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Benno Bokk Yaakaar à l’épreuve du pouvoir : une alliance d’alliage au gigantisme explosif

Mercredi 19 Juillet 2017

Benno Bokk Yaakaar à l’épreuve du pouvoir : une alliance d’alliage au gigantisme explosif
Par Maurice Soudieck DIONE (*)

Benno Bokk Yaakaar est composée d’une floraison de partis politiques et coalitions d’obédiences idéologiques diverses : des communistes s’y retrouvent avec des socialistes et des libéraux entre autres ; c’est un conglomérat d’intérêts pluriels quant au partage des prérogatives et privilèges étatiques, tant et si bien qu’au fur et à mesure de son développement et du tarissement des rentes de rémunération et de réallocation, elle révèle ses limites d’absorption et d’intégration en même temps que de régulation des forces coalisées, et du jeu des acteurs politiquement intéressés.
 
Cette alliance entendue comme un accord entre des personnalités et entités agrégées autour de la gestion du pouvoir d’État, par son caractère hétéroclite, tel un mélange de métaux divers, constitue donc un alliage ; c’est aussi un cadre au gigantisme explosif : démesuré et hypertrophié donc, miné par une multiplicité d’intérêts contradictoires et d’appétits boulimiques, susceptibles d’en provoquer la déflagration.
 
Face aux impératifs de gérer en urgence les multiples problèmes de gouvernance, le pragmatisme commandait au Président Sall arrivé au pouvoir au bout de trois années d’opposition qu’il s’appuyât sur Benno Bokk Yaakaar, avec des formules idéologiques comme gagner ensemble (alors même que dans une élection présidentielle on élit qu’une seule personne) ; gouverner ensemble (alors même que tous les ralliés circonstanciels au second tour avaient chacun un projet distinct) ; et sans qu’il n’y eut des tractations sur les programmes, ils furent subitement reconvertis en néophytes zélés du Yoonu Yokkute, changé en cours de route sans coup férir, en Plan Sénégal émergeant !
 
La renonciation des alliés notamment le PS et l’AFP à être des locomotives pour la conquête et l’exercice du pouvoir, pour se contenter d’être des wagons, neutralisés par les positions de pouvoir à eux octroyés, les a amenés à s’assujettir aux desiderata de conservation du fauteuil princier, au point de provoquer des scissions dans leurs partis, fragilisant ainsi leurs positions dans Benno Bokk Yaakaar.
 
Le dilemme cornélien des alliés c’est qu’ils doivent constamment donner des gages de fidélité au Président Sall, en étouffant dans leurs partis respectifs l’expression autonome d’ambitions de pouvoir, alors même que cette situation les précarise ; et que cette précarisation est de nature à reconfigurer l’alliance à leur désavantage. Doublement alors sont-ils piégés : piégés, parce s’ils restent, ils sont continuellement dévalués et dégradés, et s’ils quittent, ils perdent leur crédibilité quant à produire un discours électoral acceptable, à quelques encablures de la présidentielle de 2019, après avoir soutenu, collaboré et travaillé avec le régime en place depuis 2012 !
 
Le Président Sall quant à lui cherche à renforcer et consolider l’APR afin de s’émanciper progressivement de ses alliés, comme en atteste le partage léonin lors des investitures à la députation : sur les 165 candidats de la coalition, 115 sont de l’APR, 17 du PS et seulement 6 de l’AFP, pour s’en limiter aux alliés les plus importants. Les frustrations ont été clairement exprimées par des franges du PS et par le Comité électoral de l’AFP. Le fossé risque de se creuser davantage si Moustapha Niasse, tête de liste de la coalition aux législatives de 2012, rétrogradé dans celles de 2017 à diriger la liste départementale de Nioro, n’est pas reconduit à la présidence de l’Assemblée nationale ; encore qu’il doit d’abord gagner son département !
 
L’option radicale qu’il a choisie de briser dans son parti toute velléité d’affirmation de quelque présidentiable en a provoqué l’éclatement, avec le départ de Malick Gakou et ses partisans, et un reclassement rabaissant de l’AFP à la bourse politique des valeurs mobilières ; là où Ousmane Tanor Dieng semble avoir manœuvré plus habilement, d’une part au niveau de la structure dirigeante du PS, en clamant qu’il y aurait bien un candidat du parti à la prochaine présidentielle, sans autre précision, et d’autre part, au niveau de la connexion de la décision de compagnonnage avec Benno Bokk Yaakaar pour les législatives à l’approbation des instances de base, pour écarter l’éventualité de critiques relatives à une gestion solitaire et autoritaire du parti, tout en neutralisant et retardant au maximum la sortie des dissidents, notamment les affidés de Khalifa Sall, dont la stratégie de vider le PS de l’intérieur à travers des tournées politiques dans tout le pays, a été stoppée net, compte tenu de son incarcération dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar ; et après que furent évincés par une action en justice, les fauteurs de trouble présumés de la réunion du bureau politique du 5 mars 2016, devant statuer sur la position du parti au référendum du 20 mars de la même année. Est-ce à dire alors que le PS a mieux su gérer son potentiel électoral, au point de bénéficier de plus de postes d’investis ? Tout porte à le croire.
 
En tout cas le Président Sall œuvre à éviter de se retrouver avec une grosse machine électoralement vide ou vidée ; il prend les devants en renforçant l’APR au détriment des alliés, qui ont certes le choix de se soumettre ou de se démettre ; mais au cas où ils se rebelleraient, ils se seraient déjà mis hors de course eux-mêmes : moins représentatifs car brisés par les défections liées à leur option de servir de piédestal aux ambitions de réélection du Président Sall, et discrédités au départ s’ils décidaient sur le tard et dans le tas de rejoindre l’opposition !
 
Dès lors, tout en étant un cadre explosif, Benno Bokk Yaakaar pourrait alors ne pas exploser, en raison d’une opération souterraine et de haute-voltige de domestication anesthésique et cynique des alliés !
(*) Docteur en Science politique
Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis


 
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