approcher ; le phénomène prophétique est nié, Dieu n’a pas envoyé de prophètes et s’Il voulait le faire, ce ne serait pas un être humain (au sens du genre) si insignifiant ; la résurrection des morts était aussi rejetée, quand les corps se décomposeront, rien ne passera après. Coté société, c’est le patriarcat qui dominait et les femmes n’étaient pas sujet de droit. Le déni de leur dignité pouvait aller jusqu’à l’infanticide ciblant les filles que mentionne le Coran. Il existait la classe des hommes libres et celles des esclaves et des femmes. Les principales activités économiques étaient le commerce marqué par la pratique de l’usure, et la garde de la Kaaba avec les retombées qui en découlaient en termes de prestige et de bonification de l’économie locale.
 
Après la quarantaine révolue, Muhammad ibn abdillah qui appartenait à la respectée tribu des quraychites et connu pour sa probité légendaire, d’où son surnom de « al amîn » reçut la visite de l’ange Jibrîl (Gabriel) au mont Hira. Il est illettré et n’a jamais écrit ou cité un écrit de sa vie. La plus part des gens de son peuple sont illettrés, le Coran les appelle « Umiyyîn », et « perdus » dans cette vaste Arabie sans contact avec la révélation divine depuis leur lointain ancêtre Ismaël, fils aîné d’Abraham. Ce temps d’absence de révélation est appelée « Jahiliyah » par le Coran. Là aussi comme dans le cas de Moïse, il est en contact intime avec la révélation mais cette fois-ci par l’intermédiaire de l’ange, loin de sa famille et de tout le monde.
 
Depuis cet instant, le prophète Muhammad (saws) est investi d’une mission prophétique laquelle exige qu’il transmette le couronnement du message de l’islam. Le Coran a commencé à lui être révélé par fragments sans qu’il n’ait aucun contrôle du phénomène de la révélation. Le Coran lui prescrit de s’armer de prière notamment nocturne et de patience. Les versets et sourates révélés dans les 13 premières années donc pré-hégiriennes abordent surtout les thèmes de la foi, des récits sur les prophètes et leurs compagnons mais aussi leurs ennemis et autres détracteurs, la résurrection et la rétribution en salut pour les croyants et damnation pour les mécréants, la patience. 
 
Ahmadou Makhtar Kanté
Imam, écrivain et conférencier
amakante@gmail.com
 
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